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Steve Jobs, l’homme le plus créatif du monde

Lors de l’annonce du départ de Steve Jobs, mercredi dernier, l’action d’Apple perdit 5%. Illustration du lien entre le succès de l’entreprise, consacrée récemment première capitalisation boursière mondiale en devançant Exxon ce 11 août dernier[1], et la personnalité de son fondateur et dirigeant. Comment expliquer la créativité qui lui permit d’inventer le Mac, l’iPod, l’iPhone, iTunes, et tout récemment encore l’iPad, introduisant ainsi modestement quelques mots dans le vocabulaire planétaire ? Petit tour d’horizon en quelques citations tirées d’interviews de Jobs ou de son discours de Stanford, entre 1985 et 2005.

Steve Jobs et Walt Mossberg au salon All Things Digital 2007, Carlsbad, Californie ©Joy Ito.

Ce qui frappe en premier lieu chez Jobs est son attitude d’artisan face à son travail – s’il produit du matériel informatique par millions d’exemplaires, il n’en dit pas moins :

« Si tu es un ébéniste en train de faire un beau jeu d’échecs, tu ne vas pas lui mettre un dos de contreplaqué, même si personne ne le verra jamais. Si tu veux bien dormir la nuit, il te faut soigner l’esthétique, la qualité, de A à Z. »  [Playboy, Feb. 1, 1985]

Passion du travail bien fait qui lui fait dire : « Ca ne m’intéresse pas d’être l’homme le plus riche du cimetière… aller au lit en me disant – on a encore fait un truc merveilleux, voilà ce qui m’intéresse. » [The Wall Street Journal, May 25, 1993] « La seule façon de faire du bon travail est d’aimer ce qu’on fait. Si vous ne l’avez pas encore trouvé – dit-il aux étudiants de Stanford en 2005 – continuez à chercher. N’abandonnez pas. Comme pour toutes les choses du cœur, vous saurez bien le jour où vous aurez trouvé. Et comme pour toutes les grandes amitiés, ça ne fait que devenir meilleur avec les années. Ainsi, continuez à chercher, n’abandonnez pas. » Le bon travail, aimé, a néanmoins un prix, car « pour comprendre quelque chose de fond en comble, il faut s’y investir passionnément, le mâcher et le remâcher, et non pas l’avaler d’un coup. La plupart des gens n’en prennent pas le temps. »  [Wired, February 1996]

Enfin, un des critères principaux de Jobs est la simplicité. « La simplicité peut être plus difficile que la complexité : il faut travailler dur pour purifier sa pensée afin de la rendre simple. Mais le jeu en vaut la chandelle, car une fois qu’on est arrivé là, on peut déplacer des montagnes. » [BusinessWeek, May 25, 1998]

Cette passion est présente en filigrane dans un parcours juvénile en zigzag, témoignant d’une recherche amusée plus que d’un plan bien programmé. La fonction du Mac qui en fera le chouchou des graphistes et autres métiers du design et de la communication, sa gestion particulière de polices d’écriture variées, en est un exemple amusant. Jobs laissa en effet tomber son cursus universitaire, démarré à Portland, au bout d’un semestre, vivant de la collecte de bouteilles consignées et de la soupe populaire du temple hindou voisin, mais continua à suivre un cours de typographie, qui lui restera en mémoire lorsqu’en 1976 il fonde Apple dans le garage familial avec son ami Steve Wozniak. C’est encore sa passion pour la spiritualité hindoue qui le pousse à entrer dans le monde de l’informatique : il se fait engager chez Atari comme technicien simplement pour pouvoir se payer un voyage en Inde. Son amour de la musique – en particulier de Bob Dylan, dont il considère la rencontre comme un des événements majeurs de sa vie – est aussi le moteur de la création d’iTunes.

Tout cela contribue en Jobs à une profondeur d’expérience humaine – à la fois vécue et jugée, remâchée –  qu’il considère comme la clef réelle de sa créativité. « La créativité consiste juste à relier des choses entre elles. Si vous demandez à des gens créatifs comment ils ont fait quelque chose, ils se sentent un peu coupables, parce qu'ils ne l’ont pas vraiment fait, ils ont juste vu quelque chose. Qui leur a semblé évident au bout d’un moment. Ils ont fait ou créé des choses nouvelles parce qu'ils ont su relier des expériences entre elles. Et la raison pour laquelle ils l’ont su, c’est qu’ils ont eu plus d’expériences, ou qu’ils ont plus réfléchi à leurs expériences que les autres. » [Wired, February 1996] Si bien que « plus large est ta compréhension de l’expérience humaine, meilleur sera ton design ». [Wired, February 1996]

Ce qui lui fait dire avec humour (et un peu de suffisance, certes) de Bill Gates que « lui et Microsoft sont un peu étroits. S’il s’était shooté au moins une fois à l’acide – un des domaines d’exploration du jeune Jobs… – ou s’il était parti pour un ashram dans sa jeunesse, il serait un type bien plus large d’idées. » [Wired, February 1996]

On pourrait dire que ce qui a fait de lui un visionnaire, une sorte de magicien du marketing, est bien cette connaissance de l’homme, nourrie de passion. On l’a cru fou lorsqu’il lança un système d’exploitation basé sur la souris et l’interface graphique à fenêtres – inventions brevetées par Xerox, qui n’y voyait aucun intérêt. Un peu exagéré quand il prédit l’explosion d’internet en 1985, en prévoyant le développement d’un « ordinateur interpersonnel », et en intégrant dans ses serveurs NeXT une carte réseau avant la naissance du WWW. Dérangé lorsqu’il lança l’édition vidéo sur ordinateur (un des points forts d’Apple aujourd'hui, avec le logiciel FinalCut). Pas très réaliste avec iTunes… autant de succès reposant sur une analyse fine et intuitive des priorités de l’homme de la rue, de ses attentes.

Le succès d’Apple a à voir aussi avec la vision de l’homme professée par Jobs, malgré ses apparences caractérielles et son management parfois qualifié d’égotique. « Je suis un optimiste dans le sens où je pense que les êtres humains sont nobles et honorables, et certains d’entre eux réellement intelligents. » [Wired, February 1996] D’où une façon de gouverner ses hommes qu’il exprime ainsi lors de son rappel à la tête d’Apple en 1996 : « Tout ne repose pas sur moi. Ce qui remet cette entreprise sur ses pieds tient à ceci : il y a beaucoup de gens talentueux ici, qui ont entendu le monde leur dire durant quelques années qu’ils étaient des loosers, et certains d’entre eux n’étaient pas loin de commencer à y croire. Mais ils ne sont pas des loosers. Il leur manque de bons dirigeants, un bon plan. » [BusinessWeek, May 25, 1998] Cette confiance génératrice de liberté, il la transmet en ces termes aux étudiants de Stanford : « Ne vous laissez pas mettre en cage par les dogmes – ce qui revient à vivre sur les résultats des pensées des autres. Ne laissez pas le bruit généré par les opinions des autres noyer votre voix intérieure. Et, plus important encore, suivez votre cœur et votre intuition. Ils savent déjà, d’une certaine façon, ce que vous voulez vraiment devenir. Tout le reste est secondaire. » En d’autres termes, on pourrait dire qu’il vit la pauvreté du cœur, consistant à suivre ce qu’il aime plutôt que les critères extérieurs de l’argent ou de la puissance (chose certes difficile pour quelqu'un qui a invité Clinton à dîner) : « me souvenir que je serai bientôt mort est le meilleur outil que j’aie jamais trouvé pour m’aider dans les grandes décisions de la vie. Parce que presque tout – toutes les espérances d’accomplissement extérieur, toute la fierté, toute peur de humiliation ou d’échec – tout cela s’évanouit face à la mort, laissant la place à ce qui est vraiment important. C’est le meilleur moyen d’éviter le piège de penser qu’on a quelque chose à perdre. Vous êtes déjà nus. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre votre cœur. »

Et tout cela ne saurait tenir sans une confiance plus profonde encore en quelque chose de bon, « votre mordant, votre destin, vie, karma, ce que vous voudrez. Cette attitude ne m’a jamais déçu, et voilà ce qui a fait toute la différence dans ma vie ». [Stanford commencement speech, June 2005]

Bref, si l’on voulait résumer tout cela pour donner des raisons à sa créativité, outre un cerveau sans aucun doute plutôt bien rodé, on reste à vrai dire frappé par ceci : l’amour. Un amour qui déborde certaines étroitesses et difficultés de caractère ; un amour de la vie, des objets, du travail, des hommes, et même un amour de la mort, dont il dit qu’elle est très certainement « l’invention la plus singulière, et sans doute la meilleure, de la Vie ».


[1] http://www.lessentiel.lu/fr/news/story/27078507

Pour aller plus loin : vidéo du discours de Steve Jobs à Stanford (sous-titrée en français)

 

 

 


Les 3 histoires de Steve Jobs (Stanford) by DesLivres

2 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    Dans les années 90, on était "Mac" ou "PC" (on ne disait pas Microsoft) avec une certaine passion. Personnellement, je préférais le sage Bill Gates et son système Windows à évolution modérée. Avec Mac, on avait toujours l'impression d'être en retard d'une innovation. Mac apparaissait presque comme un mode de vie autant qu'un outil, et ça faisait un peu peur. Mais quel bonhomme, ce Jobs ! Ses innovations ont été mieux comprises dans les années 2000, notamment avec l'Iphone. Peut-être pris de remords, j'ai acheté un Ipod sur le tard !

  2. Joao pé de feijao

    Un certain Albert Einstein disait : « La préoccupation de l’homme et de son destin doit toujours constituer le principal intérêt de tous les efforts techniques ; ne l’oubliez jamais au milieu de vos diagrammes et de vos équations. ». En voilà une belle illustration. Merci pour cet article qui montre un homme sous un angle tout simplement… beau. Espérons qu'il s'associera avec  Bill Gates pour traiter les déchets dûs aux appareils électroniques et ce sera top.