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Shame : derrière l’abjection, la grâce

de Claire Fleury et Cyril Desreumaux       16 janvier 2012

Très apprécié par la critique depuis sa sortie le 4 décembre dernier, le second long métrage de Steeve Mac Queen traite d’un sujet subversif. Plongée dans les méandres obscurs du sexe, ce film nous propose un regard sur une forme de solitude et de souffrance rarement traitée de façon aussi sensible par le 7e art. Essayons d’y voir la lumière déchirant les ténèbres…

Brandon et Manhattan : la solitude de l’Homme moderne

Dialogues rares et anodins, musique classique, longs plans séquences aux couleurs froides… Brillamment filmée, cette intrusion nous guide dans le quotidien de Brandon, cadre New -Yorkais accompli, enfermé dans une existence vide et solitaire régie par ses compulsions sexuelles. Des images simples nous montrent un homme aliéné, inapte à la rencontre amoureuse.

Brandon n’a pas d’amis, Brandon dîne impassible devant un film X, Brandon fait appel aux call-girls pour le dessert, Brandon "consomme" une conquête dans un local à poubelle …

Pour avoir échangé avec quelques personnes n’ayant pas (encore !) vu ce film, la réaction semble unanime : Brandon est pervers, violeur potentiel ou (et !) tueur en série… Le triptyque « Solitude, Sexe et Addiction » fait appel à de nombreux clichés du fond de commerce des séries américaines. Pourquoi Mac Queen a-t-il choisi un acteur (Michael Fassbender) aussi bel homme pour incarner un tel personnage ? Visage expressif et viril, regard clair et profond, corps puissant et harmonieux…  En quoi ce titre, Honte, permet d’incarner une forme de grâce et de beauté ?

Shame, la sortie du tombeau

La honte n’est pas le thème du film, mais le tournant. Au cœur d’un univers glauque, solitaire et glacial, les rituels de Brandon vont être bouleversés par l'arrivée de sa sœur Sissy, chanteuse souffrante et suicidaire qui s’impose au quotidien de son frère. Sa présence révèle à Brandon la lutte contre son humanité sensible. Lors de son interprétation au tempo historiquement long de « New-York, New-York », le combat fait rage.

« New-York, New-York » les yeux rougissent,
« New-York, New-York » s’humidifient,
« New-York, New-York » une larme perle
« New-York, New-York » la larme coule sur la joue,
« New-York, New-York » la larme coule encore…

Arraché par sa sœur après une heure de film, cette unique larme est le premier signe d’humanité de Brandon. Pourtant la sortie du tombeau est encore loin : surpris ensuite dans une séquence d'autoérotisme maniaque, Brandon explose. Il violente la squatteuse. Leurs confrontations fissurent son armure : Brandon a honte de son vice. S’en suit le seul vrai dialogue du film durant lequel Sissy se montre compatissante. Mais il lutte, encore et encore.

– « En quoi est-ce que tu m’aides ? »
– « En quoi est-ce que tu m’aides ? » Le ton monte, le visage de Brandon rougit
– « En quoi est-ce que tu m’aides ? » Le quadra explose à nouveau

Trois fois la même réplique… Pierre m’aimes-tu ? Sa sœur l’aide en le voyant tel qu’il est. Elle l’aime comme il est, d’aucun dirait « quand-même ». Dérangé par ce réveil sur sa propre noirceur, il plonge encore plus profondément dans la décadence. Et Sissy, désespérée, de gémir : « Nous ne sommes pas mauvais. C’est là d’où l’on vient qui est mauvais ». La pierre du tombeau a roulé.

Morale ou espérance ?

Différents blogs s’attardent sur le sens de la dernière image. Brandon est dans le métro face à une fille dont les intentions sont assez claires. La séduction silencieuse dure un long moment. Le film nous laisse en suspens sur un nouvel état du protagoniste : il hésite. J’y vais ? J’y vais pas ?

Quelque soit son point de départ, aussi bas fût-il tombé, Mac Queen ne nous propose pas de morale : Brandon est face à sa liberté. Peut-être cédera-t-il à ses pulsions, peut-être pas tout de suite, ou pas du tout. Et alors ? Il a eu le choix. Sa sœur, avec tout le poids de sa souffrance, a changé quelque chose en lui. Une once de vie ?

La nôtre est-elle si éloignée de celle de Brandon? Sommes-nous si différents de lui quand nous entrons dans le confessionnal ? Ce film nous met face à notre propre noirceur. Il nous propose de la regarder en face et de voir au-delà.

Définitivement, ce film n’est ni pornographique, ni moraliste. C’est un film qui parle d’espérance… destiné à un public d’adultes.

 

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2 Commentaires

  1. A.D.

    merci pour cette critique. Ce film m'a beaucoup marqué, il interroge terriblement et finalement nous renvoit face à nous-même, à notre époque… C'est un film terrible et magnifique, chocquant dans le bon sens du terme. Le choix de Michael Fassbender est un choix de génie : une telle solitude et une telle misère dans un corps si beau était le meilleur moyen d'identifier le spectateur au héros. On ne peut que noter les tendances qui nous rapprochent de lui… Et ça fait peur.
    Un grand film sur l'homme du XXIème siècle.

  2. Je suis bien d'accord avec toi. Quand je discute de ce film, je mesure que nous pouvons être dérangés par la dualité beauté/noirceur du personnage. Homme ou femme, il semble difficile de reconnaître avec simplicité que Brandon est beau, comme si cet aveu cautionnait la vie destructurée du personnage. A mon sens, c'est une manière très habile de montrer toutes les nuances de notre humanité.

    Le regard proposé par ce film ne suggererait-il pas le regard de Dieu sur nos vies? Au-delà de ma noirceur, dans Ses yeux, suis-je beau?