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France, vers une exception d’euthanasie ?

Le sujet est sensible et a été abordé avec prudence par François Hollande en visite au centre de soins palliatifs Notre Dame-du-Lac le 17 juillet. Après avoir salué la loi Léonetti de 2005 qui autorise une certaine abstention thérapeutique dans des cas très précis[1], le chef de l'état a affirmé : « Ne peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l'abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appellent un acte médical assumé au terme d'une décision partagée et réfléchie ? ». Il est des questions qui portent en elles leur propre réponse.


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La traduction de cette longue phrase en actes concrets serait donc de créer une nouvelle loi qui franchisse la ligne jaune entre lutte contre l'acharnement thérapeutique et euthanasie. Ce « aller plus loin » consisterait tout simplement à autoriser les médecins à pratiquer des « actes médicaux assumés » c'est à dire à donner la mort (le plus souvent par injection létale) à leurs patients dans des conditions définies par le législateur. 

Le débat qu'ouvre donc le chef de l'Etat à cette occasion a déjà eu lieu dans certains pays qui ont légiféré en ce sens. La Hollande, la Belgique et plus récemment la Suisse (loi sur le « suicide médicalement assisté ») ont adopté des « exceptions d'euthanasie » en se basant sur le même argument que François Hollande : des cas de soulagement impossible qui entrainent, toujours au nom de la compassion, à ne plus pouvoir envisager d'autres solutions que la mort assistée. Il y a aussi la volonté de respecter le désir de certains patients de mettre fin à leur vie lorsque leurs maladies sont « incurables » et source de souffrances « irréversibles ». Pour ces pays, à l'époque, il y a avait aussi l'argument de l'existence d'une pratique clandestine mais globalement tolérée, qu'une loi devait enfin aider à faire disparaître en les encadrant.     

Voilà 10 ans que la Belgique a adopté une telle loi, qu'en est-il aujourd'hui ? Quel bilan peut-on en tirer ? C'est ce que s'efforce de faire le rapport très complet de l'IEB[2] « Euthanasie 10 ans après la dépénalisation », publié en avril 2012. Il rejoint les conclusions de l'alliance VITA [3] en France qui dénonce les dérives de la Belgique en ce qui concerne l'euthanasie. Et la liste est plutôt longue :

1. Le nombre de cas d'euthanasie officiels est en constante augmentation (de 322 en 2002 à plus de 1000 en 2010) et ce malgré la persistance de pratiques clandestines de la part de médecins.
Dès ses premiers rapports, la Commission de Contrôle (composée de 16 membres et dont la mission est d'évaluer a posteriori l'application de la loi) reconnaît « ne pas avoir la possibilité d'évaluer la proportion du nombre d'euthanasies déclarées par rapport au nombre d'euthanasies pratiquées »[4].
Le fameux « encadrement par la loi » reste donc inefficace ne serait-ce que pour savoir combien d'actes sont pratiqués.   

2. Le champ d'interprétation et, par conséquent, d'application de la loi ne cesse de s'étendre : 25 mineurs ont ainsi été officiellement euthanasiés depuis 2002 alors que la loi prévoit qu'elle ne touche que des adultes[5]. Des modifications sont donc prévues afin que n'importe quel enfant de n'importe quel âge, pourvu qu'il ait le « discernement », puisse faire une demande d'euthanasie. Les parents sont informés mais ne peuvent s'opposer (proposition 530496/001 à la Chambre des Représentants le 28 octobre 2010[6]). Des handicapés mentaux (ne pouvant donc formuler de déclaration écrite de demande d'euthanasie) ont aussi reçu la fameuse injection létale vendue en pharmacie. Une nouvelle loi prévoit donc que l'on pourra se dispenser d'autorisation écrite pour les cas dits de « démence » (Proposition 530498/001).  

Des patients dépressifs ont aussi été euthanasiés à partir de 2007 alors que ce diagnostic n'est pas censé rentrer dans le cadre de la loi qui stipule que seuls des patients « incurables » peuvent être aidés à mourir (dénoncé par l'Association « Netwerk depressie vlaanderen »[7]). Pour la Suisse aussi, une étude du Journal Ethics of Medecine[8] révèle en 2008 que 34% des patients euthanasiés n'étaient pas atteints de maladies incurables. 

3. La législation hollandaise pourrait en outre devenir de nouveau la norme pour la Belgique et étendrait encore le champ d'application de sa loi actuelle aux nouveaux-nés prématurés, aux enfants handicapés et ce au motif que « soit l'enfant n'a aucune chance de survie, soit on anticipe pour lui une qualité de vie médiocre soit enfin le diagnostic est mauvais et on considère la souffrance de l'enfant comme insupportable » (protocole de Groninguen[9]).   

4. Devant toutes ces dérives un nouveau concept, non prévu par la loi, est donc logiquement apparu : celui d'« état de nécessité ». Pour le cas où un patient est dans l'incapacité d'effectuer un discernement en vue d'une demande d'euthanasie en raison de son âge, de la gravité de la maladie (qui l’empêche de s’exprimer) ou d'un handicap mental, alors les médecins décideront pour lui. La loi qui stipulait vouloir se baser uniquement sur le consentement du patient revient à donner à l'autorité médicale le pouvoir d'évaluer le degré de souffrance et donc de viabilité. Comme la Commission de Contrôle n'effectue ses contrôles qu'a posteriori et en se basant uniquement sur les déclarations des médecins, ces derniers ont donc, à travers cette interprétation de la loi, un pouvoir exorbitant sur la vie de leurs patients.

L'affirmation d'un « état de nécessité » vide en fait la loi de sa substance. C'en est fini des garde-fous censés maîtriser tout abus potentiel.
 

Les conclusions que l’on peut tirer de 10 ans d’existence d’une telle loi sont donc le constat d’une dérive sans cesse plus grande vers ce que le législateur voulait empêcher : des pratiques non contrôlées, clandestines et en constante augmentation. Enfin, l’application d’une telle loi en vue de soulager des « souffrances irréversibles » a en fait eu un champ d’application et d’interprétation bien plus large que prévu. En donnant la priorité à l’euthanasie sur les soins palliatifs, la Belgique a donc limité considérablement le fameux « choix » que l’on a voulu donner aux patients. Il s’est de fait transformé pour beaucoup de malades en phase terminale en un cruel dilemme : soit je souffre, soit je meurs.    

Si le président François Hollande souhaite un vrai débat, il pourra être utile qu'un simple audit des pratiques des pays ayant entrepris la dépénalisation de l'euthanasie soit effectué. Pourrait aussi être ajoutée au dossier la très intéressante étude du Centre d'études cliniques de l'hôpital Cochin[10] auprès de 200 personnes âgées, qui révèle que les cas de demande d'euthanasie sont en fait très marginaux lorsque la douleur est bien prise en charge. La proposition du Président de la République de développer les soins palliatifs et de rattraper le retard que nous avons en ce domaine constitue sans aucun doute un pas dans la bonne direction. Mais le fait de lier dans la déclaration présidentielle du 17 juillet soins palliatifs et euthanasie est aussi un motif d'inquiétude. Comme s'il s'agissait d'entretenir l'ambiguïté selon laquelle l'euthanasie serait le dernier stade des « soins » à apporter aux patients en fin de vie.


[1] La loi Léonetti du 22 avril 2005 récuse à la fois toute forme d’euthanasie et toute forme d’acharnement thérapeutique. Elle permet aux médecins l'utilisation en fin de vie de médicaments en vue de soulager la souffrance même si un tel traitement peut avoir pour effet secondaire d'entraîner plus rapidement la mort du patient. On parlera alors « d’abstention thérapeutique » mais en aucun cas d’euthanasie même « passive ».
[2] « Institut d’Etudes Biologiques ». www.ieb-eib.org. Le rapport : http://www.ieb-eib.org/fr/pdf/euthanasie-belgique-10-ans-de-depenalisation.pdf
[3] http://www.alliancevita.org/vita-dossier/euthanasie-derives-a-letranger/
[4] Premier rapport aux chambres législatives (22 septembre 2002 – 31 décembre 2003) de la Commission fédérale de contrôle et d’éva­luation de l’euthanasie, p. 14.
[5] Source « American Journal of Critical Care » cité par le rapport de l’IEB page 4. 
[6] Rapport de l’IEB page 4.
[7] Source citée par l’Alliance VITA dans son article WEB du 17/10/2011 « L’euthanasie en Belgique : synthèse des dérives ».
[8] Source citée par l’Alliance VITA dans son article Web du 17/10/2011 « L’euthanasie en Suisse : synthèse des dérives ».
[9] 15. A.A.E. VERHAGEN et P.J. SAUER, 2005, « The Groningen Protocol – Euthanasia in Severely III Newborns », The New England Journal of Medicine, vol. 352, Mars 10, n° 10, pp. 959-962, cité par le rapport d’IEB page 4.
[10] Cf. l'article de Martine Perez du 16/10/2011 paru sur le site Web du Figaro.

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4 Commentaires

  1. J.C.

    Assurément, la question de François Hollande contient déjà la réponse. Nous ne pouvons pas être dupes sur ce point. Il s'agit de franchir le Rubicon et se mettre au diapason de l'idéologie ambiante qui impose ses lois et ses pratiques. Le gouvernement précédent nous avait donné un peu de répit. C'est désormais fini et c'est la société même qui va s'en trouver profondément transformée. Un peuple où le droit à naître est soumis à l'arbitraire de ceux qui sont déjà nés est déjà un peuple d'un genre particulier. Un peuple où l'on pourra supprimer certains de ses membres en "cas de nécessité" sera aussi un peuple d'un genre très particulier (malheureusement déjà rencontré dans l'histoire). Etonnant silence de la hiérarchie catholique devant ces changements… On me dira qu'elle parle, qu'elle ne cache pas son point de vue. Elle est tout de même bien discrète.