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Le Liban écartelé entre la Syrie et l’Iran

La crise syrienne rejaillit aujourd’hui sur le Liban. Que ce soit par des enlèvements, des combats entre chiites et sunnites localisés dans la ville de Tripoli et dans la région de Akkar (montagnes du Nord), le pays du Cèdre s’embrase à son tour. Père Charbel et Père Samir, prêtres au Liban, ont accepté de répondre à nos questions pour nous éclairer sur cette situation difficile à cerner.


@ Paul Walter

Quelles sont les prises de position au Liban aujourd'hui sur le conflit syrien ?

P.Charbel : Le Liban est aujourd'hui politiquement très divisé entre ceux qui soutiennent la rébelion Syrienne et ceux qui soutiennent Bachard el Assad ; d’un côté, ceux qui soutiennent la rébellion sont les défenseurs du président libanais Rafic Hariri, assassiné selon eux par la Syrie. Ils s’appellent  « Le bloc du 14 Mars 1», ce qui rassemble entre autres : les Forces libanaises2 , les Phalanges libanaises pro-Gemayel (parti chrétien) ou Kataeb et le parti sunnite de Saad Hariri , et le groupe Tayar Mousta'aball. De l'autre côté, Bachard el Assad est soutenu par le Hezbollah, les partisans du Général Aoun (chrétien) et le clan Franjyeh3

Pourquoi les chrétiens sont-ils si divisés entre eux ?

P. Samir : Les chrétiens sont malheureusement dans les deux camps. D'un côté, ils craignent les manœuvres du Hezbollah, qui veut instaurer un état musulman, leur prise de position est donc plutôt favorable aux rebelles syriens; de l'autre côté, ils ont conclu une alliance avec les chiites car le danger leur paraît davantage venir de l'extrémisme sunnite qui veut renverser le Gouvernement de Bachar El Assaad. Le « bloc du 14 Mars » fait mémoire de tous les maux infligés par la Syrie au Liban vers la fin de la guerre : bombardements de villages chrétiens, enlèvements en tout genre (jusqu'à aujourd'hui, on a aucune nouvelle de nombreux disparus), massacres…. Pour eux, il est nécessaire qu'un tel gouvernement démissionne !

Les partisans du Général Aoun voient en Bachar El Assaad le seul défenseur des minorités de son pays. Comme en Irak ou en Egypte, la disparition d’El Assaad correspondrait à l’éradication immédiate des minorité et à la fin de la présence chrétienne en Syrie et au Liban. C'est finalement l'inquiétude d'un côté comme de l'autre qui fait pencher la balance des prévisions  dans un sens ou dans l'autre.

N'y a-t-il pas dans ce panorama libanais une voix qui s'élève pour réunir le peuple, ne ce serait-ce déjà que les chrétiens entre eux ?

P.Charbel : Ces dernières décennies, beaucoup de libanais, spécialement les chrétiens, ont perdu confiance dans leurs leaders politiques qui n'arrivent pas à faire l'unité. Même la position du nouveau Patriarche Maronite Bchara Rai a déçu : malgré sa condamnation de la violence, notre Patriarche a pris fait et cause publiquement pour le président syrien et puis est revenu ensuite sur ses positions ; le clan « du 14 Mars »  lui reproche de rechercher l'espoir dans un Gouvernement politique cruel.

P. Samir : Le drame des chrétiens libanais est d’avoir cru trouver leur sécurité sous une dictature implacable qui montre maintenant son vrai visage. La prolongation de la guerre et de l’horreur entraîne la montée d’un islamisme radical qui engendre lui-même peurs et défiances. Au Liban, les chrétiens prennent aujourd’hui vraiment conscience de l’affaiblissement de leur poids politique. En ces temps de désarroi, j’aime me référer à la pensée de Samir Frangieh qui appelle de ses vœux, dans ce Liban aux 18 communautés, l’avènement d’un « Etat du vivre-ensemble », et qui s’inspire volontiers de l’Exhortation apostolique rendue publique par le pape Jean Paul II lors de sa visite au Liban en 1997. 


@ Paul Walter

 

1. Le 14 mars 2005, l'opposition libanaise à l'occupation syrienne et au régime pro-syrien en place à Beyrouth, a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes (800 000 selon Robert Fisk, 1 200 000 selon les organisateurs). Venant de toutes les régions du pays essentiellement druzes, sunnites ou chrétiennes, la foule a réclamé, sur l'immense place des Martyrs, la vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri, et surtout la fin de l'occupation syrienne.

2. Parti politique libanais et une ancienne milice chrétienne qui jouèrent un rôle majeur dans la guerre civile qui ravagea le Liban de 1975 à 1990. Quand la guerre civile fut terminée, le mouvement se transforma en parti politique avant d'être interdit en 1994 et de voir les activités de ses militants sévèrement limitées par les gouvernements pro-syriens jusqu'à la Révolution du Cèdre qui conduisit au retrait des troupes syriennes en 2005. Le mouvement est officiellement laïc, mais dans les faits il a toujours été composé majoritairement par des chrétiens, et plus spécialement par des Maronites.

3. Samir Frangieh : est un intellectuel libanais de la famille des Frangieh, originaire de Zghorta, fils de l’ancien ministre et député Hamid Frangieh et neveu de l’ancien président Soleimane Frangieh. Figure de proue lors de la Révolution du cèdre, il remporte les élections législatives de 2005 pour le poste de député maronite de Zghorta, allié à Nayla Moawad, veuve de l’ancien président René Moawad, aux Forces libanaises, au Courant du Futur et aux autres partis de l’Alliance du 14 Mars.

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2 Commentaires

  1. Pierre D.

    Merci pour cet article extrêmement clair, qui permet d'approcher un petit peu les attentes et les souffrances  de nos amis Libanais.
    Inquiétant cependant de ne voir aucune figure politique se détacher pour servir cette convivialité si particulière qui est bien plus qu'un simple "vivre ensemble". Il faudrait plutôt parler d' héritage, de manière d'être, d'art de vivre qui frappe d'ailleurs tous les occidentaux qui visitent le Liban.
    Jean-Paul II l'avait bien saisi lorsqu'il disait : "Le Liban, c'est plus qu'un pays, c'est une vocation". De fait, beaucoup de pays arabes ont simplement besoin de savoir que le Liban existe, que ce miracle se poursuit, même si difficilement…
    La visite du pape sera certainement un baûme sur bien des plaies, un encouragement pour beaucoup. 

  2. Excellent article. Tout est dit sur le liban . La situation des libanais  en ce moment ,
    est telle qu'elle est décrite  dans cette article.
    Les libanais attendent et espérent beaucoup de l'arrivée futur du Pape Benoit 16 . Beaucoup viendront de l'etranger pour cette occasion . L'espoir d'une PAIX durable est dans le coeur de tous les libanais , toutes religions confondues.