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Un accord de paix en Colombie avec les FARC ?

Comment parler de justice ou reconstruire l'unité d'un pays après plus de trente années de guerre et de telles souffrances ? Isabella Bueno a interrogé les victimes et les bourreaux dans le cadre de ses recherches en droit sur la justice "restaurative". 

1. L'accord avec les FARC proposé aujourd'hui par le gouvernement marquerait la fin définitive de la violence ? Que peut-on en espérer ? Quelle espérance avez-vous pour la Colombie ?

L'accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC – la plus vieille guérilla du monde – représenterait un pas historique vers la fin d'un conflit de longue durée et dévastateur, mais pas nécessairement vers la fin de la violence en soi. En plus d'atteindre un accord de paix avec les autres groupes de guérilla, les FARC et l'ELN, la Colombie aurait besoin, pour lutter contre la violence, de trouver des solutions alternatives au trafic de drogue, en offrant aux populations marginalisées l’accès à l'éducation et des opportunités d’emploi, de lutter contre la corruption, et d’instaurer une culture de respect, de traiter les questions de justice transitionnelle[1], de manière adéquate, etc.
 

L'administration Santos réussira-t-elle à atteindre un accord de paix avec les FARC ?
Malheureusement, l'histoire de la Colombie a été terriblement marquée par des tentatives de paix qui ont échoué avec les FARC. Néanmoins, le contexte particulier d'aujourd'hui peut apporter de la lumière dans le processus ; d'une part, les FARC ont complètement perdu leur légitimité au niveau à la fois national et international, et d'autre part, l'armée colombienne et le phénomène de démobilisation individuelle ont fortement affaibli le groupe. Je reste optimiste et espère vraiment que cette tentative de parvenir à la paix sera couronnée de succès.

 

2. Quel est le sens de votre thèse sur la justice restaurative ?

Dans ma thèse je défends la justice restaurative comme une approche de la justice susceptible de traiter les questions de justice transitionnelle d'une manière plus pragmatique que l'approche conventionnelle de la justice rétributive. Bien que la justice restaurative ait souffert d'une incompréhension générale en raison de son manque de définition commune, dans ma thèse je la présente comme une façon de rendre la justice qui vise à réparer, autant que faire se peut, le tort qui a été commis par un délit.

En conséquence, la justice restaurative se concentre d’abord sur la figure de la victime en essayant de répondre à ses intérêts et ses besoins ; ensuite la justice restaurative suscite une forme de responsabilité active, constructive et tournée vers l'avenir. Contrairement au système punitif axé sur la justice légale, la justice restaurative offre au délinquant les moyens de se réinsérer dans la société en échange de sa contribution active dans la réparation, directement ou indirectement, des préjudices infligés à la victime, à la société et à lui-même, grâce à des mesures réparatrices telles que la divulgation complète du passé, en remettant les marchandises obtenues illégalement, en cessant toute activité criminelle, etc. En d'autres termes, la justice restaurative enlève l'intention d'infliger un châtiment à l'auteur en échange d'une participation active à la réparation du dommage et de la capacité d'arrêter la récidive. Toutefois, si le contrevenant ne se conforme pas à ces obligations, il devrait être privé de liberté, mais d'une manière humaine et réparatrice.

 

3. Dans le cadre de vos recherches, vous avez été amenée à rencontrer des prisonniers et des victimes, quelles rencontres vous ont le plus marquée ?

Interroger les victimes et les délinquants du conflit colombien a été une expérience humaine enrichissante et extraordinaire. Chaque entretien, sans exception, m'a profondément touchée et a révélé de nouvelles dimensions et perceptions de la complexité de la réalité qui se trouve derrière le conflit colombien. Toutes les personnes interrogées se sont montrées disponibles et ouvertes pour partager leur temps, leurs opinions et leurs émotions. Ils ont partagé avec moi, une inconnue pour eux (à l'exception de trois victimes), le plus profond de leur souffrance, de leur tristesse et même de leurs moments de joie.

Il est très difficile d’exprimer ce qui m'a le plus touchée, mais si je devais choisir, je dirais probablement que j'ai été assez dépassée par l'histoire d'une jeune femme de 20 ans, enlevée par les FARC à 11 ans. Avec sérénité et paix, elle m’a expliqué comment et pourquoi la jeune de fille de 11 ans s’était laissé influencer par les idées de gauche et était sortie de la jungle en étant une autre personne. Aujourd'hui, elle parle librement de son calvaire avec maturité, sérénité et certitude. Par ailleurs, j'ai été très impressionnée par les deux attitudes possibles des délinquants : ceux qui semblent avoir vécu un véritable retournement de conscience et regrettent leurs actions passées, et ceux qui ne regrettent pas du tout ce qu'ils ont fait et justifient leurs actes criminels. Enfin et surtout, j’ai été marquée, durant mon séjour auprès des communautés indigènes de la Sierra Nevada de Santa Marta, lorsque j'ai réalisé que leur philosophie intégrait en profondeur, dans leur cosmovision particulière, les principes et les valeurs de la justice restaurative et pourrait éclairer le processus de justice transitionnelle colombienne. En fait, les techniques indigènes de résolution des conflits, appelées aussi les pratiques du niveau local ou traditionnelles, ont inspiré divers processus de justice transitionnelle, notamment dans les pays africains.

 

4. En quoi la justice restaurative introduit-elle un regard de miséricorde et de compassion dans la justice ?

La justice restaurative a une dimension spirituelle profonde fondée sur des principes et des valeurs comme l'amour, l'interdépendance de tous les êtres humains, le respect, l'humilité, et notamment la compassion et l'empathie envers la victime et le délinquant. D'une part, la justice restaurative tente de comprendre la souffrance de la victime et tente donc de prendre en compte ses besoins et d'autre part, la justice restaurative fournit au délinquant une seconde chance dans les conditions mentionnées ci-dessus et tente de comprendre pourquoi il ou elle a commis l'infraction, pour tenter de stopper le phénomène de la récidive.

Cependant, bien que la justice restaurative vise essentiellement à rétablir le tort commis par une infraction, le pardon et la réconciliation entre la victime et le délinquant constituent des objectifs secondaires souhaitables. En fait, l'ensemble du processus du pardon s'est avéré avoir un effet de guérison puissant. Cependant, la capacité de demander pardon et de pardonner dépendent de chaque être humain et aucun système de justice ne peut forcer quelqu'un à prendre une position particulière à cet égard. En fait, comme c'est indiqué par les données empiriques de mon projet de recherche, alors que certaines victimes sont prêtes à pardonner, d'autres gardent le désir de se venger de leur épreuve. Toutefois, selon l'approche de la justice restaurative, ces émotions vengeresses, qui constituent une source de souffrance, doivent être affrontées pour surmonter le mal. En d'autres termes, bien que la justice restaurative encourage une approche non vengeresse de la justice, pardonner et demander pardon reste un choix personnel, respectivement de la victime et du délinquant.

 


[1] Dans la gestion de l’après-guerre, la justice doit tenir compte de différents aspects pour être satisfaisante et ne pas ajouter des blessures au conflit : vérité, responsabilité, réparation, réconciliation.

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