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Manifestations au Brésil : que se passe-t-il réellement ?

Arnaud de Malartic   20 juin 2013
Temps de lecture 4 mn

Des images de guérilla urbaine ont tourné en boucle aussi bien sur les réseaux sociaux que sur les grandes chaînes d'informations internationales. Et aussitôt beaucoup de questions se posent : d'où vient cette violence? Que veulent les manifestants et tout d'abord qui sont-ils ? Retour sur un mouvement qui a surpris tout le monde.


Manifestation pacifique à São Paulo

A l'origine : l'augmentation du prix du bus à São Paulo
C'est ce que l'on pourrait justement appeler « la goutte d'eau qui fait déborder le vase » : l'annonce par le gouvernement de la ville, le 10 juin dernier, d'une augmentation de 20 centimes du prix des transports (passant de 3 à 3,20 reais soit de 1,03 à 1,10 euro). Aussitôt divers groupes d'usagers se retrouvent sur les réseaux sociaux et s'entendent pour manifester. C'est une première que ce type de protestation contre une augmentation de prix de transports publics. De façon générale les brésiliens sont vus comme plutôt soumis aux lois, acceptant ce type de mesures et peu enclins à la contestation en public.

Ce qui a provoqué un tollé d'indignation c'est la violence de la répression policière le 11 juin, sans aucun doute largement disproportionnée par rapport à la manifestation. Des balles de caoutchouc ont été tirés (une de ces balles a atteint l'oeil d'une journaliste et les images ont tout de suite fait le buzz) et des gaz lacrymogènes lancés contre des personnes qui n'avaient aucunement un profil de casseurs et qui ont néanmoins été traités comme tels.

Le mouvement prend de l'ampleur
L'usage de la force pour disperser une manifestation pacifique dont les revendications paraissent légitimes (« Pourquoi payer plus cher un service qui ne cesse de se dégrader ? ») a comme mis sur le tapis d'autres revendications. Cela fait l'effet d'une soupape de sécurité qui saute. Cette fois, c'est un profond sentiment d'injustice qui a été crié dans les rues. On a vu apparaître des slogans tels que « Des milliards sont investis dans les stades de football et à côté des hôpitaux n'ont pas de quoi fonctionner » et certains allaient même jusqu'à écrire « Boycott de la coupe du monde de football » et même « Le Brésil ce n'est pas seulement le football ». La frustration s'est logiquement déplacée du côté des hommes politiques : « Marre de la corruption », « Les politiciens du mensalão[1] ne sont toujours pas sous les verrous et on nous tire dessus » ; pour finalement demander au gouvernement de faire plus d'efforts en terme de « santé, transport et sécurité » (les trois principales revendications).

Paix, violence et tentatives de récupération
Ce qui a marqué les brésiliens vivant sur place à Rio ou São Paulo (où ont eu lieu les principales manifestations) c'est le caractère pacifique des manifestants. Beaucoup avaient même des panneaux avec des cœurs et la plupart des slogans tournaient autour de la paix. En revanche, les médias internationaux massivement présents sur place pour la coupe des Confédérations[2] qui se déroule actuellement au Brésil, ont surtout retenu et filmé les groupes de casseurs (environ 200 d'entre eux ont tenté le 17 juin de prendre d'assaut le parlement de Rio). Des voitures ont été incendiées et des personnes blessées (dont des policiers). Mais tous ces incidents ont principalement eu lieu la nuit alors que durant la journée les cortèges défilaient tranquillement.

Certains groupes et lobbies se sont aussi joints au manifestants pour faire état de leur revendications (comme le groupe « Passe Livre » qui réclame une gratuité totale et permanente des transports publics) et tenter de récupérer le mouvement. Beaucoup de slogans n'ont donc rien à voir avec les demandes de 98% des manifestants.

Et qui sont ces manifestants?
Les témoins sur place sont unanimes, il s'agit principalement d'étudiants. D'où la phrase de la présidente Dilma qui tente d'apaiser un conflit qu'elle n'avait pas vu venir : « On ne peut empêcher la jeunesse de manifester[3] ». L'écrasante majorité veut justement que les problèmes au Brésil soient résolus sans violence et demandent la paix et la sécurité. Ils ne se revendiquent d'aucun parti ou syndicat et n'ont que les réseaux sociaux pour les fédérer. Quant à ceux qui ne sont pas descendus dans la rue pour manifester ils soutiennent unanimement les manifestants.

Voici le témoignage d'un cadre dont les bureaux donnent sur l'avenue Rio Branco à Rio de Janeiro où ont eu lieu les manifestations de lundi : « Sont passés aujourd'hui, lundi 17 juin, plus ou moins 100 000  manifestants pacifiques et presque tous des étudiants. Il n'y a aucun dégât et tout est calme. Les slogans sont contre la corruption, on sent que les gens sont saturés. Le coût des grands évènements qu'organise le Brésil ne semble pas soutenable et disproportionné par rapport aux problèmes sociaux non encore résolus ».

Un autre disait aussi : « Ce sont surtout des étudiants qui malheureusement subissent des tentatives des récupération de groupes qui en profitent pour faire passer leurs revendications ou pour casser. Mais les personnes veulent la paix, la fin de la corruption et des investissements dans la santé, l'éducation et les transports. Tous mes collègues soutiennent les manifestants ».

Une première réaction de l'Eglise
Elle vient du cardinal Odilo Scherer, archevêque de São Paulo qui, le 18 juin, a souligné dans une déclaration « le caractère positif » des manifestations car elle aidaient à « réveiller la conscience du peuple ».

Sur la radio Bandeirantes[4], le cardinal expliquait ainsi sa position : « Dans une société démocratique, il est important que le peuple se manifeste, qu'il sorte de sa somnolence, qu'il ne délègue pas totalement sa représentation à ceux qui de fait le représentent et exercent une charge, mais que les personnes, au-delà des partis, continuent à avoir une volonté politique, leur propre volonté d'expression, qui apparaît aujourd'hui de plusieurs façons, dans la voix des étudiants qui demandent plus de sécurité et des meilleures conditions de soins et de transports ».

En conclusion Dom Odilo demande « même si ces voix viennent des places, qu'elles puissent être entendues et comprises » et désapprouve aussi « les actes de vandalisme et les manifestations de violence, qu'elle soient de la part des manifestants ou de la part des policiers ».

L'image de violences incontrôlées au Brésil donnée en ce moment par la plupart des médias internationaux est donc plus à classer dans la série de l'information-spectacle que dans un reflet fidèle des transformations de la société brésilienne. Ce qu'il faut surtout retenir des ces derniers jours, c'est le caractère pacifique et spontané de ces manifestations, leur diffusion grâce à internet et la justesse de leur revendications lorsqu'il s'agit par exemple de ne pas donner à un sport une importance excessive au détriment des problèmes sociaux. Tout réveil de la société ne peut que donner un juste avertissement aux hommes qui la gouvernent. Il peut néanmoins être regrettable  qu'un moyen « ordinaire » (le vote) de changer la société ne soit pas utilisé à meilleur escient que les moyens « extraordinaires » (la manifestation dans la rue).            

 

Photo en page d'accueil : CC BY-SA bfernandes

 


[1] Le plus grand scandale de corruption du Brésil sous la présidence de Lula. Initié en 2004 et jugé en 2012. Beaucoup de condamnations ont été prononcées mais aucun homme politique n'effectue sa peine en prison comme prévu. 
[2] Sorte de mini coupe du monde, de répétition générale avec la Coupe du monde de football de 2014.
[3] Déclaration à l'AFP le 18 juin 2013.
[4] Information publiée sur le site de la communauté Canção Nova et reprise par l'édition portugaise de l'agence d'information Zenith, édition du 18 juin 2013.

 

 

 

 

 

 

 

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5 Commentaires

  1. Paulette

    Merci Beaucoup P.Arnold, pour cette bon article que montre bien, le pourqoui de ces manifestation.

    Réveiller la conscience du peuple, voila que ces mots sont bien juste, nous avons besoin de réveiller notre conscience et s'engager a que le Bresil avance. 

    Boycott de la coupe du monde de football , Cela je ne trouve pas juste, car les bresilenne ont été les premieres a critiquer la selection Bresilienne de ne pas jouer avec fierte et donc de ne pas avoir eu la Copa depuis longtemps, oui c'est vrai le Bresil ce ne pas que le Foot, mais a moi cela faire bien plaisir que cela aussi commence e se réveiller.

    Tout ça juste pour remercie de montrer au moins dans cette blog le vrai visage des manifestations au Bresil a ce moments.

  2. Super-Dupont

    Selon le journal La croix et la banière (20/06), affichant des photos du type flambée nocturne après la manif pour tous, le Roi Pelé aurait rappelé ses compatriotes à l'ordre: "Nous allons oublier toute cette confusion qui se passe au Brésil et nous allons penser que la sélection brésilienne est notre pays, est notre sang". Voilà qui est sage, bien que surprenant. Surprentant? En France c'nosu avions bien  : "Nous allons oublier toute cette confusion qui se passe en France et nous allons penser que le mariage pour tous est la solution à tous nos problèmes (sociaux économiques, politiques, religieux, il lira aussi l'avenir, reformera votre couple, vous rendra riche et beau (si si). Mais alors, pourquoi, mais pourquooooooiiiiiii êtes vous siiii méchaaaannnts?

     

  3. Enfin une bouffée d'oxygene pour l'Amérique latine:

    Non, le développement économique n'est pas tout et ne justifie pas tout!

    Il est temps de passer à la suite: la justice sociale!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

  4. Guillet

    Même interprétation de ces manif qu’enFrance ou l’on fait passer la Manif pour tous pour un dangereux mouvement de cathos d’extreme droite:quand donc les médias( et chez nous un journal dit d’Eglise comme la Croix)pourront- ils donner une vision sans excessive partialité des événements du monde et ne pas fausser la réalité des faits?

    1. Arnaud de Malartic

      Dans la cas du Brésil il n'y a pas eu volonté de dénigrer le mouvement et ses revendications comme pour la Manif pour Tous. Les médias brésiliens étaient même favorables aux manifestants. Mais comme toujours il y a eu ce désir de recherche du spectaculaire, de l'info-choc et donc les images qui sont apparues furent celles des destructions, de voitures en flammes, de billeteries détruites. De leurs côté, la plupart des médias internationaux présents lors de la coupe des Confédérations en sont restés là et ont assimilé ces actes de vandalisme à une "juste colère" d'une "masse oppressée", d'une soit disant révolte violente d'une classe moyenne contre l'injustice. On ne peut que déplorer cette façon d'en rester en surface de la réalité sans en explorer toute les facettes. Il manque le désir de rendre compte de ce qui se passe dans sa totalité. Il y a eu comme une surenchère à qui montrera l'image la plus violente alors que ce qui se passait dans les cortèges, les slogans, l'humeur (et l'humour) de la foule aurait été bien plus passionnante à analyser et rendre compte.