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« J’ai déjeuné avec le Pape »

Arnaud de Malartic   16 août 2013
Interview de Marcelo Galeano, temps de lecture 6 mn

Marcelo Galeano, argentin, ex-volontaire du Point-Cœur de la Sagrada Familia (Simões Filho, Bahia) en 2009/2010 et travaillant au secteur de traduction des JMJ, faisait partie des 12 jeunes qui ont déjeuné avec le pape François le vendredi 27 juillet. De passage à Salvador da Bahia pour revoir ses amis il nous livre ses impressions sur ce déjeuner pas banal. 

Marcelo, comment s'est passé ce repas avec le pape François ?
Cela a été très simple et en même temps bien intense. On était 12 jeunes de différentes parties du monde, la majorité travaillant au COL (Comité Organisateur Local). Il a été bien simple, un pasteur, un père. La première chose qu'il a fait en arrivant a été de nous saluer personnellement, comme si on se connaissait déjà.

Ensuite on s'est assis et il a dit : « Vous pouvez parler de ce que vous voulez, poser les questions que vous voulez, c'est le moment. Et s'il y a quelque chose avec laquelle vous n'êtes pas d'accord dans ce que je vais dire alors dites-le. Je viens aussi écouter vos avis et ce que vous pensez ».

Comment la rencontre a-t-elle commencé ?
Quand il est arrivé on s'est chacun présenté et au moment de s'asseoir on a chacun pu parler un peu de nous, d'où l'on vient, ce que l'on fait. Je me suis présenté et j'ai dit qui j'étais. Ce qui l'intéressait c'était « Quel est votre engagement au sein de l'Eglise? ». Je lui ai dit alors que j'étais parti en mission avec Points-Cœur, il s'est alors comme souvenu de notre Mouvement et il a dit : « Ah si, Puntos-Corazon… », et je lui ai parlé de mon chemin depuis l'école jusqu'au COL.

De quoi avez-vous parlé ensuite pendant le déjeuner ?
De tout. Quelques thèmes avaient déjà été abordés jeudi et aussi lors des ses audiences privées. Il a repris des points qu'il allait ensuite développer lors de la vigile de samedi et de la messe finale. Il nous a redit sa préoccupation pour les jeunes, pour le chemin qu'ils ont à parcourir aujourd'hui.

Il nous a parlé aussi des changements dans l'Eglise, de ce qui doit changer, et aussi il nous a beaucoup écouté, il était préoccupé pour nous.

Il a parlé de la réforme de l'Eglise ?
Il a dit que cela va prendre du temps. Mais que « ce n'est pas juste une question de changement de structure, c'est plus un changement de mentalité ». Il a parlé de ce qu'il allait dire aux évêques, qu'ils ne devaient pas avoir « la psychologie du Prince », qu'ils devaient « sortir et avoir un cœur plus pastoral », de ne pas rester dans l'ombre et bouger plus.  

On lui a dit qu'on sentait un changement entre Benoit XVI et lui, un changement perceptible et donc on lui a demandé comment à travers l'histoire de l'Eglise les conciles, les papes, comment discerner ce qui devait changer, ce qui avait changé, ce qu'on avait perdu et ce qu'on avait gagné.

Il a d'abord parlé de l'apport de Benoit XVI sur l'étude des rapports foi et raison, combien c'était important et qu'il allait continuer dans cette voie.

Puis il a ajouté : « Du passé on perçoit les traces de pas, du futur on perçoit les promesses, mais Dieu est du présent. Ici et maintenant. Celui qui veut rester dans le passé est dans l'erreur. L'Eglise doit changer mais pas parce que je le veux. Parce qu'elle en a besoin. Elle doit donner des réponses aux nécessités et préocupations de l'homme du temps où elle vit. Donc elle doit changer. On ne peut pas vivre au IVe siècle, on est au XXIe siècle ». 

« Cela ne dépend pas de moi, l'histoire va de l'avant, cela c'est un fait qui me dépasse ».

De quel autre thème important avez-vous parlé ?
On a aussi parlé de combien aujourd'hui il est important pour nous d'avoir des personnes qui nous accompagnent et il a dit : « Il est nécessaire que vous rencontriez des personnes de confiance qui vous aident dans votre vie de foi. Moi comme pape j'en ai besoin. Nous ne pouvons pas vivre seuls. C'est une nécessité d'avoir aussi des accompagnateurs, des conseillers, parce qu'on en a besoin. Moi comme pape je ne sais pas tout, j'ai besoin de personnes qui m'accompagnent. C'est pour cela que j'ai créé des commissions pour les réformes mais j'ai aussi mon confesseur ».

On aurait aimé lui poser plus de questions mais on était suspendu à ces paroles, on se disait « je vais aussi poser telle ou telle question et en même temps « non qu'il continue à parler, je ne peux pas l'interrompre c'est trop passionant ».

Le thème de la jeunesse aujourd'hui a-t-il été évoqué entre vous ?
Il a parlé du monde dans lequel nous vivons, de ce monde qui manque d'humanité, il a repris ce qu'il avait dit juste avant : « C'est un scandale international dans les médias lorsque la bourse baisse d'un point mais rien n'est dit lorsqu'une personne meurt de faim ».

Et il a dit à la fin de la rencontre, une chose qui nous fait tous pleurer. Une fille lui a posé une question sur la souffrance, ellle habitait dans une famille où un enfant avait des problèmes de cœur et donc elle a demandé : « Comment est-ce possible qu'un enfant souffre ainsi ? Où est Dieu ? ». Et alors le pape a dit : « Je vais vous poser une question, ne répondez pas maintenant, après vous répondrez dans la prière. Pourquoi pensez-vous que des innocents souffrent dans le monde, pourquoi ? Pourquoi des jeunes se tuent, des personnes meurent… vous rencontrerez des réponses lorsque votre cœur pleurera pour eux et alors sans aucun doute vous serez plus proches du cœur de Dieu ». 

De fait nous pleurions tous : « Vous êtes en train de vivre de grandes émotions en ce moment, cela se voit », « N'oubliez pas que vous êtes des privilégiés si vous êtes aujourd'hui ici ».

Il a dit aussi : « Les jeunes sont disponibles pour aider à travailler dans l'Eglise mais parfois il y a tellement de bureaucratie que cela les décourage. Lettres pour ceci, lettres pour cela… et tu termines énervé ». Il nous a cité cette anecdote : « Je connais un prêtre en Argentine qui a rénové sa paroisse uniquement en commençant par aller distribuer des repas dans la rue. Des paroissiens l'ont accompagné et le climat a changé, les gens sont devenus plus intérieurs, plus fervents… mais imaginez si un jeune arrive et on lui dit : « Tu t'es confessé, tu as communié ? Tu as été à la messe le dimanche ? Tu vis seul ou avec quelqu'un?  Si tu lui poses ces questions tu es alors en train de lui dire : « Es-tu digne de faire quelque chose ? ». Tu lui fais mériter son entrée dans l'Eglise ».

Il a aussi dit que le pire pour un jeune c'est « de ne plus voir le sens. Si tu ne donnes pas de sens tu le tues ».

A-t-il voulu vous transmettre quelque chose, insistait-il sur un point particulier ?
Il nous a encouragés : « Vous devez être protagonistes de votre prore vie ». Il nous disait aussi : « Aujourd'hui il y a un problème grave. La déshumanisation des personnes, la culture du jetable, celui qui ne sert pas est jeté. Beaucoup de jeunes sont exclus aujourd'hui. Les jeunes et les personnes âgées ». Cela il l'avait déjà dit à la cathédrale lors de la rencontre avec les argentins mais il l'a repris avec nous : « On ne peut exclure les jeunes et les personnes âgées, qui sont les deux piliers de la société : les jeunes car c'est la force du futur, ceux qui amènent l'utopie à la société, et les personnes âgées car elles transmettent la sagesse. Il faut prendre soin d'elles ».

A une question sur la vocation il nous a conseillé : « Vous devez être accompagnés par des personnes de confiance. Et aussi prier ». Il nous disait cela aussi avec humour : « Mais attention à ne pas tomber sur un prêtre amer dans son ministère ! Méfiez-vous aussi des prêtres trop passionnés car ils voudront vous embrigader pour automatiquement être prêtre ! Trouvez des prêtres entre ces deux extrêmes ! Même chose avec les sœurs! »

A une question sur la mission il a bien insisté : « Il faut rencontrer les personnes là où elles sont. Il faut montrer aux personnes comment vivre la foi là où elles sont. Je ne pense pas qu'il faille retirer les gens de leur milieu pour leur enseigner la foi. Mais aller les rejoindre là où elles sont : dans la rue, dans leurs maisons, dans les prisons, les hôpitaux. Il faut aller dans leur environnement, apprendre à vivre de la foi ici et maintenant ».

Qu'as-tu pu percevoir du pape à travers ce temps avec lui ?
On sent un homme intérieur, un homme de prière. Ce n'est pas un homme de pouvoir. Il fait des blagues, il nous a dit par exemple : « Vous devez écouter, bon, ne faites pas comme moi qui écoute encore si peu l'Esprit-Saint. Mais bon je ne sais pas, il faut que j'apprenne chaque jour ».

Il semble préoccupé par le bonheur et la dignité de tous les hommes et ce, avant tout prosélytisme. Au-delà de toute religion, condition sociale…

Le fait d'écouter ne vous a pas coupé l'appétit ?
Au contraire, on a tout mangé ! On avait très faim ! Et lui aussi. On a fini avec quelques questions sur nous. Et il a conclu : « Lorsque vous vous sentez mal vous allez où ? Un enfant cela va dans les bras de sa mère, alors maintenant chacun dans sa langue va prier un Ave Maria ».

Puis on a entendu du bruit à l'extérieur et il nous a confié un peu triste : « Bon c'est la fin, la police est à la porte… » mais est apparue une sœur avec du café et il a dit : « Super on a du café, on a donc encore un peu de temps ».

Il est reparti à 14h00, notre déjeuner a donc duré une heure et demi ! »

Et comment cela s'est passé ensuite ?
Dans la foulée on a été emmenés dans un bus trop grand pour nous et entouré de policiers. Ils nous ont conduits au Fort de Copacabana pour le point presse. Une meute de journalistes nous suivait en courant. Il a fallu passer beaucoup de temps pour répondre à leurs nombreuses questions. Mon cellulaire n'arrêtait pas de sonner. Je ne compte plus les interviews données.

S'il fallait un mot pour qualifier cette rencontre c'est "simplicité" qui me vient à l'esprit. Et en même temps c'était exceptionnel.

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3 Commentaires

  1. André Gilmas

    Cet article est exceptionnel ! Cela m'a rappelé que nous avons vécu, ma femme et moi, dans ce Point-Cœur de la Sagrada Familia à Simoes Filho où notre fille Sabrina était "amie des enfants" en 2005-2006.