Home > Cinéma, Théâtre > Qu’est-ce qui fait d’un préfet un Papon ou un Jean Moulin ?

Qu’est-ce qui fait d’un préfet un Papon ou un Jean Moulin ?

de Jean-Marie Porté   9 septembre 2013
Présentation d'une vidéo d'Estelle Beauvais
Temps de lecture 2 mn

La réalisatrice Estelle Beauvais a rencontré en août dernier le philosophe et psychanalyste argentin Miguel Benasayag, dans le cadre de son projet auto-produit « La Fragilité ». Ce dernier, au fil de la conversation, a livré des clefs de lecture passionnantes de notre actualité à travers sa sensibilité de rescapé de la torture, sa réflexion philosophique et son expérience clinique.


© Tous droits réservés

Dans cette interview assez longue, Miguel Benasayag livre un regard sur le monde marqué par son expérience dans les geôles de la dictature militaire. Il a pu assister aux premières loges à la dérive de personnes bien concrètes dans l’usage de la violence.

La grandeur de sa réflexion tient à une expérience humaine profonde faite alors, face à la question du mal. Il s’aperçoit que la seule chose capable de le porter ne peut plus être sa propre violence mise au service d’un système de pensée, mais le tissu fragile d’amitiés qu’il appelle « constellation ».

Voilà ce qu’il désigne comme « voie organique de résistance face à la folie actuelle ». Pour lui, une personnalité se met à résister lorsqu’elle est soutenue, non pas par ce que l’homme considère comme solide (idéologie, force, volonté…), mais par le mystère de liens tissés au fil de la vie, à travers des expériences de compassion : « Ce sont les cassés, les laissés-pour-compte, et non pas la force des grands systèmes, qui font la vie. Il faut se méfier des gens qui pensent bien ».

Si sa constatation est assez sombre : « Ces constellations sont faites de liens subtils, pas évidents, contradictoires ; comme notre société écrase tout ça, elle glisse dans la barbarie », elle n’en dessine pas moins un chemin praticable plein d’humanité. Elle est comme un courant d’air frais au milieu des batailles de pensée. Elle montre où se bâtissent les valeurs qui porteront dans la tourmente : dans le choix de ses amis.

 

LA FRAGILITÉ – EPISODE 2 (version française) from Estelle Beauvais

La réalisatrice
Estelle Beauvais est réalisatrice et cinéaste. Elle travaille en parallèle à des projets très personnels et à des films de commande.

Menée par une impulsion intérieure en réaction à la violence extrême du paysage audiovisuel, elle cherche à livrer un cinéma qui soit une oasis de fraîcheur. Son projet « La Fragilité » s’inscrit dans ce désir, montrant quelques visages pour lesquels la fragilité n’est plus un stigmate, mais une façon de vivre.

Dans son prologue à ce projet, elle note : « Les notions de normalité et de perfection sont illusion. Elles nuisent à notre bonheur, à l’existence. A mon sens, renouer avec sa propre fragilité permet de dépasser l’illusion de la perfection humaine. J’ai la conviction qu’accepter sa fragilité, c’est se donner les moyens d’exister et d’avancer. » Son regard sur la souffrance et la brisure porte ainsi bien plus profond que la simple constatation d’un dysfonctionnement. Il est métaphysique, porteur d’espérance dans l’ambiance toxique des mauvaises nouvelles et des railleries, des cancans et autres superficialités qui nous poussent au cynisme.

Elle rencontre Miguel Benasayag à travers son livre « La Fragilité », publié aux éditions La Découverte en 2004. La rencontre avec le philosophe, la découverte de sa grande personnalité (selon ses mots, sensibilité, intelligence, sympathie, bienveillance) la confirme dans l’intuition d’être là face à une source pour sa propre réflexion et pour notre société.

On lira avec profit sa courte biographie et son statement d’artiste ici, ainsi que l’introduction à la série La Fragilité ici.

 

Vous aimerez aussi
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle »
« Les huit montagnes », histoire d’une amitié
Repose en paix, Jacek Luzar Gulla
L’imprévisibilité qui nous entoure

2 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    En écoutant Miguel Benasayag, je pense au film de Louis Malle Lacombe Lucien : en 1944 , un jeune homme désire se lancer dans l'action. Parce qu'il ne fait pas la bonne rencontre , il est rejeté par la résistance. Il opte alors pour la milice de Vichy qui recrute large. Trés bel exemple de   "fragilité" d'un désir d'être qui ne sait où se placer. Mais pourquoi Benasayag pense-t-il que l'on tombe du bon côté si l'on est pris dans une "constellation", sorte de conglomérat d'individus épousant la bonne cause ? Notre réseau relationnel ne construit pas seul nos choix. Ceux-ci sont aussi déterminés par les circonstances: ancien membre de cabinet ministeriel sous le Front Populaire, Moulin sait qu'il va être révoqué par Vichy. Secrétaire d'Etat dans le gouvernement de Paul Raynaud en juin 40, Charles de Gaulle est chargé des contacts avec Churchill et se trouve ainsi placé en orbite pour partir pour Londres. Les choix sont parfois aidés par les circonstances, ce qui les empêche pas d'être aussi le fruit de déterminations et de lucidités individuelles. Concédons à Benasayag qu'ils sont aussi le fruit d'influences collectives, mais qui peuvent s'exercer dans des sens divers.