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Les trouble-fêtes des élections fédérales allemandes

Fondé il y a à peine 4 mois, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) se retrouve soudain dans une position enviée. Tout indique qu’il lui reviendra, après les élections de dimanche, de jouer le rôle d’arbitre dans la formation d’une coalition gouvernementale.


Beatrix von Storch © Tous droits réservés

Pour ce qui est des candidats, tout semble déjà joué : Angela Merkel l’emportera haut la main sur le candidat socialiste Peer Steinbrück qui a multiplié les maladresses et les bourdes pendant sa campagne. En revanche, l’équilibre des forces à gauche et à droite de l’échiquier politique reste indécis. Les partis démocrates chrétiens (CDU, CSU) obtiennent environ 40% des intentions de vote et leurs alliés libéraux traditionnels du FDP ne semblent pas en mesure de leur fournir les plus de 10 % nécessaires à une coalition majoritaire. Ceci d’autant plus qu’ils viennent d’essuyer un cuisant échec électoral en Bavière, perdant deux tiers de leurs voix au profit du CSU. Du côté de la gauche même problème : les voix réunies des partis socialiste, communiste et vert (SPD, die Linke, die Grüne) n’atteindraient pas la moitié des sièges.[1]

Les sondages attribuent à l’AfD entre 2,5 et 5 % des intentions de vote, ce qui non seulement lui ouvrirait éventuellement les portes du Bundestag (Parlement fédéral), mais encore le place en position d’arbitre entre les deux blocs. Ce qui se profile à l’horizon, si vraiment l’AfD perce, c’est une « grande coalition » des conservateurs et des progressistes, qui permettrait à A. Merkel de gouverner.

De fait, l’ennui profond qui a caractérisé la campagne est analysé par beaucoup de commentateurs comme le résultat d’une similitude de fond entre les programmes du SPD et du CDU : sauvetage inconditionnel de l’Euro, mutualisation des dettes des états, transfert croissant de souveraineté vers les institutions européennes, poursuite de l’adaptation de la législation aux changements sociaux. Le journal Die Welt titrait avant hier Le mystère AfD et les secrets de son succès – le parti qui rend passionnant le débat électoral.

En effet, l’AfD, avec le slogan « là où tous sont du même avis, il est nécessaire d’en avoir un deuxième » porte sur le devant de la scène bien des thèses considérées comme indéfendables par l’establishment :

– Sauver l’Europe, notamment en changeant radicalement sa politique monétaire (division éventuelle de la zone euro en diverses zones monétaires correspondant à leur situation économique, voire réintroduction des monnaies nationales, obligation faite aux banques de supporter elles-mêmes leurs pertes…), et le cours toujours plus centralisateur des élites européennes au profit d’un vrai fédéralisme basé sur le principe de subsidiarité.

– Remettre la famille et l’enfant au centre des préoccupations politiques.

– Défendre le principe de subsidiarité dans l’éducation : les parents sont les premiers éducateurs et la formation des enfants est le premier devoir de la famille.

– S’appuyer sur le modèle canadien pour la politique d’intégration (interculturalisme[2] contre républicanisme à la française et communautarisme à l’anglaise), privilégier une immigration qualifiée et désireuse de s’intégrer et assouplir le droit d’asile pour les réfugiés politiques.

– Réaliser une simplification drastique du système d’imposition (selon les propositions de Paul Kirchhof : taux d’imposition unique à 25% avec dérogation à 10 ou 15 % pour les revenus faibles et suppression de toutes les niches fiscales).

– Renforcer la démocratie directe en introduisant des réferendums et des initiatives populaires selon le modèle suisse, etc.

Un membre typique de l’AfD est la candidate berlinoise Beatrix von Storch. Elle s’appuie sur une vision claire de l’identité allemande, de sa place dans la construction d’une Europe fédérale. Elle a trouvé dans le soutien inattendu reçu pendant sa campagne la confirmation de ce que les thèses politiques de son parti, portées principalement par des gens issus du milieu universitaire, rencontrent largement les préoccupations des citoyens « normaux ». Sa plate-forme Internet Abgeordnetencheck et le lobby Coalition Civile, à travers lesquels elle permet aux simples citoyens d’entrer en contact avec leurs députés, sont représentatifs de son engagement pour une vraie culture démocratique.

Les événements récents montrent que l’AfD dérange (agressions physiques pendant la campagne[3]) ; il ne serait pas étonnant que les pressions et les attaques augmentent avec le succès de ce parti.

Le score de l’AfD sera le facteur le plus regardé par les commentateurs lors des élections de dimanche. La semaine suivant les élections sera probablement extrêmement passionnante à suivre pour observer nos voisins d’Outre-Rhin dans leur tradition de consensus et de dialogue confrontés soudain au trublion AfD.

 

Site de Beatrix von Storch : http://www.beatrixvonstorch.de

 

Photo en page d'accueil : CC BY tjuel


[1] Le dernier sondage de l’institut INSA entre dimanche et mercredi dernier donne les résultats suivants : CDU/CSU 38 %, FDP 6%, SPD 28%, die Grüne 8 %, die Linke 9 % et AfD 5 %
[2] Un court article à ce propos : http://www.souriezvous.com/2011/03/l’interculturalisme-un-modele-d’integration-a-privilegier-pour-le-quebec/
[3] à ce sujet, on peut consulter l’article des Echos : http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/reuters-00544616-allemagne-un-chef-du-parti-afd-agresse-par-des-extremistes-de-gauche-597657.php

 

 

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5 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    Les éléctions allemandes sont toujours passionnantes à suivre: tout n'est pas joué le soir du scrutin comme dans nos élections législatives françaises. Aucun parti ne peut avoir à lui seul la majorité absolue puisque la moitié des députés sont élus à la proportionnelle. Les partis charnières (AfD et parti libéral) vont-ils dépasser les 5% des voix qui leur permettront d'être représentés au Bundestag ? Angela Merkel sera réélue, mais sa politique ne sera pas la même selon qu'elle devra s'allier avec les libéraux (cemme en 2009-2013) ou avec les sociaux-démocrates (comme en 2005-2009) si les libéraux sont éliminés.

  2. Héribert

    Merci pour cet article ! Enfin quelqu'un qui dénonce la logique plate et faisandée de l'idéologie moraliste de nos "européistes" modernes. Autant l'union voulue par les pères du Traité de Rome était un élan de réconciliation, une tentative de collaborer au désir de paix des peuples, autant la ligne actuelle ressemble de plus en plus furieusement au vieux rêve socialiste de contraindre les hommes à s'aimer les uns les autres. Quand on entend "collectivisation des dettes", on songe involontairement au kolkhoze… avec un frisson glacé sur l'échine.

    Je trouve votre article d'autant plus intéressant que bien des chrétiens de mes amis argumentent souvent dans l'autre sens : "l'euro permet aux peuples d'être solidaires". Solidaires bien malgré eux ! Cela me fait revenir en mémoire un passage du journal du regretté p. Schmemann, qui écrivait en 1981:

    "Le socialisme est un mensonge sur le monde, sur l'homme, sur Dieu, sur le sens de la vie, sur le sens de tout. […] Le socialisme, nous dit-on, est contre la "propriété privée" et le Christ enseignait justement cela. Mais voilà bien le tour de passe-passe du mal socialiste. Car le Chist n'enseignait nullement que le monde est une propriété collective : il enseignait que le monde appartient à Dieu. Sans parler du fait que la notion de propriété collective est absurde en soi, car contradictoire. La propriété ne peut être que personnelle. La révélation apportée par le Christ, c'est que chacun reçoit le monde en propre, de sorte que chacun est copropriétaire du monde avec Dieu. L'authentique propriété, c'est reconnaître toute chose comme don de Dieu et moyen de communion avec Lui. Propriétaire du monde, roi du monde, seule la personne peut l'être. Et toute propriété collective est toujours dans une certaine mesure du vol. Elle vole Dieu, elle vole l'homme.

    Bon, et le capitalisme ? L'argent qui produit l'argent, cette rage de s'enrichir, est-ce chrétien ? Non, ce n'est pas chrétien dans la mesure où il n'y a rien de chrétien dans ce monde déchu et livré au péché. Le capitalisme est monstrueux et caricatural, certes, mais il est une caricature de quelque chose qui en fait est inhérent à la création divine. Car Dieu nous donne le monde justement comme un capital afin que nous le fassions fructifier et que nous le rendions à Dieu "avec les intérêts". L'idée même de multiplier, amasser, faire accroître, est une "idée de Dieu" (si l'on peut dire), une idée inhérente au projet de Dieu sur le monde. La vie est un perpétuel "investissement de capitaux" – ainsi l'éducation, la culture, l'agriculture et tout labeur "productif" confié à l'homme.

    L'unique commandement de Dieu, c'est que nous ne nous enrichissions pas "en nous-mêmes" mais "en Dieu", ce qui signifie s'enrichir en collaboration avec Lui, afin que toute fructification soit pour la gloire de Dieu, qu'elle soit une moisson que ni le ver ni la rouille ne corrompent. C'est pourquoi l'instinct du capitalisme est juste, même si lui-même ainsi que toute chose en ce monde ne sont ni l'authentique capitalisme, ni l'authentique éducation, ni l'authentique "accroissement de richesses". Le socialisme ne cultive ni ne produit rien. Il est statique comme est statique la mort elle-même ; il est mortifère. Son idée: tout distribuer une fois pour toutes entre tous et niveler tout le monde dans ce pseudo-bonheur. Ni but à poursuivre, ni risque à prendre, ni travail à fournir, c'est-à-dire rien de ce qui est inhérent à la nature même de l'homme. La "garantie" à tout prix. Non, c'est plus qu'une caricature, plus qu'une perversion, c'est une mort collective. Le socialisme, c'est l'adoption du monde déchu et le refus de voir qu'il est déchu. C'est une contagion mortelle. C'est la réponse de l'Antichrist à Dieu."  ("Journal", 1973-1983, éditions des Syrtes, p. 785) 

    Je souhaite beaucoup de courage à Madame Storch dans sa carrière politique, car elle sera sans nul doute fortement attaquée, et sans nul doute non plus par des chrétiens bien pensant au nom de la morale. Car n'est-ce pas, il faut être gentil.

  3. Bruno ANEL

    La tentation électorale représentée par l'AfD n'est pas isolée. Il y a vingt ans déja, des amis bavarois rechignaient à payer pour les "ossies" , les Allemands de l'Est fraîchement intégrés dans la RFA. On retrouve cette tentation de repli sur soi en Grande-Bretagne avec l'UKIP. En France, elle est un des thèmes favoris du  Front National "relooké" par Marine Le Pen qui propose le retour au franc. Le même thème (Nous payons pour les autres) motive les tentations indépendantistes de la Catalogne, de la Flandre ou de l'Ecosse. Les nations riches , ou du moins celles qui pensent l'être – n'ont plus envie de payer pour tous les "Grecs" de l'Europe. Face à cette tentation égoïste, il n'y a pas beaucoup de leaders convaincus pour relancer le projet européen, qui constitue pourtant la seule issue de crise "par le haut". Hollande n'est pas Shuman, Merkel n'est pas Adenauer, Barroso n'est pas Delors.

  4. Bruno ANEL

    Bon, les élections sont faites. L'AfD n'entrera pas au Bundestag, les libéraux alliés de Merkel en sont éjectés. Angela Merkel triomphe mais doit cependant se trouver un nouveau partenaire pour gouverner: les sociaux-démocrates ou les Verts.