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Rencontre entre le Pape et Vladimir Poutine : de rivaux à alliés

d'Arnaud de Malartic  

La rencontre entre le pape François et le président Vladimir Poutine, le 25 novembre dernier, a consacré la bonne tenue des relations diplomatiques entre le Vatican et la Russie. Sans être une première (le président russe en est à sa quatrième rencontre avec un pape depuis l’an 2000), une telle rencontre consacre un tournant historique des relations entre Rome et Moscou. Il ne s’agit plus de constater l’absence de tensions entre les deux pays mais d’explorer les possibilités de coopération.


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Un peu d’histoire…
« Le Vatican, combien de divisions ? », disait ironiquement Staline alors tout puissant maître d’une Russie soviétique qui occupait la moitié de l’Europe en 1945. Lors de la guerre froide qui suivit, la persécution des puissances communistes, championnes de l’athéisme, contre l’Eglise de Rome gagna en intensité. Les chrétiens de l’Est furent réduits au silence et cette période de guerre souterraine sembla culminer avec l’attentat contre le pape Jean Paul II sur la place Saint-Pierre, le 13 mai 1981. Il s’agissait de faire taire, si besoin par le sang, celui qui commençait à faire sérieusement bouger les lignes de l’autre côté du rideau de fer. Le Vatican n’avait pas d’armée régulière mais une force spirituelle qui permit à de nombreux hommes de dire « non » au mensonge et de résister à l’oppression.

La suite est connue : en novembre 1989, le mur de Berlin tombait et l’URSS s’effondrait par la même occasion. Comme pour consacrer cette victoire sans batailles et sans morts, le chef du Kremlin de l’époque, Mikhail Gorbatchev, visitait le Vatican le 1 décembre 1989 et disait à son épouse Raïssa : « Viens, je vais te présenter l’homme le plus puissant du monde ». Le temps de la lutte était révolue, la hache de guerre entre la Russie et le Vatican fut enterrée et des relations diplomatiques instaurées le 15 mars 1990. A un Vatican, même privé de divisions armées, il fut reconnu par la communauté internationale un rôle de premier plan dans la victoire sur le communisme.

De la normalisation à la coopération
Depuis, les relations n’ont cessé de se normaliser et de s’approfondir. La rencontre du 25 novembre semble néanmoins marquer plus qu’un approfondissement. Cette fois-ci, il s’agit de la reconnaissance de buts et d’efforts diplomatiques communs, un peu sur le modèle de l’unité de la diplomatie franco–allemande. Rome et Moscou se découvrent unies par une vision géopolitique. L’initiative des « Lettres ouvertes pour la paix » (celle du pape à la Russie lors du G20 et celle du président russe aux USA en septembre dernier) a scellé cette union dans les faits. Force est de constater que de tels efforts ont payé et ont permis d’éviter, pour le moment, une internationalisation de la guerre syrienne.         

Une alliance qui passe par le chemin de Damas
L’entretien entre les deux hommes a porté, selon Zenit, « sur la recherche de la paix au Moyen Orient » et a donc été évoquée « la grave situation en Syrie ». Le communiqué souligne « les bons rapports bilatéraux » et évoque aussi « la vie de la communauté catholique en Russie » ainsi que « la contribution fondamentale du christianisme dans la société »[1].
Le Vatican ne peut que se réjouir de voir la sollicitude russe à prendre la défense des minorités chrétiennes persécutées et de le faire en premier lieu au moyen de la diplomatie. Les deux hommes parlent d’une même voix sur le sujet, l’agence Zenit dans son communiqué officiel utilisant même la formule du « nous » : « Nous avons souligné l’urgence de faire cesser les violences et d’apporter l’assistance humanitaire nécessaire à la population, ainsi que de favoriser les initiatives concrètes pour une solution pacifique du conflit qui privilégie la voie de la négociation et implique les différentes composantes ethniques et religieuses, en en reconnaissant le rôle incontournable dans la société »[2].  

Une alliance qui passe d’Ouest en Est.
« C’est quand même surprenant, dit Artur Dabrowski, président de l’action catholique polonaise de Czestochowa, qu’un homme qui vient des structures du communisme, de l’ancienne union soviétique, reconnaisse la nécessité de protéger les valeurs chrétiennes dans la vie publique ». Pour qui a connu la guerre froide en effet c’est un peu le monde à l’envers. C’est désormais contre les idéologies propagées par l’Occident, USA en tête (idéologie du genre, promotion de l’avortement, de la contraception sous le titre de « droits reproductifs », etc.), que la Russie et le Vatican semblent devenus les meilleurs alliés. L’alliance est donc passée comme de l’Ouest à l’Est et le Vatican reconnaît dans la Russie un allié de poids dans la lutte pour la promotion des droits de l’homme.

Vers un dégel entre catholiques et orthodoxes ?
C’est un des prochains grands défis pour le pape François. Ce rapprochement diplomatique Russie-Vatican inaugure-t-il un rapprochement entre la Rome catholique et le Patriarcat de Moscou ? Les relations s’étaient dégradées très significativement lors de la chute du communisme en raison de la création d’évêchés pour les catholiques de rite latin situés en territoire russe. Mais l’obstacle de taille reste, selon le métropolite Hilarion [3], « le conflit non résolu entre orthodoxes et catholiques grecs en Ukraine. A la fin des années 1980, lors de la renaissance des structures de l’Eglise greco-catholique en Ukraine occidentale, presque toutes les cathédrales qui appartenaient autrefois au patriarcat de Moscou lui ont été retirées. Et jusqu’à présent, l’Eglise orthodoxe ukrainienne rencontre des difficultés lorsqu’elle veut construire des églises dans ces régions. De même, l’activité et la mission de l’Eglise gréco-catholique s’étendent dans les terres traditionnellement orthodoxes de l’est et du sud ukrainiens, ce qui inquiète les orthodoxes » [4].   

Des points positifs cependant sont reconnus par les orthodoxes russes. Pour Hilarion « sur beaucoup de problèmes contemporains nous partageons le même regard. Je note en particulier son aspiration à rapprocher l’Eglise des pauvres et des infortunés, son souhait de réformer la gouvernance de l’Eglise vers une plus grande collégialité ». De même « son appel à la communauté internationale en faveur des chrétiens qui souffrent et sont persécutés au Proche Orient et dans d’autres régions du monde, recueille le soutien de l’Eglise russe ».
Sur la même longueur d’onde que le président Poutine, le métropolite souligne « ainsi nos positions coïncident sur le problème de l’érosion des valeurs familiales, l’atteinte aux normes sociales de l’éthique familiale traditionnelle », bref tout ce qui est « incompatible avec le principe éthique du respect de la personnalité » [5].

La grande question qui demeure reste cependant la tenue d’une rencontre entre l’actuel patriarche de toute la Russie, Kirill, et le pape François. Ce que ni Jean Paul II, ni Benoit XVI n’ont obtenu. Selon Hilarion, la possibilité d’une telle rencontre « est de plus en plus réaliste » même si « quant aux lieux possibles et à la date, aucune discussion bilatérale a eu lieu à ce sujet ». La question ukrainienne restant le principal point d’achoppement. Néanmoins, la rencontre du 25 novembre et le voyage croisé au même moment du cardinal Angelo Scola à Moscou où il a été chaleureusement reçu par le patriarche orthodoxe montre que les deux confessions sont elles aussi sur la bonne voie d’une future normalisation de leur relation.               


[1] Source : Anita Bourdin, Zenit.org, édition française du 25 novembre 2013
[2] Zenit.org, 25/11/2013
[3] Le métropolite Hilarion préside le département des relations extérieures du patriarcat de Moscou. Emissaire pour les relations extérieures du patriarche Kirill et donc « numéro 2 » de l’Eglise orthodoxe russe.
[4] Le Figaro, article WEB du 25 novembre 2013
[5]  Le Figaro, article WEB du 25 novembre 2013

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2 Commentaires

  1. Aude

    revenons aux faits :

    l'Eglise gréco-catholique  a été "réunie" de force en 1946, lors du pseudo-concile de Lviv, par le gouvernement soviétique au patriarcat de Moscou avec la participation forcée de ce dernier. Pendant toute la période soviétique l'église gréco-catholique  a donc été "éliminée" et elle est devenue une église des catacombes, voyant un grand nombre de ses évêques, ses prêtres, ses laïcs, tués, déportés dans les Goulags. Le gouvernement de Moscou a alors donné au patriarcat de Moscou un grand nombre d'églises : c'était la seule église autorisée à exister et les gens qui voulaient continuer à prier à l'Eglise devaient aller à l'église orthodoxe russe. En 1989 l'église gréco-catholique est de nouveau autorisée à exister  et beaucoup de ses communautés qui étaient passées à l'Eglise russe  ont déclaré qu'elles n'en avaient plus besoin  : plus de 1000 communautés se sont alors enregistrées comme gréco-catholique et les conflits ont éclatés avec la restitutions des bâtiments d'églises. 

    Actuellement beaucoup d'orthodoxes en Ukraine souhaitent une Eglise réconciliée, capable d'être elle-même, à la fois ukrainienne, indépendante, et ouverte sur Moscou, Rome et Constantinople.

  2. Michel de Malartic

    La séparation actuelle est difficile à comprendre pour les etrangers à la Russie et à l'Ukraine.

    C'est un sujet de dérision pour tous les anti-cléricaux.

    Poutine n'est pas un converti, mais un homme de pouvoir, format-KGB.

    Prudence donc, mais ne laissons pas passer  l'occasion de consolider une chrétienté renaissante. 

    MMM

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