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Synode de la famille ou synode des médias ?

A l’occasion de l’ouverture du synode sur la famille, Sandro Magister se risque à en donner quelques clés de lecture, fondées sur l’enseignement de Benoît XVI, sur l’herméneutique conciliaire et sur ses années d’expérience de journaliste vaticaniste.

Sandro Magister est professeur à l’université d’Urbino et journaliste international : il est correspondant pour La Repubblica, l’Espresso, la chaîne T 2000… Son blog « chiesa » est déjà traduit en 4 langues, dont le français.

Le synode qui s’est ouvert cette semaine avec le consistoire doit travailler en octobre prochain et ne rendre ses conclusions qu’en 2015. Pourtant la presse essaye déjà d’influencer les futures décisions dans le sens de l’esprit du monde.

Les partisans d’un changement dans la morale conjugale et d’une adaptation de l’Eglise au paradigme familial européen reprennent, pour appuyer leur démarche, des phrases slogan du pape François telles que « Les pasteurs doivent avoir l’odeur de leurs brebis » ou celle plus explicite encore « Les pasteurs doivent savoir marcher non seulement au-devant et au milieu de leur troupeau, mais également derrière, parce que le troupeau lui-même sait sentir où se trouve le bon chemin ».

L’argument pour un changement concerne le fait d’être majoritaires, c’est pourquoi les partisans de ce changement utilisent habilement la presse comme moyen de pression. Plusieurs prélats espèrent ainsi briller en se faisant l’écho de l’opinion publique.

D’ici la première réunion d’octobre, la pression médiatique devrait fortement augmenter en particulier celle provenant des pays occidentaux où la foi s’éteint. Les revendications de la « base » ne concernent pas seulement l’autorisation de communier pour les divorcés ou les autres confessions chrétiennes, mais une évolution de la doctrine et de la pratique catholiques pour les différents sujets à l’ordre du jour, comme par exemple la question des couples homosexuels, la façon d’engendrer ou d’adopter.

S’il s’agit d’influencer, il s’agit aussi de faire un synode médiatique et parallèle, fondé sur les valeurs du monde, la pression médiatique, une herméneutique du mariage et de la vocation chrétienne à partir du relativisme et du subjectivisme actuel.

L’analyse de Monsieur Sandro Magister est pleinement fidèle au constat de Benoît XVI à propos du concile Vatican II. Dans son herméneutique du Concile, Joseph Raztinger a souligné qu’il y avait eu deux conciles dramatiquement séparés : celui des pères conciliaires et celui des médias :
« Il y avait le concile des Pères – le vrai concile – mais il y avait aussi le concile des médias. C’était presque un concile en soi et le monde a perçu le concile à travers eux, à travers les médias.
Donc le concile immédiatement efficace qui est arrivé au peuple a été celui des médias, pas celui des Pères.
Le concile des journalistes ne s’est pas réalisé, bien évidemment, à l’intérieur de la foi, mais à l’intérieur des catégories des médias d’aujourd’hui, c’est-à-dire hors de la foi, avec une herméneutique différente.
C’était une herméneutique politique. Pour les médias, le concile était une lutte politique, une lutte pour le pouvoir entre différents courants au sein de l’Église. Il était évident que les médias prendraient position en faveur de la tendance qui leur paraissait la plus conforme à leur monde.
Nous savons que ce concile des médias était accessible à tout le monde. C’était donc le concile dominant, plus efficace, et il a créé beaucoup de calamités, beaucoup de problèmes, vraiment beaucoup de malheurs : séminaires fermés, couvents fermés, liturgie banalisée… Et le vrai concile a eu du mal à se concrétiser, à se réaliser. Le concile virtuel était plus fort que le concile réel. » (Benoît XVI, Discours au Clergé de Rome, 14 février 2013)

Sandro Magister met donc en garde les chrétiens contre la tentation, face à cette hégémonie médiatique bien réelle et à leur diminution, de devenir une « minorité de pur témoignage » qui se résigne à la déchristianisation et se satisfait des « éléments positifs contenus dans les raisons des autres ».

Ce que Sandro Magister met en lumière illustre le vieil adage : lorsque l’on a pas la pastorale de sa théologie, on finit par avoir la théologie de sa pastorale. Le fait d’avoir abandonné, au moment de la parution d’Humanae Vitae, la formation matrimoniale et d’avoir avalisé pratiquement, et souvent même idéologiquement, la gradualité de la loi a conduit peu à peu de nombreux chrétiens à se résigner à toutes les dérives. Puisque les couples mariés chrétiennement ne vivent plus depuis longtemps les fiançailles, la confession et la pratique sacramentelle ou encore les méthodes naturelles, le but du synode serait d’adapter la théologie à la situation produite par la pastorale des dernières décennies.

Une lecture attentive de la théologie du corps de Jean-Paul II révèle qu’il ne commence pas à interroger les médias ou à prendre acte de la décadence ambiante. Il contemple la famille à l’origine de la Création et dans sa finalité au plan de la rédemption et de l’eschatologie. Jean-Paul II situe ainsi la famille dans la sponsalité du Christ et de l’Eglise et dans la perspective trinitaire. Vouloir aujourd’hui imposer un synode des médias et de la « base » ne correspond pas à une compassion pour les personnes qui souffrent de l’éclatement du modèle familial, mais manifeste une volonté de se résigner à la situation actuelle.

Ce synode qui s’ouvre avec la présence de Benoît XVI et de François est donc d’une importance vitale pour l’avenir de la famille dont l’amour est la première cellule de l’Eglise.

Blog de Sandro Magister : http://chiesa.espresso.repubblica.it/?fr=y

Article : Les deux synodes, le vrai et celui des médias :
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350726?fr=y

 

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11 Commentaires

  1. Patrick Lefort

    Que cette vision de Sandro Magister est intéressante. Ces Italiens ont toujours une liberté, une profondeur de jugement, une finesse. Quelle lucidité sur les problématiques et les enjeux ecclésiaux. C'est tellement vite fait d' s'inventer sa religion à soi, au-dessus du Magistère de l'Eglise, faisant référence à la pure conscience détachée de tout contenu objectif. Pourriez-vous nous en dire plus sur Sandro Magister ?

  2. Bruno ANEL

    Sandro Magister me semble lui-même céder à la facilité journalistique, en omettant de dire que c’est le Vatican qui a pris l’initiative de diffuser dans le peuple chrétien un questionnaire préparatoire au Synode: que ce document ait donné lieu à discussion et à des articles de presse n’est nullement surprenant. En prenant ce risque, le pape François renoue avec une tradition ancienne de l’Eglise: avant de prendre une décision au cours du « concile de Jérusalem », Pierre écoute. Il convient de lire certaines réponses au questionnaire de façon moins réductrice que ne le fait S.Magister. Exemple: le mariage chrétien n’est pas, prioritairement, une règle canonique à respecter : il est un sacrement, c’est à dire une grâce reçue par le couple et un signe d’alliance donné aux hommes de la part de Dieu. Il faut donc le penser ainsi, et non sous la forme juridique qui était la sienne à une époque ou l’Eglise était garante de l’ordre social, la dimension théologique étant supposée admise. Autre exemple: l’enseignement développé par « Humanae vitae » passe mal: s’est-on demandé pourquoi ? Pour des raisons de confort, bien sûr. Mais aussi pour des raisons plus profondes. Certains points de cet enseignement ne trouvent pas d’écho dans la conscience: en quoi serait-ce un mal d’avoir recours à une méthode contraceptive non abortive ? La conscience ne dit rien à ce sujet, l’Ecriture non plus. Le théologien Ratzinger le savait, puisqu’il écrivait en 1971: « Au dessus du pape, il y a la conscience ». Si cet enseignement s’est heurté au scepticisme des pasteurs et n’a pas été relayé dans les diocèses, ce n’est peut-être pas uniquement par démagogie. On voit par là que le sens commun des fidèles peut faire surgir de vraies de vraies questions auxquelles les pasteurs devront répondre autrement que par un argument d’autorité.

  3. Aurélie

    C'est étonnant d'opposer le "sensum fidei" et l'autorité du pape. Cela réveille les vieux antagonismes : Rome / Peuple de Dieu; Vérité magistérielle (le dogme) / Vérité existentielle (le vécu) ; Tradition / Modernité ; Loi (universelle) / conscience (personnelle)… Je préfère de loin la démarche de Jean-Paul II si bien exposée dans Veritatis Splendor et dans ses catéchèses sur la Genèse. Il fonde toute sa réflexion sur l’Ecriture. Sa réflexion sur le mariage et la famille part de la bouche même de Jésus : "Au commencement il n'en était pas ainsi". Le Christ s'élève contre une pratique (répudiation) qui s'impose au détriment du projet originel du Père. Au coeur de ce Dessein d’Amour, il y a la "soumission mutuelle", c'est-à-dire l'accueil de l'autre aussi dans la différence sexuée, dans son rythme biologique. L'amour épouse tout sans rien évacuer, s'adapte aux rythmes de l’autre inscrits dans sa nature. Humanae Vitae, comme toute la réflexion de la Tradition et celle de Jean-Paul II, souffre uniquement du fait d'être présentée comme une limitation, un interdit. Il s'agit avant tout d'une invitation à s'ouvrir à la vie, à l’altérité, à l’aventure d’une sexualité responsable. Et comme pour toute aventure, il y a des risques, des chutes, des relèvements, mais c'est est autrement plus stimulant que l’introduction violente d’un déséquilibre dans le rythme féminin (ou masculin). C'est dans cette aventure de la vie « selon la nature » que se joue la liberté de l'homme, que se construit sa véritable dignité d'être créé à l'Image et à la Ressemblance de Dieu.

  4. jacques bagnoud

    Le commentaire de Monsieur Anel illustre bien la problématique de l’article. L’enseignement d’Humanae Vitae défini l’acte sexuel comme un acte humain et donc trinitaire. L’homme est fait à l’image de la trinité et l’agir procède de l’être. Un acte libre, pour être « trinitaire » est don de soi, communion de personnes et ouverture à la vie. Toute amitié comporte ces trois dimensions et l’on ne peut séparer ces trois éléments sans blesser profondément l’amitié.

    Cette lumière trinitaire d’Humanae Vitae n’a pas été reçue, du coup on a fait de la morale sexuelle catholique un idéal inatteignable pour le commun des mortels, on a réduit la question à des interdits provoquant une culpabilité, puis en réaction un subjectivisme libertaire.

    La crise d’Humanae Vitae a ainsi introduit un nouveau paradigme en moral. Puisque la loi est impossible à appliquer (les méthodes naturelles) la morale se réduit à vérifier que l’option fondamentale de la vie est droite (que le couple cherche à s’aimer), en séparant ce téléologisme (recherche du but) des actes concrets et donc en justifiant la contraception. Cela conduit à mesurer arbitrairement ou subjectivement les conséquences de nos actes pour savoir s’ils sont bons ou non. On est passé de la loi de gradualité à la gradualité de la loi. Le proportionalisme et le conséquentialisme sont des résurgences de la casuistique pour mesurer si les conséquences d’un acte sexuel délibérément et mécaniquement fermé à la vie a plus de conséquences positives que négatives.

    Dans Veritatis Splendor, Jean-Paul II corrige les erreurs liées à la non-réception d’Humanae Vitae. L’Eglise propose un idéal accessible, mais l’homme a besoin des sacrements, en particulier de la confession et de la confirmation pour le vivre. Il ne s’agit pas d’une proposition idéaliste pour quelques « élites », mais de la base de la famille qui est l’image de la vie trinitaire.

    Le rejet d’Humanae Vitae est la racine de l’éclatement de la famille auquel nous assistons.

  5. Bruno ANEL

    Merci de rappeler que le couple est trinitaire, un amour qui donne la vie à l’image de Dieu.
    Les trois dimensions que vous mentionnez – don de soi, communion, ouverture à la vie- sont inhérentes à l’amour et le couple peut arriver à les vivre. Seulement, c’est une découverte à faire, une grâce à recevoir et non une « loi » à respecter. C’est le rôle de l’Eglise de montrer le chemin mais ce n’est pas une catastrophe si on y arrive pas tout de suite ou tout le temps. L’archevêque de New-York Timothy Dolan reconnaissait récemment que l’Eglise n’a pas su trouver les mots pour expliquer Humanae Vitae.

  6. phil

    Il est sans doute nécessaire aujourd’hui d’approfondir ces questions.
    La proposition de l’Eglise est riche et pleine de sens, mais l’expérience des catholiques montre qu’il faut aussi intégrer dans la réflexion les situations d’échecs (divorcés), voire les impossibilités d’entrer dans le chemin proposé (homosexuels). Sans invalider le chemin proposé, mais en prenant sérieusement en compte ces difficultés.

    1. Gilles

      Je ne pense pas qu'il y ait d'impossibilité à entrer dans le chemin proposé – si c'était le cas, alors je ne vois pas pourquoi il y aurait encore des catholiques. J'ai l'exemple d'un ami proche homosexuel qui s'est converti il y a quelques années, et qui logiquement, a converti sa vie, a commencé à pratiquer l'abstinence. Il était pourtant loin, très loin, de cela auparavant. La vraie question je crois est celle de notre relation à Dieu et à l'Eglise.

      1. Phil

        Gilles,

        Je comprends le parcours de votre ami. Mais il y a aussi un certain nombre de catholiques homosexuels pour lesquels le chemin de l'abstinence n'est pas possible – parce que ce serait un chemin de mort. Je pense que cela devrait être pris en compte. Comme le fait qu'une vie de couple stable peut, dans ces cas-là, avoir du sens.

        Je suis bien d'accord pour dire que ces discernements ne peuvent se fonder que sur une relation forte à Dieu, en Eglise.

        1. Gilles

          En ce qui concerne mon ami, c'est plutôt ce nouveau chemin d'abstinence qui fut une libération et une plus profonde compréhension de lui-même, de son homosexualité. Je ne pense pas que l'Eglise propose un chemin de mort, simplement la plupart des personnes aujourd'hui ne sont même plus capables de concevoir une vie chaste, tant notre société est sexualisée.

    2. Def

      Cher Phil,

      comme vous dites, intégrer les situations d'échecs ne revient pas à diminuer le chemin, ce serait comme de dire à un musicien qu'il joue bien du moment qu'il joue, alors qu'il ne parvient encore qu'à sortir des fausses notes. Je ne peux pas dire aux jeunes de mon quartier: c'est bien de ne pas se droguer, mais comme tu te drogue, et que tu n'arrives pas à t'en sortir, c'est bien aussi de se droguer, même si ce serait mieux que tu arrêtes.

      Ne nous trompons pas, intégrer les situations d'échec c'est prêcher l'Evangile de la miséricorde qui est le même que celui de la Vérité. Pas de miséricorde sans l'affirmation de la Vérité et la reconnaissance de nos erreurs et de nos péchés. Pas d'intégrations des situations d'échecs sans la reconnaissance du chemin proposé et le désir d'avancer.

      Pour le reste, nous sommes tous des enfants de la miséricorde. L'existence de la sainteté – dont la possibilité est prouvée par les statistiques :o) – ne requiers pas que les pécheurs que nous sommes se complaisent dans la médiocrité et reprochent à l'Eglise de leur présenter l'Evangile.

       

       

       

  7. Bruno ANEL

    Pour clarifier le débat, il conviendrait de définir ce que l’on entend par « ouverture à la vie ». Celle-ci ne saurait être jugée à la seule aune de la méthode de régulation des naissances employée car toutes les méthodes -même naturelles- ont pour finalité principale de ne pas attendre d’enfant pendant une période donnée. La générosité dans le don de la vie aux enfants qu’un couple s’estime capable d’accueillir me semble un critère tout aussi acceptable.

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