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Il était une fois en Anatolie

Nuri Bilge Ceylan s’est fait remarquer en recevant la palme d’or au dernier festival de Cannes pour son film Sommeil d’hiver. Mais déjà les films précédents du réalisateur turc méritent d’être remarqués. Notamment Il était une fois en Anatolie, sorti en 2011, ou l’itinéraire d’un homme qui découvre la compassion.


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Il était une fois … une nuit en Anatolie, un convoi de trois voitures cherchent un corps ; dans les voitures : le commissaire de police accompagné de gendarmes, le médecin légiste, le procureur et l’accusé et son frère, coupable du meurtre d’un compagnon de beuverie. La recherche n’avance pas, d’étape en étape la nuit se fait plus sombre, le commissaire de plus en plus excédé répète les mêmes questions : « Est-ce là ? » et l’assassin, hésitant « Je ne sais plus, il faisait nuit, nous étions ivres … Il y avait un arbre rond… », les autres regardent et se lassent. Le médecin et le procureur contemplent de loin ces débats, alors que le médecin demande pourquoi ils sont là, le procureur lui répond « Un soir, vous pourrez raconter un conte à vos enfants Il était une fois en Anatolie… ». Plus loin celui-ci raconte au médecin l’histoire d’une femme qui avait prédit 5 mois avant sa décès la date exacte de sa mort. Là où il voit le miracle, son interlocuteur n’aura de cesse de trouver une explication rationnelle alors même qu’il voit que la vérité peut ouvrir une plaie inguérissable.

La nuit devient profonde, la violence augmente à mesure que la fatigue se fait sentir, chacun montre son visage de colère, de lassitude ou de fatalisme. Il font halte chez le maire d’un petit village. Alors qu’il y a une coupure d’électricité, la plus jeune fille du maire apparaît porteuse d’une lampe. Sa présence si belle, si douce est semblable à la grâce devant laquelle tous restent muets, alors qu’elle s’arrête devant chacun de ces hommes, tous la regardent subjugués et silencieux, mais seul l’assassin en la regardant pleure. Au cours de la nuit tous se savent pauvres, limités par la peur, l’orgueil, la faiblesse, l’ambition ou le passé… Mais aucun ne le reconnaîtrait, la faute de l’assassin seule ne peut être cachée derrière un masque, c’est peut-être pourquoi lui seul peut pleurer de repentance, lui seul peut confesser.

Le médecin est témoin de ce moment. Lui qui n’est là que pour son travail, qui regarde le monde et les hommes avec désillusion, qui ne veut ni famille, ni enfant, parce qu’il n’aurait rien à leur offrir que ce monde de lassitude. Et voilà qu’il découvre que l’assassin est un homme qui souffre, un père, un homme qui est peut-être plus aimable que celui qui le juge. Une découverte qui lui fera poser un geste de miséricorde à la fin du film.

« Il commence à éprouver de la compassion pour les autres, pour le meurtrier, pour la femme avec l’enfant. pour la première fois, il est capable de sacrifier quelque chose en lui, d’être moins égoïste. (…) Ma supposition est que pour la première fois il a pris des risques par rapport à sa carrière, à sa profession. [1]»

Il était une fois en Anatolie un médecin qui apprenait à être là, être là pour les autres en les regardant avec compassion, être là pour lui. « Je rencontre de plus en plus de gens qui ne sont pas là. Je ne sais pas où ils sont, mais ils ne sont pas là. Etrange société qui produit des individus qui ne sont pas là, qui ne sont pas là pour un autre, qui ne sont pas là pour eux-mêmes, pour qui personne n’est là. A la fin du film, Bruno serait là », écrit le réalisateur Luc Dardenne dans son journal au sujet du scénario de son film L’Enfant .Il en serait du médecin comme de Bruno : à la fin du film, Cemal serait là.


Il était une fois en Anatolie – Bande annonce


[1] Entretien avec Nuri Bilge Ceylan
Photo couverture Nuri Bilge Ceylan © Tous droits réservés

 

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