Home > Politique > Ukraine, la guerre oubliée

En octobre, les autorités ukrainiennes et les séparatistes pro-russes sont parvenus à trouver un accord sur un cessez-le-feu dans l’est du pays. Le président ukrainien Petro Porochenko a confirmé que l'Ukraine avait signé un "protocole préliminaire" pour un cessez-le-feu avec les séparatistes, et a ordonné à l'armée ukrainienne de cesser les hostilités dans l'est du pays.


Dessin réalisé par un enfant d'un orphelinat de Lviv, novembre 2014

Hélas cela ne signifie pas que les combats ont cessé, en témoignent les morts qui continuent à tomber. Les troupes militaires des deux camps ont quitté officiellement le front, laissant le secteur militaire privé ukrainien et les volontaires se battre contre les séparatistes pro-russes. Le père Alexandre a déclaré : « Si le gouvernement ne fonctionne pas, c’est le peuple qui se lèvera et fera quelque chose. »

Le père Alexandre officie à la cathédrale latine de Lviv. Il est originaire de Donetsk où une partie de sa famille, sa mère, son frère, sa belle-sœur et leur fils, résident toujours. Nous lui avons demandé des nouvelles de la situation dans l’Est, des nouvelles de sa famille. Il y a chaque jour des échanges de tirs et chaque jour davantage de morts. Il n’y a plus ni provision, ni nourriture. Plus de ravitaillement, plus de de banque, plus de bureau de poste. Plus rien ne fonctionne. Les maigres pensions sont quand même distribuées aux retraités par les séparatistes, par quels moyens ? (Les fonds pillés dans les banques de Donetsk ?)

La famille de son frère est venue passer un mois à Lviv, au moment du pic des affrontements, laissant la maman qui ne voulait pas quitter sa maison et s’était installée dans la cave. Puis à l’annonce du cessez-le-feu la famille est repartie à Donetsk, « car c’est là notre terre ». Le matériel et la nourriture rapportés de Lviv sont maintenant épuisés. Le frère de père Alexandre avec quelques autres hommes, doivent se rendre dans une ville située à une trentaine de kilomètres (sous contrôle ukrainien) pour obtenir de la nourriture. Ils montent dans une jeep, l’un conduit, les autres veillent avec leurs armes. Ils doivent traverser une zone neutre pour chercher la nourriture puis retournent chez eux dans les mêmes conditions.

Père Alexandre estime que dans les zones de conflit, 40% de la population veut rester ukrainienne, l’autre est pour un rattachement avec la Russie ou une région séparée de l’Ukraine. Les oppositions sont devenues telles, que voisins et amis s’entretuent. C’est devenu une guerre fratricide. Chacun dans son camp compte les morts et sait qui a tué qui.

Une famille que nous connaissons très bien s’est beaucoup engagée dans les affrontements de la place Maidan et dans la guerre dans son ensemble. Père Michael et sa femme Ivanka ont cinq enfants. Lui et leurs deux aînés, Clementia (21 ans) et Artem (19 ans) étaient à Kyiv durant la période la plus intense sur la place Maidan. Père Michel a prononcé de nombreuses homélies et a aidé beaucoup de personnes à recevoir le sacrement de réconciliation avant de mourir. Clementia travaillait dans les tentes de secours, organisait l’approvisionnement de matériel et a aidé quantité de personnes. Artem aussi a beaucoup travaillé à Maidan et est maintenant engagé comme soldat bénévole sur le front Est depuis le mois de juillet. Magda (16 ans) était sur la place de temps en temps et passe même dans un clip d’information comme scout mettant à l’honneur un jeune homme de Lviv décédé sur le front Est. Ivanka et les deux plus jeunes Dmitro (14 ans) et Emilia (8 ans) se rendaient à Kyiv quand leur père y célébrait la messe.

Ivanka a récemment été interviewée sur ses sentiments à l’écart de l’engagement de sa famille. Elle parle avec son cœur de ses peurs et de ses questions comme mère et épouse. Elle dit s’être demandée si elle était prête ou non à « sacrifier ses enfants pour l’Ukraine, pour Dieu ». Ses enfants ignorent pour le moment la vie maritale ou familiale qu’ils pourraient avoir. Ils connaissent simplement la vie telle qu’elle est maintenant, que ce soit en combattant sur le front, en assurant la logistique de l’approvisionnement de matériel et de médicaments pour les soldats, ou comme petite fille de huit ans attendant que son grand-frère rentre de la guerre. Ivanka, comme toute mère, s’inquiète pour ses enfants et pour leur avenir, mais sa foi est grande. C’est à travers elle qu’elle reçoit tout et donne tout. Malgré les conflits que connaît ce pays, le peuple ukrainien est porteur d’une foi bien plus grande que n’importe quel peuple que j’ai pu rencontrer jusqu’à présent.

En 2010, Victor Gurnyak, un jeune homme natif de Lviv, a été la vedette d’une vidéo pour une chanson sur les héros qui se sont battus et sont morts pour l’indépendance de l’Ukraine. Quatre ans plus tard, Victor est devenu lui-même un héros. Il était scout, photojournaliste et plus récemment, bénévole sur le front. Sa tâche était de secourir les blessés dans les zones de bataille. Lors de l’une de ses missions, le 19 octobre, dans la région de Lougansk, une mine a explosé. Un morceau de shrapnel a traversé son gilet par balle et l’a tué. Il y a eu une Liturgie et une procession funéraire dans Lviv pour Victor et des centaines de personnes, bénévoles, amis, scouts sont venues présenter leurs condoléances et soutenir sa femme et son petit bébé. Il a été enterré avec les honneurs à côté du panthéon des héros au cimetière Lychakiv de Lviv.

Un drame qui vient rappeler à ceux qui auraient tendance à l'oublier que cette guerre est toujours là, insupportable et absurde.

 

Jennifer Gary 

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4 Commentaires

  1. M.M

    La prophétie de Soljénitsyne sur la question russo-ukrainienne (Extrait d’une lettre à la Conférence sur les relations russo-ukrainiennes de Toronto à l’Institut des études ukrainiennes de l’Université Harvard, avril 1981) :  » Cette intolérance furieuse dans la discussion sur la question russo-ukrainienne (nuisible pour les deux nations et utile seulement pour leurs ennemis) me fait particulièrement mal parce que je suis moi-même d’origine russo-ukrainienne, que j’ai grandi dans une ambiance imprégnée par ces deux cultures et que je n’ai jamais constaté et que je ne discerne toujours aucun antagonisme entre elles. J’ai eu maintes occasions d’écrire et de parler en public de l’Ukraine et de son peuple, de la tragédie de la famine ukrainienne, j’ai beaucoup de vieux amis en Ukraine, j’ai toujours été au courant des souffrances russes et des souffrances ukrainiennes subies sous le communisme. Dans mon cœur il n’y a pas de place pour le conflit russo-ukrainien et si, que Dieu nous garde, les choses en arrivent aux dernières extrémités, je peux dire que jamais, en aucune circonstance je n’irai moi-même ni ne laisserai mes fils participer à un affrontement russo-ukrainien, quelque zélées que fussent les têtes folles qui nous y pousseraient. »

    1. Panchuk

      Désolé, mais Soljénitsyne était par ses convictions personnelles un nationaliste russe pur et dur, monarchiste de surcroît. Il n'avait que faire d'une Ukraine indépendante. Devrais-je même ajouter que, dans la pratique, le prix Nobel de littérature était ukrainophobe?   Méfions-nous des apparences.

       

      1. Arnaud Guillaume

        En parcourant les écrits de Soljenitsyne je n'ai trouvé aucune "ukrainophobie". Bien au contraire, dès que sont apparues les premières tensions lors de la chute de l'URSS en 1991, Soljenitsyne disait qu'il respecterait le choix du peuple ukrainien de choisir la voie de l'indépendance. Mais il avertissait que les minorités ukrainiennes opprimées d'hier (non par les russes mais par les communistes) pouvaient devenir l'oppresseurs des nouvelles minorités russes que se formeraient sur le territoire nouveau de l'Ukraine. Et que cela pourraient créer des tensions dans l'avenir.

        Je crois que pour Soljenitsyne l'histoire des russes et des ukrainiens était tellement liée qu'il n'a jamais pu se résoudre à voir les deux frères se séparer ainsi. En même temps il n'a jamais appelé à ce que l'Ukraine soit empêchée de voler de ses propres ailes. C'était un homme de paix et qui je pense avait le droit d'être monarchiste après avoir vécu les horreurs de la République communiste.  

         

         

         

  2. vincent

    Pour ma part, je suis très triste de ce conflit, et inquiet pour nos amis du Point-Coeur de Lviv. Je prie chaque jour pour eux, et évoque leurs noms (celui d’Artem en particulier) devant l’Autel du Très Haut pour qu’Il les protège et leur montre le chemin.
    C’est sûr que Soljenitsyne a beaucoup parlé de ce problème russo-ukrainien. Mais, la question aujourd’hui n’est pas seulement une question russo-ukrainienne. Les géants de ce monde s’affrontent sur la terre ukrainienne, et soufflent un jour le froid, un jour le chaud. Le risque pour l’Ukraine c’est d’être aspirée dans ces logiques d’affrontement mondial et de disparaître. L’enjeu pour nos amis qui ont laissé leurs enfants partir se battre, je le comprends comme un enjeu vital: la survie de leur peuple, la défense de sa place dans le concert des nations. Que Dieu sauve l’Ukraine et inspire la Russie, et que nos pays occidentaux ne s’engagent pas dans des actes dont nous pourrions avoir honte par la suite.