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Houellebecq : soumission ou rémission ?

Il y a moins d'un mois, les stratégies de marketing laissaient pressentir le caractère visionnaire du roman, dorénavant, on crie haro sur le baudet. Se soumettant par intérêt à l’avènement imaginaire d’un pouvoir islamique en France, le bodet n’est autre que le personnage du dernier roman de Michel Houellebecq : Soumission. Depuis les attentats et l’urgente folie de réparer le « vivre ensemble » il faut y voir désormais un livre islamophobe et nauséabond. Si les critiques se targuent d’en attaquer le style, ce n'est que pour mieux dénigrer le propos de fond. Mais quel est-il ?


ActuaLitté CC BY-SA

Charles Vaugirard (nom de plume du blogueur des Cahiers Libres)[1], analyse Soumission en soulignant que « le cœur du livre ne se trouve pas dans ces thématiques (l’Islam, la vie politique de notre pays, etc…). Houellebecq nous dépeint dans Soumission la fin de la société postmoderne née de mai 68, elle même faisant suite au laïcisme de 1905 et à la Révolution française. » 

Pour l'éditorialiste, Particules élémentaires (1998) était « une illustration de la postmodernité : les hommes sont comme des particules élémentaires perdues dans le vide. Ces particules sont seules, elle interagissent entre elles ponctuellement, sans se fixer, sans se lier entre elles. Elles sont seules, errant dans le vide avec l’illusion de la liberté… Ce vide est un vide spirituel puisqu’elles n’ont aucun Dieu au-dessus d’elles et donc aucun sens à leur vie. (…) Il imaginait que notre époque individualiste était une étape de la “mutation métaphysique” qui touche l’Occident chrétien depuis la Renaissance. Il imaginait que cette mutation se conclurait par le remplacement de l’humanité par un surhomme asexué, immortel et jouissant en permanence (..) Ainsi le rationalisme matérialiste, par le biais de la science toute-puissante, accomplirait l’idéal individualiste. (…) Mais en 2015, le célèbre écrivain constate que le rationalisme est condamné à mort car il détruit l’homme en anéantissant ses liens humains (…). Selon lui, l’avenir n’est pas au triomphe de la Raison mais à celui de la Religion. [2]

On s’étonnera de cette affirmation à la lecture du roman qui ne présente pas une vision particulièrement positive de l’adhésion au phénomène religieux. Pour éclairer cette avis, il est intéressant de relire quelques-uns des propos de Michel Houellebecq parus dans le journal La vie, le 27 janvier dernier [3] : 

Sur son rapport à la religion : « La religion est entrée dans ma vie depuis l’âge de 13 ans au moins. Un ami de ma classe avait essayé de me convertir à l’époque. J’ai d’ailleurs conservé la Bible qu’il m’avait donnée. J’en ai lu une bonne partie aujourd’hui. (…) J’ai une vision de la religion plus proche de la magie. Le miracle m’impressionne ! Le moment religieux que je préfère dans tout le cinéma, c’est la fin d’Ordet, le film de Dreyer, qui se termine par un miracle. Voilà ce qui m’ébranle. (…) Je veux savoir si le monde a un organisateur et comment c’est organisé. J’ai fait des études scientifiques. Il y a une vraie curiosité chez moi pour la manière dont tout ça fonctionne. Ce qui fait qu’aujourd’hui je ne me définis plus comme athée. Je suis devenu agnostique, le mot est plus juste. L’un des amis de mon père lui avait dit qu’il se ferait incinérer, qu’il n’y aurait pas de cérémonie religieuse. Mon père lui a rétorqué : « Je te trouve bien présomptueux. » C’est un peu le sens du pari de Pascal. »

Sur la mort du catholicisme « Il y a une apparition positive des catholiques dans le roman : lorsque les jeunes viennent assister à la lecture de Péguy. L’orateur au « visage ouvert et fraternel » impressionne le narrateur. J’ai eu l’occasion d’observer le visage de ces jeunes à une JMJ, celle de Paris, où j’étais allé par curiosité. Globalement, je ne suis pas persuadé que les perspectives pour le catholicisme soient uniquement négatives dans mon livre. Aujourd’hui, l’idée d’un cosmos organisé apparaît même plutôt plus pertinente qu’à l’époque de Voltaire : l’argument du grand horloger tient, l’évidence d’une organisation de l’ensemble de l’Univers. Les découvertes scientifiques renforcent l’impression d’une organisation générale plus qu’elles ne la diminuent… »

Sur l’islam : « L’islam n’a pas inventé la lapidation (l’une des scènes les plus réussies de l’Évangile est d’ailleurs « Que celui qui n’a pêché jette la première pierre »), ni l’excision, ni l’esclavage. J’ai lu le Coran pour écrire ce roman. Je l’avais simplement feuilleté auparavant. La question était aussi pour moi d’évaluer son degré de dangerosité. J’en suis ressorti plutôt rassuré. Ma lecture a abouti à des conclusions relativement optimistes, même si en fait je ne pense pas que les musulmans lisent tellement plus le Coran que les catholiques ne lisent la Bible. Donc le rôle du clergé est fondamental dans les deux cas. Il faut des interprètes, un clergé. Je n’imagine pas de religion sans prêtres, sans passeur. (…) S’il y avait un pape musulman, la question du djihadisme serait éradiquée en 20 ans. Comme sanction : plus le droit de participer aux prières, plus le droit de rentrer dans les mosquées… Bref, une forme d’excommunication. En l’absence d’une telle organisation, qui ne peut être mise sur pied en deux ans, il faut favoriser certains imams. »

Sur les jeunes qui partent au djihad : « Je les prends au sérieux. Je prends le besoin spirituel au sérieux. Je trouve très agaçant de sociologiser les choses. Tous les jeunes ne sont pas à la dérive, comme on veut bien le dire. Ils appartiennent pour certains à la classe moyenne. Il faudrait éviter de les voir seulement comme des détraqués. Leur malaise est plus profond que cela. En tout cas, la séduction de l’islamisme n’a rien à voir avec la politique mais avec la religion, contrairement à ce que l’on entend. Pour moi, c’est clairement une variante de l’interprétation de l’islam. Le bon sens est de mon côté : on a obtenu occasionnellement des martyrs en politique, mais c’est tout de même beaucoup plus fréquent pour la religion… »

Sur l’islamophobie : « Le fait est que mon livre n’est pas islamophobe. Ce sont les djihadistes qui cherchent à provoquer l’islamophobie dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire à provoquer de la crainte. Toutes leurs actions n’ont pas d’autre but. »

Sur la nécessité de la religion : « La religion aide beaucoup à faire société. Comme Auguste Comte, je pense qu’à long terme, une société ne peut tenir sans religion. Et effectivement, on voit aujourd’hui des signes d’effritement d’un système apparu il y a quelques siècles. Mais je crois au retour du religieux. Même si je ne peux pas vous dire pourquoi il survient maintenant. Mais je le sens. Dans toutes les religions. Dans le judaïsme, je vois bien que les jeunes sont plus croyants et pratiquants que leurs parents. Chez les catholiques, il y a des signes – les JMJ, la Manif pour tous. »


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2 Commentaires

  1. CI

    Il est très interessant qu'un artiste, par défénition attentif aux signes des temps, livre cette analyse aujourd'hui. Elle reflète en effet un état d'esprit de plus en plus répandu chez les "particules élémentaires" que nous sommes et qui découvrent au fond d'elles une soif de radicalité que personne ne leur a enseigné, qui résonne d'autant plus que les illusions de la superficie ne font plus effet. 

    On pourrait dire que Mr Houellebecq n'a pas de chance de devoir livrer ses intuitions au moment le plus chaud. Mais il sera lu tout de même, puisqu'il s'appelle Michel Houellebecq, et je l'espère compris.  

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