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Vincent Gelot : au nom des chrétiens d’Orient

Parti de Paris à l’été 2012 au volant d’une 4L, Vincent Gelot, nantais de 26 ans, se lance sur les routes d’un Orient en pleine ébullition. Son but : découvrir de l’intérieur les chrétiens d’Orient, la richesse de leur histoire, la beauté de leurs rites ancestraux et photographier le quotidien de ces communautés souvent peu connues, parfois isolées ou menacées. Entrevue (#1). 

Un moine syrien écrivant dans le livre d'Orient (Page Facebook de "Mille et une fois")

Le jeune pèlerin-reporter pensait partir dix mois. Son périple initiatique va durer deux ans, de la visite de Benoît XVI au Liban (septembre 2012) au voyage du pape François en Terre Sainte. A son arrivée à Jérusalem, le compteur affiche 60000km parcourus à travers une vingtaine de pays : Liban, Irak, Caucase, Iran, Asie Centrale, Afghanistan, Golfe Persique, Soudan, Egypte…

VG, pouvez-vous nous expliquer les circonstances de votre départ ? Qu’est ce qui vous a motivé à entreprendre un tel périple ?

L'idée de ce périple naît au Liban au début de l'année 2012 ou je termine mes études. Au pays du Cèdre, trois éléments déclencheurs donnent jour à ce projet: la découverte des Églises d'Orient et la richesse de leurs rites, l'afflux de nombreux réfugiés chrétiens de Syrie ou d'Irak et enfin l'annonce de la venue du Pape Benoit XVI au Liban. En toile de fond, le désir de découvrir l'Orient à l'état brut et de vivre une aventure à l'ancienne. Une sorte d'appel dans l'appel. La 4L s'impose d'elle-même, l'itinéraire est tracé, un dossier presse est finalisé mais les difficultés ne tardent pas à se profiler à l'horizon[1].(…) Le dossier presse était très amateur, le projet était jugé comme irréaliste ou trop engagé. Il y a trois ans, la problématique des chrétiens d'Orient n'était pas un scoop. Il faudra ensuite faire face à la défection d'un coéquipier au moment du départ. (…) J'ai décidé de partir quand-même. Je n'avais pas les moyens financiers pour aller au bout. Finalement, ce sont les chrétiens d'orient qui, en me voyant dans le jus du voyage, comprenaient l'importance de ce projet et me permettaient d'avancer. Sans leur soutien moral et financier, jamais je n'y serais arrivé.

N'est-ce pas un peu simpliste de parler de "chrétiens d'orient", qui sont-ils ? 

Le terme de "chrétien d'orient" est un outil pratique pour désigner l'ensemble des membres des différentes Eglises orientales. Chacune d'elle dispose d'un rite, de traditions et d'une histoire ancestrale qui leur sont propres. Plusieurs de ces Eglises se sont séparées de Rome et de Constantinople suite aux conciles de Nice, d'Ephèse, de Chalcédoine… où de nombreuses sont apparues à propos de la nature du Christ (divine et humaine).  Les chrétiens d'orient sont donc assyriens, syriaques, arméniens, coptes et éthiopiens. Par ailleurs, certains sont restés catholiques (comme les maronites) ou se sont ralliés à Rome au cours des siècles, tout en gardant leur spécificité orientale: c'est le cas des chaldéens, des syriaques catholiques, coptes catholiques… L'ère géographique des chrétiens d'orient s'étend de l'Egypte à l'Asie Mineure (l'Iran) jusqu'aux berges de l'Inde (les syro-Malabars). Dans mon voyage, l'idée était de prendre chaque pays tel qu'il se présentait et de rencontrer ses chrétiens, qu'il y ait une ou des milliers d'Eglises. A côté des chrétiens d'orient que j'évoque précédemment, j'ai aussi découvert les chrétiens vivant en orient. Il s'agit des micro-communautés d'Asie centrale, avec parfois une paroisse pour le pays comme au Turkménistan, en Azerbaidjan et d'Afghanistan. Il s'agit aussi des expatriés vivant leur foi en orient, comme dans les pays du Golfe Persique. Il s'agit enfin des communautés qui sont le fruit de l'évangélisation des missions africaines, comme à  Djibouti ou au Soudan. On parle moins de ces deux derniers cas de figure, pourtant leur situations est loin d'être facile.

Votre projet s'appelle « Mille et une foi » en référence aux Mille et une nuits, quel en a été le but concrétement ? 

A côté des prises de notes et du travail photo, j'ai récolté les témoignages des chrétiens rencontrés dans un "Livre d'Orient" – un codex grand format : réfugiés de Syrie, chrétiens d'Irak, communautés isolées d'Asie centrale, coptes d'Égypte ont confié leurs prières, leurs espérances et leurs souffrances. Dans les pays où le nombre de paroisses se comptaient sur les doigts de la main (pays d'Asie centrale, Afghanistan, Azerbaïdjan…), tous les chrétiens ont eu l'occasion d'avoir le Livre d'Orient entre leurs mains. Au fur et à mesure du voyage, il devenait une responsabilité. Un fardeau qui s'alourdissait à mesure que les pages se remplissaient et que le témoignage prenait de l'ampleur. Il était mon bâton de pèlerin et faisait corps avec ce voyage. Un pèlerin revient chez lui avec une foi grandie. Un journaliste lui, rapporte des articles et des photos. Le Livre d'Orient apporta encore une dimension autre à ce périple.

Transmettre cet ouvrage d'une communauté à l'autre devenait un leitmotiv. Je n'imaginais même pas poursuivre sans lui. Je lui étais lié. Pourtant, ce livre n'est pas le mien, il appartient aux chrétiens d'Orient. Ce sont eux qui ont patiemment bâtit cette petite cathédrale de papier avec leur plume, leur foi et leurs tripes. J'en fus le transporteur mais pas l'auteur. Il fallait le protéger et l'amener, coûte que coûte, à Jérusalem. Aujourd'hui, cet ouvrage est une véritable monographie de leur existence en ce début de XXIe siècle. C'est d'ailleurs le pape François qui a écrit de sa main le dernier témoignage du Livre d'Orient. A la fin de l'année 2015, il sera remis aux gardiens du Saint Sépulcre à Jérusalem, Ville Sainte et Cité Mère pour tous les chrétiens. En attendant, le Livre d'Orient est un témoignage que je présente lors des conférences, des entretiens et des rencontres qui animent maintenant mon quotidien, car il en dit plus que n'importe quel discours : il porte la voix des chrétiens d'Orient.

Vous avez vu des communautés proches de l’extinction, et d’autres dans un essor incroyable, pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Les communautés directement menacées d'extinction répondent à deux cas de figure. D'un côté les chrétiens de Syrie et d'Irak, victimes des persécutions et de la tragédie de l'émigration. En Irak, leur nombre est passé de 1 500 000 à 300 000 en moins de quinze ans. Il s'agit bien d'une tragédie. De l'autre, les petites communautés touchées par l'isolement, les discriminations ou un environnement peu porteur pour la foi. Je parle des petites églises des pays d'Asie centrale, dont les régimes autoritaires sont encore marqués de l'emprunte soviétique où la religion était interdite. Il s'agit aussi des communautés victimes de l'émigration économique et de l'attrait vers l'occident, comme ces Molokans d'Azerbaidjan.

Le nombre n'est pas la seule condition de la foi. Dans les petites paroisses du Soudan ou d'Asie centrale, j'ai aussi découvert une foi profonde. L'église n'est pas qu'un lieu de culte, c'est aussi un lieu social qui permet à la communauté de se retrouver. Le territoire de l'église ne désemplit pas de la semaine. J'ai vu des paroisses de moins de dix personnes bien plus vivantes que des cathédrales pleines une heure le dimanche chez nous. A côté du discours noir et dramatique qui entoure souvent les chrétiens d'orient, leur dynamisme est une réalité qui fait plaisir à voir. J'ai été bouleversé par la beauté de leur rite et l'attachement à leurs racines orientales. L'exemple le plus pertinent concerne sans doute les coptes d'Egypte, dont le nombre de vocations et d'églises ne cesse d'augmenter.  

Pouvez-vous nous parler d’une ou deux personnes qui vous ont particulièrement marqué ?

(…) 

Lire la suite en cliquant ici.

 

 


[1] "Hormis l'Oeuvre d'Orient, une association qui œuvre pour les chrétiens d'Orient, peu d'institutions soutiennent « Mille et une foi » (nom donné au projet, en référence aux Mille et une nuits). Je les comprends. Le dossier presse était très amateur et le projet était jugé comme irréaliste ou trop engagé. Il y a trois ans, la problématique des chrétiens d'Orient n'était pas un scoop. Le syndrome du "jeune qui part s'éclater en road trip avec une 4L" ne m'a pas servi non plus. A cela, on peut ajouter mon ignorance totale en mécanique et mon inexpérience en conduite : cette 4L était ma première voiture. Il faudra ensuite faire face à la défection d'un coéquipier au moment du départ. Un véritable coup dur, sachant que nous avions préparé ce projet ensemble pendant des mois. J'ai décidé de partir quand même. J'avais 24 ans d'économie en poche, sachant que je n'avais pas les moyens financiers pour aller au bout. Finalement, ce sont les chrétiens d'orient qui, en me voyant dans le jus du voyage, comprenaient l'importance de ce projet et me permettaient d'avancer. Sans leur soutien moral et financier, jamais je n'y serais arrivé."

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