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La chapelle Santa Cecilia par Sean Scully : une inauguration historique

Sans doute la collaboration la plus importante entre un artiste et l'Eglise depuis la chapelle Matisse, cette œuvre "est le fruit d'une profonde amitié avec le Père Laplana", expliquait l'artiste à la presse lors de la cérémonie d'inauguration qui s'est tenue à Santa Cecilia le mardi 30 juin. 

Ouverte au public le jeudi 2 juillet après plusieurs années de travaux, la chapelle romane de Santa Cecilia, construite au 10ème siècle et située à quelques 60 kilomètres au Nord-Ouest de Barcelone, a retrouvé pour l'occasion quelque chose de son antique splendeur romane, lorsque ses pierres sèches étaient habillées de riches tentures et que son abside se parait de fresques colorées. Mais sa nouvelle parure n'est pas œuvre d'archéologue ou d'historien, elle est l'œuvre d'un artiste contemporain au sommet de son art : Sean Scully.

Sur les pas de Matisse et de Rothko

Cette œuvre est donc le fruit d'une amitié entre l'artiste et le Père Laplana. Ce moine bénédictin du monastère voisin de Notre Dame de Montserrat est aussi le directeur du musée local, où l'art biblique et archéologique voisine les œuvres de Picasso, Dali, Rouault, Tapiès et bien d'autres encore. Sa passion pour l'art et son engagement pour la culture s'inscrivent dans la longue tradition du monastère, et se nourrissent à la même source que son humilité joyeuse : sa familiarité avec le Mystère. Son amitié et sa prière furent le climat qui a permis le miracle Santa Cecilia, la collaboration la plus importante entre l'Eglise catholique et un artiste contemporain depuis la Chapelle Notre Dame du Rosaire réalisée par Matisse à Vence, et la Chapelle Rothko à Houston, au Texas. 

Toute ma vie j'ai cherché un endroit comme celui-ci

Mais lorsque Sean Scully visite Montserrat pour la première fois en 2005, ce qui attire aussitôt son attention, ce ne sont pas les murs du musée, mais ceux, plusieurs fois centenaires, du monastère. Le Père Laplana le conduit alors jusqu'à Santa Cecilia, bijou délaissé de l'architecture romane, situé à 4 kilomètres de là. Lorsqu'il entre dans la chapelle millénaire, accrochée à flan de montagne, l'artiste est saisi : "Toute ma vie j'ai cherché un endroit comme celui-ci."

Il faut dire que le cadre ne pouvait être plus en résonnance avec l'œuvre de Sean Scully, bâtie sur l'horizontale et la verticale. Surplombée par les fameuses formations rocheuses de Montserrat, véritable hymne à la verticalité, Santa Cecilia regarde vers la ligne d'horizon qui s'étire à perte de vue, des contreforts des Pyrénées à la mer Méditerranée. L'artiste n’a-t-il pas justifié un jour son choix exclusif de ces deux composantes en expliquant que l'horizontale c'est l’éternel et le permanent et la verticale notre position d’hommes face à l'infini ?[1]

Couleurs de terre, de sang, de ciel et d'esprit

L'intervention de Sean Scully à Santa Cecilia est à la fois modeste et vigoureuse, respectueuse et personnelle. Elle consiste essentiellement en quatre larges panneaux peints sur aluminium, trois fresques murales de petite taille, trois crucifix, quatre chandeliers d'acier et un triptyque de verre épousant la courbe concave de l'abside, comme pour envelopper l'antique autel de pierre. La chapelle est composée d'une nef principale, dédiée à Sainte Cécile, flanquée de deux petites chapelles, dédiée respectivement à Saint Pierre et à Marie.

L'œuvre maîtresse de cette chapelle, celle qui saisit le visiteur à son entrée, c'est le monumental Holly-Stationes. Enchâssés dans un cadre d'aluminium sombre, quatorze inserts évoquent les stations du chemin de croix, sept inserts aux couleurs de la terre du sang, sept autres aux couleurs du ciel et de l’esprit. Peint par l'artiste en hommage à sa mère Ivy, ce n’est pas une coïncidence si Holly-Stationes est accroché au mur de la chapelle supérieure, la chapelle de Marie, dont le vitrail irradie une lumière bleu-roi qui en adoucit la sévérité.

Une sainte Cécile abstraite mais pas conceptuelle

Autre œuvre marquante, le tableau dédié à Sainte Cécile. La sainte du 3ème siècle mourut martyre pour avoir voulu protéger d'un mariage forcé sa virginité consacrée. La gorge tranchée, Sainte Cécile, dit la tradition, demeure une journée entière à chanter des hymnes à la gloire de son Epoux divin.

La peinture homonyme de Sean Scully consiste en deux inserts enchâssés dans un cadre peint énergiquement aux couleurs de la terre catalane. En écho à Holly-Stationes, l'insert inférieur est aux couleurs de la passion de Sainte Cécile tandis que l'insert supérieur est constitué de lignes noires et souples sur un fond clair, comme une portée de musique, comme le chant de Sainte Cécile au cœur de sa passion.

On l'aura compris : si l'intervention de Sean Scully est abstraite, elle est loin d'être conceptuelle. Lignes, couleurs, compositions sont fermement enracinées dans la réalité de ce lieu sacré et de la terre catalane. Lors de la visite réservée à la presse (le lendemain de son inauguration, Santa Cecilia fera l'objet de longs et élogieux articles, aussi bien dans La Venguardia, le quotidien national, que dans le New York Times), Sean Scully s'arrête longuement devant une petite fresque qui pourrait facilement passer inaperçue. Réalisée face à Holly-Stationes, d'un geste intentionnellement enfantin, cette petite fresque peinte à même le mur par Scully fait office d’ "ex-voto" en remerciement pour la naissance de son fils Oisin, aujourd'hui âgé de six ans.

"C'est une œuvre historique, qui reprend le dialogue longtemps abandonné entre l'Eglise et l'art, non pas à partir de grandes idées sur la question, mais à partir d'une rencontre providentielle et d'une amitié sincère."

La Chapelle Santa Cecilia tient de ses deux illustres aînées : si on y retrouve la joie et la couleur qui "chantent" dans la chapelle de Matisse, on y rencontre aussi la note de tragédie et de douleur qui dominent l'œuvre sévère et émouvante de Rothko à Houston. Dans le cœur de l'artiste ce clair-obscur fait écho à la mort accidentelle de son premier fils, Paul, en1984, et à la naissance de son second fils, Oisin, en 2009, naissance inespérée qu'il n'hésite pas à décrire comme "un cadeau du Ciel". Ce n'est pas un hasard si ce même Oisin a été baptisé l'année suivant sa naissance par le Père Laplana dans une chapelle de Notre Dame de Montserrat…

"Santa Cecilia est l'œuvre la plus importante que j'ai faite à ce jour", confie à Lavanguardia l'artiste dont les peintures figurent aux murs des plus grands musées du monde et dont la carrière a été couronnée cette année par une exposition itinérante dans les musées chinois[2] et une rétrospective prestigieuse actuellement en vue à la Biennale de Venise. C'est à n'en pas douter une œuvre historique, qui reprend le dialogue longtemps abandonné entre l'Eglise et l'art, non pas à partir de grandes idées sur la question, mais à partir d'une rencontre providentielle et d'une amitié sincère entre un art vivant, celui de Sean Scully, et une foi vivante, celle du Père Laplana.

Un lieu de prière avant tout

Ce dialogue est un dialogue ouvert. D’une part parce que, en amont de son ouverture, Santa Cecilia a été consacrée par l’évêque, et qu’elle a donc pour vocation de demeurer avant tout un lieu de prière, où la messe sera offerte occasionnellement. Mais aussi parce que l’ancien couvent de Santa Cecilia, adjacent à la chapelle, a lui-aussi retrouvé une nouvelle jeunesse sous un nom nouveau : le “centre d’art et de spiritualité Sean Scully.” Sous l’égide de Sean Scully lui-même mais aussi d’artistes de la pointure de Bill Viola et du compositeur Bernat Vivancos, ce centre accueillera à partir de l’automne événements et conférences aux confluents de la recherche de Dieu et de la création artistique.

Notes :
[1] Cf. son entretien avec Kevin Power en avril 2003, publié dans Sean Scully, de David Carrier, publié par Thames and Hudson.
 
 
Voir les interventions de Sean Scully sur le site de la chapelle Santa Cecila.
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6 Commentaires

  1. Denis Cardinaux

    Voici une vidéo retraçant l'épopée de la restauration de la chapelle Sainte Cécile. On apperçoit les magnifiques falaises derrière la chapelle. La vidéo est en catalan et en espagnol. Sean Scully explique : "Je ne peux rien raconter sur mes oeuvres car elles sont abstraites, mais elles sont chargées de spiritualité, une spiritualité physique, avec les couleurs du ciel, des couleurs de l'imagination, des couleurs émotionnelles, avec cependant des structures et des superficies assez brutales. Mes oeuvres, bien qu'abstraites ne sont pas compliquées. Il s'agit seulement de se préparer et de les goûter." Le père Laplana explique :  "c'est la revalorisation d'un espace religieux qui conflue vers la modernité la plus actuelle et la plus puissante"

     

  2. Charles

    Il est parfois difficile de comprendre le rapport entre l'art roman et l'art contemporain, mais ce petit moine à l'air de savoir ce qu'il fait. Merci d'ailleurs pour ces mots : "Sa passion pour l'art et son engagement pour la culture s'inscrivent dans la longue tradition du monastère, et se nourrissent à la même source que son humilité joyeuse : sa familiarité avec le Mystère. Son amitié et sa prière furent le climat qui a permis le miracle Santa Cecilia".  Et quel paysage autour de la chapelle Sainte Cécile ! On comprend que cet artiste ait été inspiré ! 

  3. Bruno ANEL

    Prodigieuse Montserrat, montagne sacrée des Catalans. Nous y etions il y a dix jours avec Paul. Tout est à voir: le site (qui aurait inspiré à Wagner le Monsalvat de Lohengrin) , l'abbaye, la basilique, Ste Cécile, le musée…

  4. Clement R.

    C'est une entreprise prophétique que cette restauration! Suciter l'emerveillement qui renvoie au Mystère…

    Elle me rappelle le lien étroit et crucial d'interdepenence entre l'Eglise et l'art comme St Jean Paul II l'avait décrit dans sa lettre aux artistes du 4 avril 1999:

    16. Au seuil du troisième millénaire, je vous souhaite à tous, chers artistes, d'être touchés par ces inspirations créatrices avec une intensité particulière. Puisse la beauté que vous transmettrez aux générations de demain être telle qu'elle suscite en elles l'émerveillement ! Devant le caractère sacré de la vie et de l'être humain, devant les merveilles de l'univers, l'unique attitude adéquate est celle de l'émerveillement.

  5. Alexis Dupuy

    La première messe dans la chapelle a été célébrée par le P. Paul Anel en compagnie du p. Laplana et de Sean Scully. Retrouvez les photos de cet événement ici :

    Facebook Museu Montserrat

      

      

    Pour les new-yorkais, conférence de P. Paul le 16 juillet au Point-Cœur de Brooklyn.
    P. Laplana sur facebook : "Father Paul, indeed you are our accredited ambassador".