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Migration et intégration : ce que pense l’ONU

De concert avec les préoccupations de l'ONU sur le droit des migrants, les députés français travaillent du 20 au 24 juillet pour accélérer le processus d'intégration des étrangers. La migration est un enjeu actuel de taille. La politique européenne sur la gestion des frontières et l’accord de Dublin sont fortement remis en cause. Mais quels sont les problèmes concrets de la migration ? Quelle perspective adopter dans la compréhension de ce phénomène ? Et quelles sont les solutions envisagées actuellement ?

Photo : Tukiki.net (Sénégal)
 

Dans le cadre de la 29ème session des droits de l'homme à Genève qui a eu lieu du 15 juin au 3 juillet dernier[1]François Crépeau, rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants a donné un éclairage intéressant sur la migration. Point-Cœur, en tant qu’ONG ayant le statut consultatif à l’ECOSOC, a assisté aux discussions. 

Dans la question de la migration, les états européens et les politiques actuelles se placent du point de vue de la souveraineté et de la protection des frontières. En opposition, Monsieur François Crépeau analyse la situation du point de vue des droits de l’homme. Il affirme : « Le primat constamment accordé à la sécurité continue de structurer la manière dont l’Union européenne aborde la gestion de ses frontières. Les droits de l’homme des migrants ne sont pas intégrés aux politiques de manière globale et cohérente » (A/HRC/29/36 p.7). Il apporte ainsi un regard différent sur le phénomène de la migration en focalisant son attention sur les problèmes de violation des droits de l’homme.

La gestion des frontières européennes en porte-à-faux avec les droits de l’homme

Comme en témoignent les nombreuses catastrophes en mer, la politique migratoire porte atteinte au droits les plus fondamentaux des migrants. En effet, Monsieur François Crépeau affirme dans son rapport que « les morts récentes de migrants doivent être considérées comme le résultat d’une volonté politique et de choix de politique générale de l’Union » (A/HRC/29/36 p. 4). La fermeture des frontières européennes rend les possibilités de migration régulière très réduite ce qui pousse les migrants à se tourner vers des passages illégaux en direction de l’Europe. Afin de fuir des situations de conflits ou des marchés économiques fermés, ces personnes sont prêtes à embarquer sur des bateaux de fortune en échanges de sommes astronomiques. Le voyage est périlleux et les migrants sont souvent exploités et violés en route.

Les migrants en situation de vulnérabilité en Europe

Une fois sur le sol européen, ils font face à de nouvelles difficultés. Leur précarité les pousse à s’engager dans des emplois disqualifiés et le risque d’exploitation sur le marché du travail est très élevé. De plus, les migrants sont souvent placés en détention dans des conditions misérables pour cause d’immigration ou en attente de renvoi. Un passage en prison, bien qu’ils n’aient pas commis de délit, rend leur insertion plus difficile. Marginalisées, ces personnes deviennent souvent la source de discrimination et d’exclusion.

D’autre part, la logique des accords de Dublin III favorise le trafic de migrants à l’intérieur du territoire européen. Son règlement impose aux migrants de déposer leur demande d’asile dans le premier pays de débarquement, cela afin d’éviter que les migrants déposent plusieurs demandes dans différents pays. Puisque les lois sur la protection des migrants diffèrent selon les pays, les migrants tentent de rejoindre ceux dans lesquels ils obtiendront une meilleure situation. La logique de Dublin crée donc une Europe divisée dans laquelle chaque pays gère ses requérants indépendamment. Mis à part ces contradictions dans la gestion du déplacement des personnes au sein de l’Union, le trafic de migrants qui en résulte est alarmant. Ces diverses violations des droits de l’homme ne trouvent que peu d’échos dans les cours pénales car les migrants ont un accès restreint aux procédures de plaintes et sont souvent effrayés de dénoncer les violations dont ils ont été victimes.

Recommandations et changements politiques

Des changements de système sont donc nécessaires. Le rapporteur spécial encourage la mise en place d’une stratégie cohérente en matière de gestion de la migration sur les 25 prochaines années. Il soutient les initiatives sur la régularisation de la migration, notamment la possibilité d’obtenir un visa saisonnier, et encourage la création de nouvelles structures d’accueil.

L’enjeu migratoire a déjà suscité plusieurs réponses politiques. Au sujet des accords de Dublin, les députés au parlement européen demandent depuis quelques temps un mécanisme contraignant pour la répartition des demandes d’asile. Une telle politique soulagerait les pays côtiers comme l’Italie et la Grèce. Pour commencer, 40 000 migrants devraient être relocalisés dans toute l’Europe. De plus, les états réforment actuellement leur système de demande de droit d’asile. En ce moment en France, du 20 au 24 juillet, ont lieu des discussions sur un projet de loi sur le droit des étrangers visant à améliorer l'intégration des étrangers et à abolir les détentions faisant suite aux demandes d'asile. Il est notamment question d'introduire des permis de séjour pluriannuels afin de faciliter l'accès au marché de l'emploi et l'intégration des migrants (Vidéo de France 24 : projet de loi sur les migrants). En réponse aux nombreuses personnes décédées en mer, des opérations de recherche et sauvetage ont aussi été mises en place par l’agence européenne de la gestion des frontières, FRONTEX. Par ailleurs, différents cas de violation des droits de l’homme ont été pris en considération par les gouvernements et des arrêts ont été formulés pour dénoncer les détentions illégales et les difficultés d’accès aux services sociaux des migrants.

L’intégration en Europe : processus fragile, mais économiquement souhaitable

En parallèle de la présentation du rapport de Monsieur François Crépeau, la Mission Permanente du Saint-Siège et l’Ordre de Malte, en association avec la Fondation Caritas in Veritate, le Centre Catholique International sur la Migration et Caritas International ont organisé une conférence sur l’intégration des migrants qui atteignent les côtes européennes. Si la migration est un enjeu de taille, il ne faut pas oublier la question tout autant sensible de l’intégration des migrants qui ont obtenu un permis de séjour.

Lors de son intervention, le cardinal Francesco Montenegro, ayant l’île de Lampedusa sous sa juridiction et nommé « Evêque des migrants » par le pape François, a décrit ses expériences en Italie. Selon lui, l’intégration des personnes migrantes est d’abord relationnelle et réciproque. C’est à la rencontre des populations locales que les migrants s’insèrent dans la société. Elle est donc concrète avant d’être politique et théorique. Ainsi, le cardinal porte un regard plutôt positif sur les institutions et organisations bénévoles qui déploient des efforts renouvelés pour répondre aux besoins des migrants. Dans ces centres, migrants et locaux découvrent une réalité nouvelle et tissent des liens d’amitiés.  

Mais les autres conférenciers relèvent également les difficultés et peurs liées à ces nouveaux arrivants. Souvent, les migrants sont mal vus et rejetés : ils sont vus comme des personnes qui s’emparent du travail des Européens, des pauvres inutiles et encombrants ou encore des terroristes dangereux. Lorsque la réalité des migrants est méconnue, il est facile de projeter des mythes et préjugés sur ces inconnus.

En réalité, comme le montre François Crépeau dans son rapport, les migrants sont nécessaires pour le bon fonctionnement de l’économie et jouent un rôle important dans la productivité. Avec le vieillissement de la population, l’Europe compte de plus en plus sur le travail des migrants pour faire fonctionner l’économie. Des employés à tous les niveaux de l’échelle sociale sont nécessaires. D’un côté avec la hausse des diplômes en Europe, les ouvriers étrangers viennent combler le manque de main d’œuvre. De l’autre, malgré le chômage, les entreprises se plaignent souvent de ne pas trouver de travailleurs ayant les qualifications suffisantes. L’accent mis sur la sécurité des frontières freine donc également l’arrivée de travailleurs qualifiés en Europe, qui sont indispensables pour le bon fonctionnement du système économique.

Le défit du critère humain

En conclusion, les questions sociétales liées à la migration devraient être évaluées d’un point de vue humain et non seulement sous l’angle politique et sécuritaire. De plus, il est important d’adopter une vision globale de la situation afin d’éviter un nombrilisme dangereux. Notre vision euro-centrée sur la problématique de la migration oublie trop souvent les millions de réfugiés qui se trouvent actuellement au Liban et en Turquie, par exemple. En effet, alors que la Turquie accueillait en 2014 1,9 mio de réfugiés et le Liban 1,3 mio, l’Europe dans son ensemble recevait seulement 620 000 demandeurs d’asiles (A/HRC/29/36 p.5). Cependant, il est vrai que si l’on se focalise sur les demandes d’asiles déposées en Europe au cours des dernières années, les demandes augmentent rapidement. Alors que l’on en comptait 450 000  en 2013, l’UE a examiné 620 000 demandes en 2014 et l’on peut présumer une nouvelle augmentation pour 2015.

Si les flux migratoires sont à réévaluer au regard de la réalité globale et aux nombres de réfugiés dans les pays voisins des conflits, il est cependant essentiel de se pencher sur la question de la migration vers l’Europe. En réponse aux conséquences désastreuses de la politique migratoire actuelle, l’EU doit envisager de nouvelles solutions sur les recommandations du rapporteur spécial à l’ONU.

 

Note

[1] Cf. Ensemble des rapports de la 29ème session des droits de l'homme & communiqué final.

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5 Commentaires

  1. Patrice

    c'est amusant de lire un article aussi politiquement correct si peu objectif, si partial (le strict "droit des migrants"…ce qu'en pensent les peuples accueillants nous est bien égal) sur ce blog. Tout est mis en oeuvre pour organiser une véritable "colonisation" légale et droit de l'hommiste de Europe par les migrants! Et on nous fait croire que c'est nécessaire au bon fonctionnement de "l'économie" bien sûr. Ceci arrive à un moment de l'Histoire ou l'Europe ne sait plus qui elle est et ne s'aime pas, elle est donc incapable d'intégrer ces masses immenses de gens qui croient trouver le bonheur sur nos contrées. Le changement n'est pas sur "les droits de l'homme" des migrants, mais bien surtout sur la culture européenne qui doit retrouver ses forces et son génie pour des deux peuples, n'en faire qu'un. Mais ça c'est pas demain la veille disait ma grand mère.  

  2. Vincent

    Je partage volontiers l'avis de Patrice. Si, à l'évidence, on ne peut pas nier les droits de l'homme des personnes migrantes, et il ne s'agit pas de les traiter comme seulement selon des statistiques, des flux, des chiffres. Ce serait tragique d'oublier ainsi que derrière ces nombreux visages entassés sur des barques de fortune, il y a des familles entières, des personnes qui vont être séparées parfois pour toute la vie, etc. On ne peut cependant pas non plus ne pas reconnaître que la croissance de ce phénomène migratoire est largement encouragée par la faiblesse des gouvernements européens. Tout le monde est d'accord pour reconnaître que c'est un grave problème, et pourtant personne n'intervient. Le risque est grand en effet … sur le plan électoral. Et il est bien plus facile de s'empoigner à l'assemblée nationale en employant de grandes formules historiques que de se lancer dans une grande politique de coopération par exemple avec les pays d'Afrique pour les aider à garder leurs populations, où quoiqu'il arrive ils seront toujours plus heureux que dans nos banlieues. C'est bien beau de vouloir les répartir entre tous les pays d'Europe, mais c'est cela semble d'une naïveté déconcertante doublée d'une arrogance très occidentale: ces gens iront là où l'on décidera qu'ils aillent qu'on se le dise! C'est ça, c'est ça… C'est pas demain la veille comme disait la grand-mère de Patrice qui devait être une femme plein de bon sens.

  3. Camille

    Il est certain que le problème migratoire est beaucoup plus complexe et fondamental et ne peut être réduit au strict droit des migrants. Je constate, comme vous, la faiblesse des politiques européennes sur ce sujet essentiel. L’UE se trouve, en ce moment, réellement confrontée à la problématique des pays dits en voie de développement. Jusqu’à maintenant, elle se contentait d’aider ces pays en leur versant quelques deniers par année.  Aujourd’hui, l’UE est touchée frontalement et sa politique doit redéfinir ses options en focalisant ses réponses à la source de la migration. L’enjeu réel est effectivement d’aider les pays dans leur développement en offrant à leurs populations un avenir.  

    1. Vincent

      Chère Camille,

      Merci d'avoir répondu à nos commentaires par le tien. Je trouve intéressante l'idée de continuer à réfléchir un peu, aussi, je te réponds à nouveau. Je ne souligne que deux aspects. 1. L'idée de défendre les droits de l'homme des immigrés est assurément bonne lorsqu'il s'agit de réellement prendre en compte les personnes concernées, et de les aider à atteindre ce qu'elles visent. Mais, si c'est seulement une opération de communication politique (ce que je crois que c'est en l'occurrence, tant du côté de l'ONU que du côté de la France pour ne parler que de nous), alors ce genre d'annonces pleines de bonnes intentions n'est plus que l'expression d'un cynisme très politique: on se fait prendre en photo en train de serrer une main pleine de compassion avec des personnes en situation de détresse, une expression bien frappée à l'Assemblée Nationale est en première page des journaux, on a la main sur le coeur, etc… mais dans le fond on n'ose jamais s'attaquer au problème. Pour ma part, comme tu le dis dans ton commentaire, je ne vois pas d'autre solution qu'un renforcement de coopération avec les pays en question. L'urgence est d'autant plus grande que l'Afrique connaît une croissance démographique très forte.
      2. Ensuite, tu dis que l'UE ne se contentait jusqu'alors que de donner "quelques deniers par année" aux pays d'origine… Tu réalises tout de même que depuis 50 ans la France a engagé plus d'une trentaine d'opérations militaires en Afrique. Certaines de ces opérations ont duré plus de 30 ans (Tchad), et d'autres sont encore en cours (Côte d'Ivoire, Mali, Egypte, République centrafricaine). Des dizaines de militaires français ont trouvé la mort dans ces conflits… Par ailleurs, la France, très souvent intégrée dans les forces de l'ONU, ou alliée à d'autres pays, s'est engagée dans l'attaque et la chute de gouvernements dont elle ne souhaitait plus la présence. Le conflit en Lybie n'est pas un si vieux souvenir. Faut-il dire que la Lybie est précisément l'uns de principaux points de départ des bateaux d'immigrants africains vers l'Europe? Et que, malheureusement, ce pays est aussi un terreau propice aux réseaux mafieux spécialisés dans … le trafic d'immigrants?!
      Cela dit, je suis bien d'accord avec toi, c'est un problème complexe, mais on ne peut tout de même pas trop encenser des annonces que contredisent en partie les faits. 
      Bon travail à toi.

  4. Denis Cardinaux

    Il est évident que la situation extrême de milliers de personnes ne peut laisser indifférent. Mais il faut sans doute distinguer deux problèmes qui sont liés sur le plan des droits de l'homme : d'une part l'urgence humanitaire à laquelle il faut répondre, d'autre part la politique de fond pour y remédier véritablement (droits à ne pas imigrer : Benoît XVI). Malheureusement, les options tendent plutôt à une naturalisation facilitée, qui ne peut qu'augmenter ces flux destructeurs pour les personnes elles-mêmes et pour les pays d'accueil. 

    Ce qui m'a frappé dans l'article de Camille (au passage, elle rapporte et synthétise des propos tenus lors d'une conférence à l'ONU, c'est donc un article objectif même si le contenu des propos prête à discussion), c'est la question des quotas de répartition des migrants. Un jugement intéressant sur le sujet a été publié par Maxime Tandonnet sur le Figaro. Il montre qu'il est illusoire de penser que les états puissent se mettre d'accord sur le nombre de migrants à accueillir, puis il souligne qu'en raison du critère humain, il est irréaliste qu'on puisse contraindre les migrants à aller dans tel ou tel pays (voir les évènements de Calais). Pour lui, s'en remettre au Conseil Constitutionnel de l'ONU sur ce thème est une démission des pays européens face à l'urgence, d'autre part, il s'étonne qu'il n'y ai pas un plan massif de développement des pays du sud de la part de la première puissance économique mondiale (l'Europe …) afin de stabiliser les populations. "L'annonce des «quotas» symbolise ainsi une Europe paralysée par ses dogmes bureaucratiques." Le Figaro (13/05/2015)