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15 août : histoire d’un vœu royal

Un simple vœu : celui de Louis XIII, encouragé par le cardinal Richelieu. Voilà un fait de notre histoire dont nous avons bien du mal à réaliser la portée, et dont nos yeux contemporains perçoivent difficilement les contours. Nous avons toutefois à faire ici à l’un des nœuds décisifs de notre histoire, un de ceux qui ont assuré le rayonnement de notre pays au-delà de ses frontières, et qui lui ont fait franchir un pas supplémentaire dans le sens de l’affermissement de l’Etat et de l’unité du peuple français.

Philippe de Champaigne, Le voeu de Louis XIII (extrait), 1638,
huile sur toile, 345 x 260 cm, Caen, Musée des beaux-arts.
 

Une situation politique compliquée

Officiellement instituée le 15 août 1638, la consécration de notre pays à la Vierge Marie par Louis XIII s’inscrit dans un contexte qu’il est nécessaire de décrire au moins succinctement, en commençant par évoquer la situation géographique et politique de la France dans l’Europe du XVIIème siècle.

Les cartes de l’époque montrent bien que les frontières actuelles étaient loin d’être atteintes (elles le seront presque totalement avec Louis XV en 1668). En tant que telle, cette situation est périlleuse pour le Royaume. La ville de Corbie, au Nord de Paris, à la frontière avec les Pays-Bas espagnols (la future Belgique) se trouve à seulement 120 kilomètres de la capitale.

Au plan de la politique étrangère, le grand danger pour Louis XIII vient avant tout des Habsbourg d’Autriche, liés à l’Espagne, laissant planer le risque de voir renaître le Saint Empire romain-germanique de Charles Quint. Cela dit, l’un et l’autre de ces puissants voisins connaissent d’importantes difficultés intérieures. Les finances espagnoles sont en pleine dégringolade malgré l’or du nouveau monde, et l’unité de l’Empire est constamment menacée par les divisions intérieures et l’Empire Ottoman voisin.

Le Royaume de France est traversé lui aussi par de fortes tensions. Le pays sort d’un siècle de guerre de religions. Par ailleurs, certaines des grandes familles et certains des princes du sang se rebellent régulièrement contre l’ascension de Richelieu dans l’appareil de l’Etat, entrainant avec eux la propre mère du Roi, Marie de Médicis et son fils cadet Gaston d’Orléans. Louis XIII soutiendra toujours fermement son principal ministre. Enfin, il y a les protestants. Si le roi et le cardinal sont plutôt bienveillants vis-à-vis de la pratique réformée, ils ne peuvent pourtant pas accepter que le schisme entraîne une division de l’autorité de l’Etat, ou soit l’occasion pour les anglais comme pour les espagnols d’en profiter pour déstabiliser le Royaume.

La situation matrimoniale du couple royal rend ce contexte déjà compliqué encore plus embarrassant. Anne d’Autriche, sœur du roi d’Espagne, et Louis XIII ne s’aiment pas, et ils n’ont pas d’enfant après vingt ans de vie conjugale. Tout le royaume est de fait fragilisé par ce problème, la dynastie étant héréditaire par ordre de primogéniture masculine.

En mai 1635, l’Espagne force la France à entrer en guerre ouverte avec l’Empire et ses alliés. Malgré la provocation espagnole, le roi de France hésite. D’accord avec son fidèle ministre, il souhaite la grandeur et la gloire de la France, et désire pour cela lui donner une place de premier plan parmi les puissances européennes. Mais cette volonté doit-elle être accomplie à n’importe quel prix ? Les doutes de Louis XIII sont de nature religieuse : quelle est en cette affaire la volonté divine ?[1].

La victoire de Corbie, le vœu et la naissance du Dauphin

La première année de guerre est surtout l’occasion de révéler l’état d’impréparation des troupes françaises que Richelieu se dépêche de rattraper durant l’hiver. Mais, au printemps 1636, la situation n’est guère plus brillante. Depuis les Pays-Bas espagnols, les troupes ennemies entrent en Picardie et assiègent les villes aux marches du Royaume.

Le 19 mai 1636, le cardinal écrit alors au souverain : « On prie Dieu à Paris, par tous les couvents, pour le succès des armes de Votre Majesté. On estime que, si elle trouvait bon de faire un vœu à la Vierge avant que ses armées commencent à travailler, il serait bien à propos… Un redoublement de dévotion envers la Mère de Dieu ne peut que produire de très bons effets ». Ce à quoi le roi répond : « Je trouve très bon de faire le vœu à la façon que vous me le mandez »[2].

Au début du mois d’août 1636 cependant, la situation militaire ne fait qu’empirer pour les troupes françaises, au moment où les espagnols décident le siège de la ville de Corbie, entre Amiens et Saint Quentin. Si celle-ci devait tomber, la porte serait grande ouverte jusqu’à Paris. En quelque sorte, c’est une « bataille de la Marne » avant l’heure qui va se jouer là. Malheureusement, bien que « la ville soit pourvue en vivres et en munitions »[3] et puisse supporter un long siège, son gouverneur négocie la capitulation de la ville pour prix de sa liberté… La chute de Corbie sans coup férir provoque une véritable déflagration dans tout le Royaume. Les populations picardes et parisiennes se retrouvent sur les routes. Richelieu, que certains accusent d’être responsable de cette tragique situation, perd courage à son tour. Seul le roi, apparemment insensible aux circonstances désastreuses, reste convaincu de sa bonne fortune. Il lance une conscription exceptionnelle dans Paris, sollicite les plus grandes fortunes du Royaume pour les mettre à contributions, et quitte finalement Paris sous les vivats, le 1er septembre à la tête d’une contre-offensive redevenue confiante.

L’incroyable se produit alors. Les troupes espagnoles, divisées sur leur stratégie, et inquiètes de pousser leur avantage jusqu’à Paris où un siège prolongé leur apparait impossible à soutenir, refluent en partie vers les Pays-Bas espagnols, laissant seulement quelques garnisons dans les villes conquises. Pour Richelieu, revenu à l’optimisme, « c’est un coup de Dieu ! » Et finalement, le 10 novembre 1636, Corbie redevient française. « Louis XIII apprend la nouvelle avec un plaisir infini à Chantilly, où il fait chanter un Te Deum. Le royaume est sauvé ! Il annonce son intention de consacrer sa personne et son royaume à Dieu, sous la protection spéciale de la Vierge Marie qu’il a beaucoup priée. Et c’est ce qu’il fait quelques mois plus tard ». Il écrit au Cardinal le 24 novembre : « Depuis la prise de Corbie, je me suis mis à la dévotion beaucoup plus que devant, pour remercier Dieu des grâces que j’en ai reçu »[4].

Le roi tient enfin le signe divin tant attendu : il ne s’était pas trompé dans sa lutte contre les empereurs et princes quoique tous catholiques et défenseurs de l’Eglise comme lui.

Par la déclaration du 10 février 1638, le roi demande « à tous les habitants du Royaume, avec le concours des autorités civiles, judiciaires, municipales et religieuses d’organiser et d’encadrer le 15 août de chaque année c’est-à-dire le jour de la fête de l’Assomption, une grand-messe (commémorant le Vœu au prône), des vêpres que suivra une procession solennelle »[5]. Louis XIII prononce lui-même la consécration pour la première fois, le 15 août 1638, à Abbeville dans l’église des Minimes. Il conduit ensuite la procession mariale accompagné d’une foule immense[6].

Louis XIII offrant à la Vierge sa couronne et son sceptre, 
Choeur de Notre-Dame, Guillaume Coustou, sculpteur, 1715.
 

Durant ces mois de grande ferveur populaire, la venue au monde, le 5 septembre 1638, du futur Louis XIV est reçue comme un signe supplémentaire de la bénédiction de Dieu accordé à la couronne et au peuple français. Le dauphin, appelé Dieudonné pour la circonstance, est accueilli dans une véritable liesse populaire à travers tout le Royaume. De clochers en clochers, une immense onde sonore parcourt la nation entière, propageant comme une trainée de poudre une espérance folle, « un remerciement aux promesses du Ciel »[7]. Dès l’année suivante, le 15 août 1639, la commémoration du vœu est ainsi associée non plus seulement à la protection particulière dont le Royaume a fait l’objet lors de la prise de Corbie, mais aussi à l’heureuse naissance du dauphin assurant la continuité de l’Etat et l’unité du Royaume.

Le roi ouvre les portes du Ciel

L’évocation trop rapide des événements ne permet sans doute pas d’en apprécier pleinement l’influence décisive non seulement sur le cours de l’histoire de France et d’Europe, mais encore sur une certaine conception du pouvoir terrestre. Peut-être pouvons-nous tout de même nous risquer à faire quelques remarques.

Il faut commencer par tordre le cou à une légende tenace. Depuis Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, l’histoire ne semble plus pouvoir se départir de l’image d’un Louis XIII étouffé, maladif et maintenu dans l’ombre par son éminence pourpre. Ce mythe, maintes fois repris dans la littérature, connaît encore aujourd’hui un regain de postérité par le cinéma. Les historiens nous révèlent cependant que la réalité est tout autre. En Richelieu, Louis XIII, qui n’en est pas à son premier collaborateur, réalise qu’il lui est donné une perle rare. Il faut certes beaucoup de tact et d’intelligence aux deux hommes pour pouvoir maintenir, pendant plus de vingt ans de pouvoir, l’équilibre de leurs relations. Mais il faut aussi à Louis XIII une réelle force de caractère pour maintenir en poste son ministre contre les attaques perpétuelles des Grands. La fameuse journée des Dupes montre bien que Louis XIII ne manquait pas de détermination. Le sort de Richelieu a ainsi continuellement reposé entre les mains du roi. L’épisode du vœu montre d’ailleurs bien que le roi a su prendre sur lui sa part du fardeau, et entrainer derrière lui, son ministre et l’ensemble du Royaume. Si l’intelligence politique, la profondeur et la justesse des vues stratégiques et diplomatiques ont été portées au pouvoir par l’ancien évêque de Luçon, la force et le courage dans les moments critiques sont plus souvent venues du souverain. Reconnaissant mutuellement qu’ils avaient besoin l’un de l’autre, ces deux géants de notre histoire ont su jouer cette carte jusqu’à leur mort, offrant par là un très beau modèle d’abnégation politique, et de service d’un bien plus grand que leurs personnes, le bien du Royaume.

Enfin, le principal enseignement de l’histoire du vœu tient tout entier dans l’attitude du roi et de Richelieu : leur humilité devant Dieu. Ni l’un ni l’autre ne s’imagine être la source du pouvoir qu’il détient. Malgré la conscience de leur grandeur, ils n’agissent jamais comme s’ils étaient les maîtres de leur propre destin, ni même les maîtres du destin de leur peuple. Pour eux, la vie, les évènements et l’histoire n’ont qu’un seul Souverain, le Père du Ciel et de la Terre.

Louis XIII et Richelieu devant la Rochelle (détail)

Etre maître de sa propre histoire, voilà une tentation moderne de notre époque, dont nous subissons la très forte influence, et qui pousse la raison à imposer ses schémas à la réalité. Dans les cercles de pouvoir comme au niveau individuel, cette forme d’esprit à la fois cartésienne et hégélienne prend l’exact contrepied de l’attitude de disponibilité qui est non seulement la marque d’une foi profonde, mais encore l’unique voie possible pour espérer que nos actes soient réellement féconds. L’exemple lumineux de Louis XIII et de Richelieu vient nous rappeler que la disponibilité du disciple vis-à-vis de Dieu, cultivée par la foi et la prière, est fondamentale. En elle, « un sens peut jaillir et un événement authentique se produire »[8]. C’est l’attitude mariale par excellence, et la manifestation d’une insigne grandeur. En s’en remettant pleinement à Dieu, et en attendant de Lui la lumière et la grâce, le roi et son ministre ont donné aux évènements leur vraie valeur. Il ne s’agit plus seulement d’une victoire militaire, ni même d’une victoire politique. L’enjeu est autrement plus profond : s’ils n’étaient pas des saints au sens canonique du terme, en formulant ce vœu, ils ont agi comme des saints, et ont de ce fait ouvert l’horizon de l’histoire aux dimensions du Salut. « Les missions des saints, nous dit Balthasar, sont tellement la réponse d’en haut aux questions d’en bas, qu’elles font souvent l’impression d’être une apparition incompréhensible, des signes qu’il faut contredire au nom de tous les bien-pensants, jusqu’à ce qu’ils aient apporté la preuve de force. Saint Bernard, saint François d’Assise étaient des preuves de ce genre, et de même saint Ignace et sainte Thérèse d’Avila ; tous, comme des volcans en éruption, faisant sortir une lave ardente de la profondeur suprême de la révélation, et démontrant irréfutablement, en dépit de toute tradition horizontale, la présence verticale, la brûlante actualité du Seigneur vivant »[9].

 


[1] Pour le spécialiste de l’Ancien Régime qu’est Jean-Christian Petitfils, « ce serait ne rien comprendre à la personnalité du roi que d’en négliger sa dimension religieuse ». Et il ajoute, que Louis XIII, « animé d’une foi ardente, humble de cœur devant Dieu, pénétré de son indignité, avait une dévotion particulière pour la Vierge Marie, en qui il mettait toute sa confiance. Il avait multiplié envers elle les actes de piété, visitant au cours de ses multiples déplacements en province les sanctuaires mariaux. Il croyait aussi à la justice immanente, à l’intervention de la divine Providence dans les affaires du Royaume. Or, pendant longtemps, le sort incertain de ses armes l’avait fait hésiter. En déclarant la guerre à un pays catholique, l’Espagne, en soutenant contre l’empereur catholique des princes réformés, avait-il fait vraiment le bon choix ? » Cf. Jean-Christian Petitfils, Louis XIII, Perrin, 2008, p. 752.

[2] François Bluche, Richelieu, Perrin, 2003, p. 278. Des études récentes ont montré que, déjà en 1630, Louis XIII avait émis le souhait de faire un tel vœu et de consacrer sa personne et son royaume « à Dieu en premier » et à « l’empire de la Très Puissante Dame ». Si l’initiative d’un tel vœu est donc tout entière du côté du roi, il est aussi probable que devant la pression des circonstances on doive à Richelieu de la lui avoir rappelée .Cf. René Laurentin, Le vœu de Louis XIII, éditions François-Xavier de Guibert, 2ème éd. 2004.

[3] Jean-Christian Petitfils, Op. cit., p. 691.

[4] Jean-Christian Petitfils, Op. cit., p. 702.

[5] François Bluche, Op. cit., p. 278.

[6] Jean-Christian Petitfils, Op. cit., p. 755 : « Sur le plan politique, le vœu fut tout de suite très populaire. Associé à la fête de Saint Louis, il joua un rôle de grande importance dans l’union des Français autour du trône ».

[7] Jean-Christian Petitfils, Op. cit., p. 760.

[8] Hans-Urs von Balthasar, La théologie de l'histoire, Parole et Silence, 2003, p. 103.

[9] Hans-Urs von Balthasar, Op. cit., p. 95.

 

 

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