Home > Politique > L’avenir international de la France se joue-t-il en Russie ?

L’avenir international de la France se joue-t-il en Russie ?

Le 29 mai dernier, Vladimir Poutine était le premier chef d’Etat étranger à être reçu officiellement par le président Macron. Une visite saluée par tous les experts comme un signe de réchauffement des relations diplomatiques franco-russes en rupture avec la ligne défendue par le président Hollande pendant son mandat. Petite évaluation des enjeux et de l’avancée de ce dossier cinq mois après la royale rencontre.

Alors qu’il est souvent présenté comme l’héritier de François Hollande sur de nombreux dossiers, force est de constater que sur la question russe Emmanuel Macron surprend plus d’un observateur, à commencer par Vladimir Poutine lui-même. Dans un monde où rien n’est gratuit, il est légitime de se demander qui de la France ou de la Russie a le plus à gagner à un tel rapprochement.

S’agit-il d’aider la Russie à sortir de l’isolement ?

Dans un premier temps, il semble que ce soit la Russie qui ait le plus à gagner à un réchauffement diplomatique avec la France. Encore sous le coup des sanctions économiques imposées par Bruxelles et par Washington en réponse à son action en Ukraine,Moscou aspire certainement à voir l’étau se desserrer. Par ailleurs, la résolution du problème syrien a souvent vu la Russie en porte-à-faux avec ses homologues français notamment. Enfin, sur un certain nombre de questions délicates comme celle des droits de l’homme, des minorités ou de la liberté de la presse, Vladimir Poutine est encore regardé comme un presque dictateur par un large courant de l’opinion française. Moscou a aussi été accusé de vouloir manipuler la campagne présidentielle française. 

Dans ces circonstances, on imagine facilement que l’invitation du président français ait été acceptée avec une grande bienveillance : l’occasion de l’inauguration de cette exposition sur le Tsar Pierre Ier était trop belle (et même presque trop facile) pour offrir une autre image de la Russie. Pompe régalo-républicaine, photos radieuses, entrevue à huis clos de deux heures cinquante, conférence de presse commune, les deux chefs d’Etat ont tenu à montrer qu’ils seraient des partenaires exigeants pour leur vis-à-vis, et en même temps qu’ils étaient partisans d’un dialogue intelligent. Opération remarquablement réussie assurément, qui a vu la naissance du Dialogue du Trianon [1]Institué par Vladimir Poutine et Emmanuel Macron lors de leur rencontre à Versailles le 29 mai dernier, le dialogue du Trianon est un forum franco-russe des sociétés … Continue reading dont on attend encore aujourd’hui qu’il soit officiellement porté sur les fonds baptismaux.

Un rapport de forces déséquilibré

Depuis le 29 mai dernier, d’autres rencontres ont eu lieu, particulièrement entre les ministres des Affaires Étrangères, Sergueï Lavrov et Jean-Yves Le Drian. Les deux hommes se sont rencontrés officiellement à deux reprises, le 20 juin et le 8 septembre. Petit détail gênant, la première rencontre a eu lieu à Moscou, et la seconde qui était annoncée à Paris a finalement de nouveau eu lieu à Moscou. Par ailleurs, dans les déclarations publiques, ce n’est pas tant l’isolement de la Russie qui frappe les esprits que l’incapacité de la France à peser sur la scène internationale. Force est de constater l’énorme déséquilibre des forces entre les deux protagonistes.

À l’échelle mondiale tout d’abord, la Russie est beaucoup moins isolée qu’il n’y paraît depuis l’Europe. Parmi les alliés russes, la Syrie et l’Iran occupent une situation géographique hautement stratégique. Quoique d’une autre façon, Moscou peut aussi compter sur la Chine, et les autres pays appartenant aux fameuses B.R.I.C.S. dont les sommets réguliers viennent faire le contrepoint des G8, 10, 20… Ainsi lorsque la France s’enlise dans des réunions diplomatiques sans fin (et sans effet ?) avec ses partenaires européens, la Russie renforce ses liens avec les protagonistes de la route de la soie du futur… 

Etonnamment la Russie apparaît aussi en position de force au niveau européen. En effet, si les sanctions imposées par l’U.E. en réponse à la crise ukrainienne ont porté des coups à l’économie russe, l’Allemagne, la France et sans doute aussi bien d’autres membres de l’U.E. comprennent qu’ils ne pourront pas faire l’impasse sur un partenariat économique renforcé avec les Russes. La France est ainsi récemment devenue le premier investisseur étranger en Russie. Lors de la rencontre du 29 mai, Vladimir Poutine a souligné qu’aucune des 500 entreprises françaises implantées sur le sol russe n’était partie pendant la crise, et rappelé que les investissements français augmentaient de façon remarquable. Trente-trois des entreprises du CAC 40 par exemple sont installées en Russie. De son côté, l’Allemagne est devenue un partenaire de choix avec les Russes sur la question énergétique pour contourner… l’Ukraine ! D’ici peu en effet, les gazoducs russes qui transitaient par l’Ukraine vont être fermés. L’un d’entre eux passera par la mer et atterrira en Allemagne avant de se répartir partout en Europe. Et qui dit transit énergétique dit milliards de dollars de dividendes. La Russie semble donc bien occuper une position de force face à ses alliés européens. 

Entre la France et la Russie, l’histoire des sanctions et contre sanctions économiques pèse aussi très lourd dans la balance, et il n’est de nouveau pas certain que les Russes soient les perdants dans cette affaire. Une récente étude (juillet 2017) de l’Observatoire Franco-Russe montre en effet que les agriculteurs russes bénéficient largement de la situation. La production de céréales, surtout celle du blé, a ainsi retrouvé le niveau qu’elle avait avant la crise post-soviétique, idem pour la viande et pour le lait. Et les prévisions officielles semblent très optimistes. On ne peut évidemment pas dire la même chose de la France qui subit une concurrence extrêmement exigeante sur ces questions en Europe même. La levée des sanctions européennes intéresse donc surtout les producteurs français…

La pomme de discorde est-elle avalée ?

Ces derniers mois, la situation de l’Ukraine et bien sûr aussi celle de la Syrie ont évolué. Sur ces deux questions épineuses, la Russie semble avoir les devants au point d’imprimer son propre rythme à l’agenda diplomatique international.

En Ukraine, la Russie vient de demander la constitution d’une force de paix sous l’égide de l’O.N.U. qui garantisse la sécurité des observateurs sur place. La France, qui ne peut que se féliciter d’une telle initiative n’a donc plus grand chose à reprocher à Moscou, et ne pourra qu’appuyer la mise en place d’une telle force de paix, comme à s’en remettre aux observateurs et à leurs conclusions pour établir sa nouvelle diplomatie.

En Syrie, c’est de nouveau la France qui a mis de l’eau dans son vin, ne faisant plus du départ de Bachar el Assad le préalable incontournable au processus de démocratisation de la Syrie. Sur ce point les idées russes semblent même être en partie passées dans les déclarations officielles françaises, notamment ce qui concerne la nécessaire continuité de l’État de droit en Syrie. 

Réalisme politique

En organisant la rencontre versaillaise, le 29 mai dernier, la France est apparue grande princesse à l’égard de son partenaire russe, mais si l’on tient compte de la réalité politique et économique, sa position est moins enviable que celle de Moscou. Devant l’énergie déployée par l’équipe Macron, on se demande même si nos dirigeants ne sont pas pris d’un sentiment d’urgence : celle de tourner aussi vite que possible la page des années Sarkozy (retour de la France dans l’OTAN, puissance militaire pro-américaine et anti-russe par excellence), et Hollande (alignement quasi total sur la politique internationale américaine) pour entrer dans une ère de plus grand réalisme. 

Tout en défendant officiellement la ligne bruxelloise de fermeté à l’égard de Moscou, Emmanuel Macron semble vouloir engager les deux pays dans un partenariat rapproché. Par pragmatisme économique sûrement, mais sans doute aussi parce que, dans son rôle de contre pouvoir s’opposant à la super puissance américaine, la Russie de Poutine assume une vocation qui sied naturellement bien à la France.

Reste à savoir si Emmanuel Macron aura l’audace mais aussi la liberté de pousser aussi loin que possible ce rapprochement. On aurait tendance à le croire aujourd’hui (31 octobre), alors que nous apprenons par la bouche de Sergueï Lavrov, que le président français a confirmé sa prochaine venue au Forum économique de Saint Pétersbourg en mai 2018. L’invitation est venue de Vladimir Poutine et ce forum accueillera aussi le premier ministre Japonais Shinzo Abe. L’avenir proche de la France se jouera donc bien aussi en Russie.

References

References
1 Institué par Vladimir Poutine et Emmanuel Macron lors de leur rencontre à Versailles le 29 mai dernier, le dialogue du Trianon est un forum franco-russe des sociétés civiles devant permettre à la jeunesse, aux acteurs économiques et culturels et aux intellectuels de se rapprocher et de surmonter les incompréhensions mutuelles.
Vous aimerez aussi
Le Pape est le seul à vouloir réellement la paix
Anna Scherbakowa: inspiration sur la glace
Confinements russes
Orthodox flashmob, une contre-révolution de couleur dans les Balkans

1 Commentaire

  1. Marie MCD 7783

    Et bien…le blog reprend de la vigueur…Une belle synthése des relations franco-russes de ces dernières années;oui il est gd temps de normaliser nos relations avec la Russie,que le gouvernement précédent s'est payé , à nos dépens,le luxe de bouder que dis-je de ridiculiser.Je pense, que l'audacieux Macron saura rétablir la situation.Comme vous le soulignez, la France a plus à y gagner qu'à y perdre dans tous les domaines (même religieux!!)