Home > Politique > Un point sur la situation en République démocratique du Congo

Un point sur la situation en République démocratique du Congo

La crise est préoccupante. Le pape François demande que la journée de jeûne et de prière pour la paix du 23 février qu’il vient d’instituer soit consacrée « en particulier pour les populations de la République démocratique du Congo et du Soudan du Sud ». Myoto Liyolo citoyenne autrichienne et congolaise, nous aide à comprendre les causes de la crise. 

La situation en République démocratique du Congo est alarmante, pouvez-vous redonner le contexte historique de la crise actuelle du régime ?

La crise actuelle est le résultat d’années de tergiversation par le régime en place sur la question des élections présidentielles.

Le Président Kabila est arrivé au pouvoir à la suite de l’assassinat de son père, en 2001. A l’époque, par crainte d’une dislocation du pays, il a été installé à ce poste par certaines personnes et différents influenceurs étrangers. Il avait été présenté comme étant le seul qui pouvait garder le pays entier et éviter l’effondrement de la RDC. Cette période de transition devait mener à des élections. 

Le 28 novembre 2011, les premières élections présidentielles ont eu lieu. Kabila a été élu (je n’entre pas dans la controverse autour de ces élections). Les prochaines élections devaient avoir lieu en 2016.

L'article 70 de la Constitution du pays, datée de 2006, stipule que le président de la République est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Cependant, prétextant un délai supplémentaire de seize mois et un jour pour finaliser l’enregistrement des électeurs, la commission électorale a annoncé le 20 août 2016 que l'élection présidentielle ne pouvait pas se dérouler avant juillet 2017. 

En Octobre 2017, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), annonçait que le scrutin présidentiel ne pourrait pas avoir lieu avant 2019. Ce nouveau report des élections est à l’origine de la situation actuelle. 

Apres une série de crises et blocages politiques et après trois semaines de négociations, l’opposition et le pouvoir se sont mis d’accord sur la gestion de la RD-Congo jusqu’aux prochaines élections. Adopté sous l’égide de l’Église Catholique au centre interdiocésain de Kinshasa, le texte a été signé quelques minutes avant la fin de l’année, samedi 31 décembre 2017, au soir. C’est pour cela que l’on parle des Accords de la Saint Sylvestre.

Ce texte prévoyait la mise en place d’une transition politique, en attendant l’organisation d’élections présidentielles, législatives et communales d’ici à la fin de 2018.

Le Président Kabila dont le mandat a pris fin le 19 décembre 2016, a donc réussi à rester en place, le temps d’une énième transition. Conformément à la Constitution de 2006 qui limite à deux les mandats présidentiels, il ne pourra pas se présenter pour un troisième mandat. Sauf que jusque-là, il maintient le mystère autour de cette question et évite de répondre à toutes questions sur le sujet.

En contrepartie de son maintien au pouvoir, il a dû choisir son premier ministre dans les rangs de la principale plate-forme de l’opposition, le Rassemblement. Cependant ce pas a connu des turpitudes avec la mort du leader historique Felix Tshisekedi. Sa mort a créé une scission profonde au sein du Rassemblement et ses adhérents, au point que le parti a maintenant plusieurs factions. 

Qui plus est, peut-on croire en la sincérité du président et de ses proches ? Depuis son arrivée au pouvoir en 2001, on ne compte plus les élections truquées, l’usage de la force, les promesses, les engagements et signatures non tenues. À commencer par son serment, à deux reprises, de respecter la constitution de 2006.

Comment expliquez-vous que ce qui a tout d’une dictature ne fasse pas l’objet d’une condamnation claire, ni chez les politiques ni dans les médias?

La presse locale, même s’ il existe une foison de chaines de télévision, de radios ou même de journaux, n’est pas une presse indépendante. C’est-à-dire, que ce sont les annonceurs qui payent les salaires des journalistes ainsi l’information est au plus offrant. Ceci dit, une presse digitale a vu le jour il y a quelques années. Elle est plus objective, plus neutre et plus en sécurité (car souvent basée à l’étranger comme en Afrique du Sud ou en France).

Les politiciens congolais sont en majorité ce que j’appelle des politiciens du ventre. C’est-à-dire, que ce sont des gens qui ne sont pas motivés par une idéologie politique, ni même le respect de préceptes religieux (même si la majorité vous dira qu’elle est catholique pratiquante, ou fait partie d’églises évangéliques) mais plutôt motivés par l’appât du gain et de choses matériels, financières. Je ne connais aucun politicien actuellement qui a fait fortune en dehors de la politique. La preuve c’est que la plupart, lorsqu’ils perdent leur poste ministériel, sont incapables de gérer les biens acquis ni même de maintenir leur standard de vie. Aucun ne travaille pour le bien du peuple et du pays. Il n’y a aucun sens de l’amour du prochain ; du respect de la vie.

L’Opposition qui devait faire front contre tant de maltraitance, est incapable de s’organiser. Et elle n’est opposition que de nom. Très souvent, les soit disant opposants, sont corrompus et pour une liasse de billets, se rangent du côté de la majorité présidentielle ou arrêtent de se battre. Mais comme je le dis souvent, comment être un opposant quand une idéologie politique n’existe même pas ?

Les opposants sont, en majorité, des anciens de la mouvance présidentielle qui ont été écarté et qui n’ont plus d’argent. Ils ne sont pas opposants parce qu’ils ont une idéologie politique qui diffère. Et ceux qui en ont les moyens, essayent de piloter leur opposition à partir de l’Europe. Est-ce vraiment crédible et sérieux de demander à la population de marcher et de manifester alors que l’on est assis dans un hôtel 5 étoiles à Paris, en sécurité et dans le confort, alors que les citoyens se prennent des balles ?

Si ces opposants étaient sérieux alors ils descendraient dans les rues, avec les citoyens afin de braver les mêmes dangers et faire preuve de leadership. Leadership… c’est bien cela qui manque chez nous.

Ainsi, face à l’opinion internationale, les opposants manquent de crédibilité et de lobby fort capables de mettre une pression intense sur le gouvernement. A cela, il faut ajouter que de par sa position stratégique et de ses ressources naturelles, la RDC fait toujours l’objet d’un traitement de « faveur » car le monde a besoin de ses ressources. Il plane toujours la crainte d’une dictature ingérable et de ce fait les « grands » de ce monde, n’osent pas réellement prendre les bonnes décisions. 

 Une chose plus étonnante encore semble échapper au monde entier, c’est la mobilisation pacifique de tout un peuple…

Parfois j’ai l’impression que le monde a jeté l’éponge sur la RDC… On fait 5 pas en avant et 10 en arrière..

Quelle est la place de la prière dans les manifestations ?

La prière est le ciment du peuple. En marchant, tout le monde fait la même prière et brandit les mêmes rameaux de paix. Cela est remarquable car la venue des églises évangélistes (ou de sommeil – tel que je les appelle) avait endormi le peuple. Ces églises sont devenues des lieux de recrutement d’agents de l’Etat mais aussi de dissémination de messages de non-combattivité contre le régime. Et pourtant, lorsqu’il s’agit de marcher pacifiquement, tout le monde, tout groupement confondu, marche ensemble et dit la même ou les mêmes prières sous le conduite du prête ou curé de l’Eglise Catholique.

Comment décririez-vous le rôle de l’Eglise catholique en RDC ?

L’Eglise a dû prendre la place de l’opposition, et elle peut se le permettre car elle est neutre à tous points de vue : pas de clivage ethnique, pas d’appartenance à une mouvance politique particulière et elle est restée cohérente. Son discours n’a pas changé depuis le début de cette fronde. 

Il faut aussi noter que malgré l’émergence dangereuse des églises évangélistes, le peuple congolais reste dans son cœur profondément catholique et lorsque l’Eglise appelle à se lever et à marcher, c’est tout le monde qui suit, même les évangélistes ou les groupes religieux locaux. 

L’Eglise est la seule entité ayant de la crédibilité en RDC. Elle assume le rôle que d’autres ont renié. Elle représente tout l’espoir d’un peuple meurtri.

Le cardinal est une personnalité de premier plan, il a même reçu le soutien affirmé du pape François.

C’est bien là où les politiciens congolais montrent la faiblesse de leur réflexion. Ils ont longtemps cru – ou fait semblant de croire – que le Cardinal Monsengwo agissait de son propre chef, comme s’il s’était réveillé un jour et avait dit aux paroissiens de marcher sous l’égide de l’Eglise Catholique. S’imaginent-ils un instant qu’un Cardinal de l’Eglise Catholique pourrait faire cela sans que le Saint Siège ne soit au courant ? Hors, avant toute chose, il a eu le plein soutien du nonce apostolique, Mgr Luis Mariano Monte Mayor.

Et là où ils se trompent encore, c’est que ce n’est pas l’Eglise Catholique à travers le Cardinal qui appelle à la marche mais c’est le Comité Laïc qui le demande. Et l’Eglise ne fait que soutenir ce mouvement. Les politiciens oublient une fois de plus que ce sont eux-mêmes qui avaient demandé l’intervention de l’Eglise et cela avait abouti aux accords de la Saint Sylvestre. Comment d’un côté demander de « l’aide » et de l’autre, lorsque le discours ne vous plait plus, dire que l’Eglise n’a plus ou pas de légitimité ? C’est bien là toute la contradiction des discours politiques en RDC. 

Vous sentez-vous liée à ce qui se passe en RDC ?

Ce qui se passe en RDC m’affecte tous les jours. J’y suis née, j’y ai grandi et ma famille vit toujours là-bas. J’y avais construit mon entreprise et j’ai participé à l’essor de la classe moyenne. Aujourd’hui,  je ne reconnais plus ce pays.

Je n’arrive pas à concevoir qu’un pays avec tant de richesses, d’intellectuels, soit au bord du gouffre. Comment le président d’un tel pays puisse dire publiquement qu’il n’a pas su trouver 15 personnes capables de diriger avec lui le pays? Comment un président qui jusqu’à son accession au pouvoir ne possédait rien peut voir la misère dans laquelle son peuple vit? Comment arrive-t-on a oublier d’où l’on vient et se conforter dans une telle médiocrité ? Comment des intellectuels deviennent-ils esclaves d’un régime qui a tout fait sauf protéger son peuple, le nourrir, l’aimer?

L’électricité, l’eau, les soins médicaux sont un luxe que très peu peuvent se permettre. Est-ce normal qu’un enfant n’ai jamais vu de l’eau courante ou même une ampoule allumée ? Le minimum de base est considéré comme un luxe en RDC. Quel avenir pour un tel pays et pour son peuple ?

Vous aimerez aussi
Le Pape est le seul à vouloir réellement la paix
La planète danse
“J’ai encore beaucoup de rêves à réaliser”– ou quand le bon génie Jack Ma quitte Alibaba
Cardinal Sarah: “Un homme à genoux fait trembler l’orgueil de Satan” ( I )