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Le pianiste viennois Paul Badura-Skoda est mort

Le 26 septembre dernier il s’est éteint des suites d’un long cancer. Ce qui ne l’avait cependant pas empêché de donner des concerts jusqu’en 2018, que le public viennois attendait toujours avec passion et gratitude. Le site de l’archidiocèse de Vienne publiait ces jours-ci une interview réalisée en juillet par les piaristes chez qui il fut élève puis paroissien durant de nombreuses années. A cette occasion, nous percevons chez ce monument de la musique ce cœur d’enfant qui le caractérisait tant. 

 

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Tournées internationales, nombreux prix et distinctions – la liste de vos succès est longue. Avez-vous l’impression d’être une star ?

Paul Badura-Skoda : Non, pas ça. J’ai toujours voulu être naturel, c’est ce qui m’a toujours caractérisé. Rien n’est plus difficile pour les gens que d’être naturel. Me vient une citation de Goethe:  « Nous entrons dans le monde à un stade non naturel et il faut beaucoup de temps avant que nous parvenions à devenir naturels ». Je ne peux que le confirmer. Je ne suis pas une star, mais je suis l’un des meilleurs pianistes de notre temps. Je peux le dire sans fausse modestie. Une autre citation de Goethe : « Seuls les chiffons sont modestes ». Chez Goethe, tout se trouve, non seulement dans ses poèmes, ses drames, ses romans, mais aussi dans ses lettres : fines et profondes sagesses de la vie.

Cette année, les Piaristes célèbrent les 300 ans de la paroisse piariste de Maria Treu. Y a-t-il un souvenir particulier que vous associez aux Piaristes ? 

Paul Badura-Skoda : Il y a beaucoup de souvenirs. L’une d’elles est la première communion. C’est incroyable à quel point je m’en souviens encore. Aujourd’hui encore, je suis étonné de voir tout ce que l’on comprend quand on est enfant. La transsubstantiation, « ceci est mon corps ». Ce n’était pas du tout un problème pour nous. Un de mes camarades d’école m’a dit qu’il est très clair que lorsque nous mangeons du pain, le pain se transforme en notre corps. Pourquoi pas avec Jésus ?

Encore et encore le souvenir affectueux de Joseph de Calasanz. Un autre souvenir ce sont les pièces de théâtre que nous avons jouées ensemble. Nous avions un groupe de jeunes très actif. Pendant la période nazie, je participais encore à ce groupe. J’ai appris à me déclarer catholique, mais avec une certaine prudence. Il est difficile de s’imaginer à quel point les enfants étaient déjà sous la pression psychologique des Nazis. Aussi des souvenirs merveilleux d’une randonnée particulièrement belle de Perchtoldsdorf puis jusqu’au Küniglberg.  

Aujourd’hui vous allez encore régulièrement à la paroisse piariste. Comment définiriez-vous votre foi ?

Paul Badura-Skoda : Ma foi vient naturellement de mon enfance. Elle était particulièrement intense parce que ma mère est née juive. Mon père était de confession catholique. Quand ils se sont fiancés, il était naturel pour ma mère de se convertir à la foi catholique. Cela m’a donné une relation très intime avec les membres de ma famille non-chrétiens. Le fait d’avoir une religion différente n’a pas changé notre appréciation et notre amour mutuels. Mon père devait être un homme très gentil, presque un saint. Je n’ai entendu que de bonnes choses à son sujet. Il est mort d’un accident de moto quand j’avais quatre mois. Je n’ai aucun souvenir direct de lui. Presque tous les dimanches, nous avons visité sa tombe au cimetière d’Ottakringer avec des membres de la famille. Pour nous, le cimetière était un endroit où il faisait bon jouer. Nous nous émerveillions devant des tombes ornées comme des paysages miniatures. J’ai seulement regretté qu’aucune locomotive de chemin de fer ne soit passée à travers. Nous faisions des jeux, nous nous cachions et nous attrapions, c’était tout à fait naturel. Ce n’est que ces dernières années que je ne peux plus aller à l’église régulièrement. Je le dis franchement, je suis sur le point de mourir. Cela me permet une relation spéciale avec les saints et les grands compositeurs, dont beaucoup ont été rappelés dès leur plus jeune âge.

Les gens associent la musique classique à différentes choses. Comment décririez-vous votre approche de la musique à un profane?

Paul Badura-Skoda : La musique est amour. Mon entrée dans la musique s’est fait naturellement. Ma mère avait deux très belles chambres à louer dans son appartement. Parmi les inscriptions pour l’une d’elles, ma mère a choisi un professeur de piano, une pianiste confirmée, Mme Marta Wiesenthal. Mes leçons ont commencé avec elle à l’âge de six ans. Dans mon enfance, nous avions une collection de disques pour gramophone. A l’époque, j’étais déjà capable de jouer les disques moi-même sans les casser. Je n’avais aucune idée du nom d’un opéra, et je ne pouvais pas le lire. Mais j’ai distingué les disques par le fait que les étiquettes des disques avaient des couleurs et des tailles différentes. Il y avait un disque que j’appelais le disque-chocolat parce qu’il était marron.

Chaque musique était belle pour moi. J’ai grandi dans la musique de telle manière que j’ai progressivement intériorisé même les œuvres les plus compliquées de la musique classique. J’ai fait l’expérience à maintes reprises, que ce soit en Europe ou en Amérique du Sud, que cette musique a un effet direct sur les gens. Surtout dans la musique classique, il y a quelque chose qui n’est pas à la mode, mais qui touche notre personne au plus profond. Il y a une relation intime entre la vénération, la musique et la prière. Ceux qui jouent de l’orgue prient deux fois. J’ai aussi joué de l’orgue dans l’église des piaristes. J’ai aussi eu le privilège de chanter dans la chorale piariste jusqu’à bien après la guerre. J’essaie déjà d’enseigner à mes élèves que la musique classique est une langue. Il est étonnant de voir combien de fois la musique est mentionnée dans les psaumes. Le psaume 150 est le psaume musical par excellence.

Quels compositeurs vous touchent ?

Paul Badura-Skoda : Sans hésitation, ce sont Schubert et Mozart. Les deux expriment quelque chose que vous devez ressentir entre les notes, à savoir l’amour. Cela me ramène au plus grand péché quand on refuse l’amour à une personne.

Vous pouvez jeter un regard en arrière sur une vie passionnante. Que pouvez-vous partager à nos enfants, enseignants, parents, pères ?

Paul Badura-Skoda : Je veux leur donner du respect. Pour moi, les enfants, même tous les êtres vivants, la création des Dieux, sont des choses qui doivent être respectées. Je ne traite pas les enfants avec condescendance. Pour moi, un enfant est une personne totale et une personne qui a une approche plus directe de beaucoup de choses que nous les adultes. Comme l’a dit un jour Sainte Mère Teresa dans une interview, qui sont les meilleurs enseignants ? Les enfants. Tout est dit.

 

 

Paul Badura-Skoda et Jörg Demus, pianos | Fantaisie en fa mineur, D.940 de Franz Schubert

Traduit de l’allemand par Clément Imbert

 

Lire également l’interview réalisée par Jacques Bagnoud de Paul Badura-Skoda et publiée sur Terre de Compassion le 18 juin 2012
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