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Amazing Grace : Un autre regard sur l’esclavage

Le problème racial des Etats-Unis ne date pas d’hier et il est si profond que le premier président noir, Barack Obama, n’a pas suffi à tourner la page de ce chapitre douloureux. De fait , les « lois Jim Crow », qui limitaient les droits constitutionnels des noirs-américains, n’ont été abolies qu’en 1964 (elles restreignaient par exemple leur accès aux transports en commun ou aux établissement publics.) Ce problème est évidemment magnifié par l’approche des élections et en particulier cette année par le succès croissant du mouvement Black Lives Matter. Il est devenu commun d’entendre l’esclavagisme qualifié de « péché originel » des Etats-Unis, péché qui se serait donc propagé à toutes ses institutions. Pour remédier à ce mal radical, on a vu ces mois derniers une entreprise de purification du passé, à coup de statues renversées, de drapeaux brûlés et de noms rayés. Il est indéniable que l’esclavagisme, comme toute forme de racisme, est incompatible avec la dignité inaliénable de toute personne humaine, créée à l’image de Dieu. Cependant, un concert enregistré en 1972, et rendu public pour la toute première fois en 2018, nous raconte une histoire différente…

 

 

Filmé par le cinéaste Sydney Pollack, Amazing Grace est le résultat de deux concerts Live par la « reine de la Soul » : Aretha Franklin. L’occasion était particulièrement importante pour elle : elle retournait pour la première fois à la New Temple Missionary Baptist Church, à Los Angeles, l’église baptiste où elle se rendait, enfant, avec sa famille. C’est là, en écoutant les chants Gospels de la chorale, que sa passion est née et qu’elle a appris à chanter. Lors de ces deux soirées inoubliables, Aretha Franklin renoue avec ses origines et chante les Gospels de son enfance : Mary don’t you weep, What a friend we have in Jesus, Amazing Grace, etc. L’expérience de l’esclavage et celle de l’exil sont omniprésentes dans ces chants. En effet, le Gospel découle directement des « négros spirituals », ces chants d’inspiration chrétienne que les esclaves chantaient pour se donner du courage lorsqu’ils travaillaient dans les plantations. Cependant, l’esclavage et l’exil dont il est question dans les Gospels, ce ne sont pas ceux des africains emmenés de force mais ceux du peuple hébreu quittant la servitude de l’Egypte et traversant le désert en direction de la terre promise. Ce n’est pas le regret de l’Afrique, mais cette espérance poignante de la terre promise qui vibre dans la voix d’Aretha Franklin.

Nous sommes sur cette terre des exilés et nous sommes en route vers notre patrie qui est au Ciel. Dans le Gospel, les noirs américains ont rejoint, au-delà d’une expérience particulière, une expérience universelle et profondément humaine. C’est cette expérience qui, exprimée dans la musique, transfigure la souffrance des noirs-américains et les sauve de la rancœur et de la haine, ainsi que d’une tentative vaine de réécrire ou de purifier l’histoire. C’est un des grands paradoxes de l’histoire des Etats-Unis que du « péché originel » de l’esclavage, donc d’une expérience profondément négative de la dignité humaine, soit née une musique aussi profondément humaine, aussi féconde (du Gospel découlera le BLues et le Jazz) et aussi universelle. La grande erreur (ou, pour mieux dire, le caractère idéologique) de Black Lives Matter consiste à affirmer que c’est par des changements institutionnels que la plaie de l’esclavage sera guérie, tandis que cette guérison est déjà présente, déjà offerte au cœur même de l’expérience et de l’histoire, comme en témoigne cette extraordinaire performance d’Aretha Franklin, dans laquelle toute la souffrance de son peuple est transfigurée dans le désir du Ciel. Elle rejoint ainsi la souffrance de toute personne humaine, quelle que soit son origine, qui trouvera dans ce chant la source d’une véritable consolation.

A noter également ces quelques perles qui émaillent le concert : les larmes de James Cleveland — pasteur, chanteur et pianiste — ; ce moment où le père d’Aretha se lève au milieu d’un chant et vient éponger, le plus naturellement du monde, le visage épuisé de sa fille ; et enfin le rapport bouleversant entre Aretha et le chœur qui l’accompagne, le Southern California Community Choir. Ce rapport est particulièrement visible dans le chant qui donne son titre au film. Le chœur donne à la voix de la Reine du Soul bien plus qu’un contrepoint musical : il est là pour la soutenir dans les moments d’ascension, les moments spirituellement les plus difficiles du chant, pour la porter jusqu’au bout de son offrande et pour se réjouir avec elle lorsque sa voix se repose un instant dans l’évidence de la Grâce.

 

Aretha Franklin – Amazing Grace

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