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La Divine Comédie de Dante fait partie des trésors de la littérature mondiale. Mais qui a pris le temps de se plonger dans ces 14 233 vers du XIV°siècle, de suivre le poète au long de son voyage dans l’au-delà, de l’Enfer au Paradis en passant par le Purgatoire ? Le chef d’œuvre médiéval de la Divine Comédie peut avec raison impressionner le lecteur contemporain par son sujet, son ampleur, ses multiples références historiques et allégoriques devenues obscures à notre esprit moderne.

 

Première édition avec le titre « La Divina Comedia », 1555

 

A l’exemple du poète, qui traverse les trois règnes de l’au-delà grâce à la conduite de guides bienveillants (Virgile, puis Béatrice, et enfin saint Bernard), il peut être bon de prendre un guide pour entrer dans la Divine Comédie et oser le voyage qui nous rendra “pur et prêt à monter aux étoiles[1]Dernier vers du Purgatoire, chant XXXIII, vers 145 : “puro e dispuesto a salire a le stelle” (traduction personnelle). .

On pourrait lire avec profit la présentation de Dante que réalise Urs von Balthasar dans son ouvrage La gloire et la croix. Le théologien suisse compare la Divine Comédie aux cathédrales gothiques. A l’instar de ces merveilleux monuments, le poème de Dante se veut un pont entre l’homme et Dieu, et constitue une admirable synthèse de son temps. Dante unit en effet poésie et théologie, Antiquité et christianisme, amour courtois et sagesse mystique, défense de l’ordre éternel et regard critique sur son époque.

Contrairement à la position de certains critiques contemporains, il convient de rappeler que Dante ne présente pas la Divine Comédie comme un simple fruit de son imagination. Son œuvre, dit-il, a pour origine une vision qu’il reçut durant la Semaine Sainte de l’année 1300. La transcription de cette expérience mystique sous forme de poème sera tout le travail de ses dernières années où, en exil, il rédige la Divine Comédie de 1305 à sa mort en 1321.

Dante appelle lui-même son ouvrage, au chant XXV du Paradis, “le poème sacré / où ciel et terre ont mis la main” (xxv. 1-3). Il le présente comme une tâche où s’associent effort du poète et œuvre de la grâce. Son aïeul Cacciaguida, qu’il rencontre dans une des sphères du Paradis le confirme dans cette mission : “… écartant tout mensonge / Montre clairement ta vision toute entière” (Paradis, XVII, v. 127-128). Et, sur un ton qui rappelle les prophètes de l’Ancien Testament, l’aïeul souligne la force bienfaisante qu’aura son poème sur le lecteur :

“Car ta voix qui sera déplaisant

Au premier goût laissera ensuite

Une fois digérée, parole de vie.”

 (XVII, v. 130-132)

 

On peut voir dans ces vers une simple mise en scène littéraire, mais pourquoi au contraire ne pas choisir d’y accorder crédit et y voir le reflet du profond sens chrétien qui anime l’homme médiéval ?

Nous suivrons dans cette voie l’interprétation de Romano Guardini. Il nous met en garde : « On s’est habitué à ne pas prendre Dante au sérieux en tant que penseur, à ne voir en lui que « le poète », oubliant que « la poésie pure » existe seulement depuis […] les Temps modernes […] ». Or Dante est un poète au sens ancien du terme, c’est-à-dire « un voyant, un interprète de l’existence, un penseur » [2]Romano Guardini, Dante, visionnaire de l’éternité, 1962, p 100 . Ecrire la Divine Comédie signifie pour lui à la fois obéir à la volonté divine et servir ses concitoyens en les remettant face au sens de leur vie. Ainsi, « son intention n’est pas d’exprimer des sentiments ou de conter des aventures, mais de donner une structure à l’existence […], remuer les consciences, indiquer des voies » [3]Romano Guardini, Dante, visionnaire de l’éternité, 1962, p 100

Le voyage du poète dans l’au-delà n’est pas qu’une aventure personnelle mais un modèle qui veut éclairer le lecteur. Son chemin de l’Enfer au Paradis est le chemin auquel chacun est appelé. Dante exprime clairement son intention dans une lettre à son ami Cangrande della Scala, gouverneur de Vérone à qui il dédie son poème : “la fin du tout et de la partie est de détourner les vivants de l’état de misère de cette vie, et de les conduire jusqu’à l’état de félicité”. L’objectif de la Divine Comédie n’est rien moins que cela, nous faire passer de la misère à “la félicité”, à la béatitude des saints. C’est un voyage de conversion : à la suite du poète, le lecteur est appelé à contempler son péché dans le gouffre de l’Enfer, à se purifier ensuite durant l’ascension de la montagne du Purgatoire, pour atteindre le vrai bonheur, la vision de Dieu, au Paradis.

 

Domenico di Michelino: Dante y su poema (1465) Detail: Enfer, purgatoire et Ciel . Cathédrale de Santa Maria del Fiore, Florencia.

 

Le succès de la Divine Comédie dès sa publication à la mort de Dante montre combien ses contemporains furent sensibles à la profondeur de ses vers. Florence, après avoir banni le Poète, fit un accueil magistral à son œuvre. La Divine Comédie fut rapidement l’objet de nombreux commentaires, études et lectures populaires sur les places publiques. La Comédie, comme l’appelait Dante (l’adjectif « divine » fut ajouté postérieurement par Boccaccio), avait atteint son but : être une œuvre pour tous, écrite dans la langue populaire de Florence, le toscan. Et de fait, le peuple de Florence se pressait sur les places pour l’écouter.

Le poème porte le nom de « Comédie » à cause de sa fin heureuse – la vision béatifique -, par opposition au genre de la tragédie qui finit mal. La Divine Comédie nous invite à ce voyage vers cette fin heureuse, vers notre salut. Puisse le lecteur d’aujourd’hui accepter l’invitation, et, reconnaissant sa soif d’absolu, oser cheminer aux côtés de Dante jusqu’au Paradis ! Il y trouvera le vrai bonheur, « l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles » (« l’amor che move il sole e l’altre stelle », dernier vers du Paradis, chant XXXIII, v. 145).

References

References
1 Dernier vers du Purgatoire, chant XXXIII, vers 145 : “puro e dispuesto a salire a le stelle” (traduction personnelle).
2 Romano Guardini, Dante, visionnaire de l’éternité, 1962, p 100
3 Romano Guardini, Dante, visionnaire de l’éternité, 1962, p 100
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1 Commentaire

  1. samuel

    bonsoir, merci pour ces articles sur la Divine Comédie de Dante, qui fut richement illustré à partir du moyen âge, avec Botticelli, Zuccari, Dali, et aussi Doré, et d’autres jusqu’à récemment un artiste italien Mazzone, qui en fit une œuvre colossale de 97 mètres de long et 4 mètres de haut sur feuille de papier, simulant la technique de la gravure lithographique.
    Une belle œuvres pour approfondir la compassion envers les âmes du purgatoire, auprès des quelles vont se recueillir la ‘Frat… Max….’, au sanctuaire de Montligeon, ( unique sanctuaire dédié aux âmes défuntes), les 24 et 25 avril.