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Pèlerinage à Rome des personnes de la rue : témoignage

A l’invitation du Pape Francois une dizaine d’habitants du VinziRast ont participé au jubilé des personnes en grande précarité à Rome, organisé par l’association francaise Fratello du 11 au 13 novembre 2016. Le VinziRast est une association qui vient en aide aux sans-abris de la ville de Vienne (Autriche) en leur offrant un lit dans un logement d’urgence ou pour certains, une colocation dans de petits appartements. Le souhait du Pape, nous le comprenons bien, était de « remettre la pauvreté au coeur de l’Eglise ». 

Marie-Isabelle Schallenberg (au premier plan) en compagnie de la petite troupe du VinziRast
 

Une aventure impossible ?

Nous nous préparions tous depuis plusieurs mois à ce pèlerinage pas comme les autres. Le chemin n’aura pas été facile. Il aura fallu défendre le projet, convaincre les méfiants, trouver les financements et sélectionner les participants et les préparer. Mucki, une volontaire qui est s’est engagée au Vinzirast depuis sa fondation, n’a pas cessé d’y croire et a consacré une grande partie de son temps à ce projet, depuis le début du printemps dernier. En plus des difficultés posées par l’organisation pratique, il a fallu faire face aux obstacles rencontrés par chacun des participants. Beaucoup ont une santé très diminuée, des problèmes cardiaques ou pulmonaires. Certains doivent aussi se battrent contre de vieux démons comme l’acool. Hajdi a été renversée par une voiture en été, alors qu’elle traversait la rue, ivre. Christian s’est cassé la jambe en tombant mal, après avoir bu trois litre d’eau-de-vie. Quelques jours avant le départ, Hajdi, Tamas et Johnny sortaient tout juste d’une cure de désintoxication… Le Père Clément, de Points-Coeur, aumônier du VinziRast, était chargé de la préparation spirituelle et sans cesse, il aura fallu remotiver les uns et les autres, les encourager et les aider dans leurs combats pour ne pas renoncer. Rien n’était acquis donc et la première petite victoire aura été de retrouver notre petit troupeau au complet, à l’aéroport de Vienne, pour le départ.

L'aéroport de tous les défis

Et c’est justement à l’aéroport que j’ai réellement pris conscience de l’exigence de ce voyage qui ne faisait que commencer. En effet, dans un aéroport, contrairement à une gare, la pauvreté n’est pas habituelle et elle saute d’autant plus aux yeux. Un tel voyage est très pénible pour des personnes de la rue ou qui peinent à en sortir. Il y a tous les contrôles, les queues, les longs couloirs à traverser, l’interdiction de boire et de fumer et l’attente bien sûr… Toutes ces petites tracasseries que les habitués aux voyages en avion connaissent si bien deviennent autant de défis à relever. Et nos amis du VinziRast l’avaient bien pressenti. Carsten avait eu besoin d’une ou deux bières pour pouvoir afficher à son arrivée à l’aéroport l’assurance qui le caractérise habituellement. Et notre amie Christl avait même fini par déclarer forfait deux jours avant le départ, tant la nervosité était grande.

Nous avions perdu Tamas et Hajdi… Ils étaient avec le pape

A Rome, nous attendaient quatre journées magnifiques, Tout d’abord, ce fût la découverte émerveillée de la ville éternelle, de ses innombrables églises, de ses ruelles et de ses places inoubliables. Mais il y aura surtout le lendemain, l’arrivée tant attendue au Vatican, après une queue interminable defiant la patience et la résistance à la douleur de tous ceux pour qui la station debout devient vite un calvaire, et enfin l’audience avec le Pape, au milieu de 3500 autres pèlerins. Dans la foule, nous avions fini par perdre Tamas et Hajdi. Cette dernière, en fauteuil roulant car boîtant depuis son accident, avait été prise en charge par les organisateurs et avait rejoint le groupe des personnes handicapées. Après un discours touchant du Pape et de magnifiques témoignages d’anciens SDF – notamment d’un Nantais, littéralement touché par la grâce après une bénédiction du Pape, trois ans auparavent  -, quelle ne fût pas notre surprise et notre joie de découvrir sur l’écran géant, Tamas et Hajdi, recevant à leur tour la bénédiction et un chapelet des mains du Saint-Père. Un vrai cadeau, pas seulement pour Hajdi qui n’arrivait pas à y croire, tant elle est lucide sur le combat permanent qu’elle vit, que pour notre petit groupe… Les chances étaient si faibles de pouvoir s’approcher si près du Pape. Nous avons tous eu à ce moment, conscience de vivre un vrai moment de grâce. Hajdi était radieuse tout au long du reste de cette journée. Elle a même trouvé la force de céder son fauteuil roulant à un autre de nos amis, pour qui la matinée avait été trop éprouvante. Et le soir même, Père Clément célébrait l’entrée de Hajdi en catéchuménat.

Les deux journées suivantes auront été l’occasion de rencontrer beaucoup d’autres témoins, de participer à des belles messes dont celle inoubliable avec le Pape à la basilique St Pierre.

"Je suis allé à Rome pour chercher Dieu et je réalise qu’il était toujours là, près de moi."

Ce que je retiens d’abord, c’est bien sûr la bénédiction si improbable de Hajdi et sa joie. Hajdi est la permière personne que j’ai rencontrée au VinziRast. Je devais l’accompagner changer son plâtre, après qu’elle se soit cassé le bras en frappant sur la porte d’un ascenseur. Et une amitié toute particulière nous lie depuis.

Ensuite, ce pèlerinage avec nos amis du VinziRast que je connais maintenant depuis bientôt trois ans, aura été un vrai cadeau pour moi, me donnant l’occasion de vraiment partager ces quelques jours avec eux. A Vienne, si je les vois chaque semaine, ce ne sont toujours que quelques heures, dans un environnement très protégé et où les rôles sont souvent clairement établis. A Rome, j’ai pu vivre chaque instant avec eux, du petit-déjeuner au coûcher, partageant chaque repas, chaque joie et chaque peine, chaque souffrance et chaque espoir.

Le père Clément Imbert (Points-Coeur), avec quelques amis
 

Je retiens aussi ces magnifiques témoignages que nous avons pu entendre au fil de ces jours. Celui du Père Christian Herwartz, un Jésuite de Berlin, qui vit l’Evangile dans la rue et à travers une colocation avec des sans-abris. « Jésus est le chemin, la Vérité et la Vie » : pour lui, le chemin, c’est la rue, avec sa saleté, son bruit, sa violence et sa solitude. C’est dans la rue qu’il trouve chaque jour dans le visage de chaque pauvre celui de Jésus-Christ.

Ou celui de cet ancien punk alcolique qui a raconté sa longue descente aux enfers puis sa rencontre avec Géraldine, la femme de sa vie qu’il a entraînée avec lui dans sa chute et enfin sa conversion au pied de la Croix, en accompagnant jusqu’à la mort celle qu’il a tant aimé….

Pour Hajdi, que j’ai interrogée au retour, sa bénédiction reste inoubliable. Mais, à sa joie encore si perceptible semble se mêler une certaine amertume car elle est aussi consciente du combat qu’elle devra mener et dont l’issue lui semble bien incertaine.

Simone, originaire de Roumanie, n’en revient toujours pas. Elle m’a confié  que ce voyage lui avait donné un coeur meilleur. En rentrant, elle a immédiatement envoyé de l’argent à sa fille et elle s’est sentie pleine de forces pour accomplir ses tâches communautaires. Elle a décidé de se rendre plus souvent à la messe aussi.

Pour Eduard un Polonais d’une soixantaine d’années, le pèlerinage aura été épuisant. « J’ai crû mourir », me dit-il, l’air grave. Et encore : « Je suis allé à Rome pour chercher Dieu et je réalise qu’il était en réalité toujours là, près de moi… »

Johnny, quant à lui, a du mal à se remettre, tant sa prothèse l’a fait souffrir. Mais ses yeux brillent encore malgré la douleur.

Le véritable trésor de l'Eglise

Oui, le Pape a bien raison et nous ne le savons que trop bien à Points-Coeur : il est essentiel de remettre la pauvreté au coeur de l’Eglise car ils en sont le trésor. Ici encore, au milieu de la misère, la véritable question n’est pas de savoir où est Dieu, mais bien de savoir où se trouve l’homme. Car en m’exposant à leur misère, c’est à ma propre pauvreté qu’ils me confrontent et me renvoient. Serais-je capable aujourd’hui de voir le visage de Jésus, au travers de celui de tous ces pauvres de la rue ? Aurais-je le courage de risquer de regarder leurs plaies, aurais-je assez de charité pour les panser, assez de foi pour rester fidèle jusqu’au bout, jusqu’au au pied de la Croix ?

Pour finir, je souhaiterais citer ces mots du Pape Francois qui ne peuvent que consoler dans cette période d’épreuves : « Jésus invite fermement à ne pas avoir peur face aux bouleversements de chaque époque, même pas face aux plus graves et plus injustes épreuves qui arrivent à ses disciples. Il demande de persévérer dans le bien et dans la pleine confiance mise en Dieu, qui ne déçoit pas : "Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu" (v. 18). Dieu n’oublie pas ses fidèles, son précieux domaine, que nous sommes ».

 
 Sites des associations Vinzirast (en allemand) Fratello
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1 Commentaire

  1. Denis Cardinaux

    Merci Marie-Isabelle pour ce témoigange radieux et plein d'espérance, pour ce don auprès de vos amis. Vous ravivez en nous le désir de nous donner sans regard sur nous-même auprès de ceux que le Christ met sur notre chemin. Je pense à ce monsieur venu demander de quoi se vêtir le jour de la saint Martin, à Alfred, qui a frappé à la porte de notre Points-Coeur de Vienne avant hier pour dormir au chaud, à Georges, jeune réfugié Syrien, solide gaillard pourtant si blessé, qui a été témoin de toutes les horreurs, bouleversé par cette humble compagnie qu'il rencontre sur son chemin, à Cristian, vieux monsieur que nous visitons chaque semaine, je pense au grands yeux émmerveillés de Jean, petit peintre Syrien de 11 ans. Autant de rencontres qui nous ramène doucement à l'essentiel, au coeur du monde, sur le coeur du Christ.