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« Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus ! »

Un mois après avoir vu le film Pina, les images ne sont pas les seules à m’habiter encore. Les quelques paroles qui rythment le documentaire – évocations de la chorégraphe par ses danseurs – recueillies et redonnées en substance dans cette modeste anthologie, offrent la possibilité de visiter à nouveau le chef-d’œuvre de Wim Wenders.

Pina Bausch CC BY-NC-SA Duisburger Philharmoniker

« Bien sûr, il y a parfois des situations où l’on reste sans voix : il n’y a pas de mots. Il n’y a plus qu’à faire deviner. C’est là que reprend la danse. » (Pina Bausch)

« (…) C’est incroyable l’importance qu’a le moindre détail. » (Pina Bausch)

***

• Rencontrer Pina était comme trouver un langage. Je ne savais pas parler. Elle m’a donné un moyen de m’exprimer moi-même, un vocabulaire. Avant, j’étais très timide. Je le suis encore. Au bout de vingt ans, elle m’a fait une remarque. Elle m’a seulement dit : « Sois plus folle ». Ce fut presque son seul commentaire en vingt ans.

• Pina était un peintre. Elle nous posait toujours des questions, pour que l’on devienne les couleurs de son tableau. Elle nous disait par exemple : « Lune ». Alors j’écrivais le mot de tout mon corps pour qu’elle voie la lune.

• Elle avait les yeux les plus perçants du monde. Personne ne m’a vu comme elle. Tout ce que je montrais disparaissait sous son regard. Elle voyait autre chose dont j’avais peur et que je ne connaissais pas encore.

• Qui était Pina ? Un mélange de fragilité et de force incroyable. Elle pouvait aller au-delà de ses capacités, mais en même temps elle connaissait ses limites. Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’image d’un grand grenier avec plein de choses dedans.

• Je voulais qu’elle danse toujours. J’essayais de comprendre tout ce qu’elle ressentait. C’était comme un trou dans son ventre. Quand elle marchait, c’était comme si elle marchait au Royaume des morts. Quand je suis sur scène, j’essaie de me souvenir d’elle : cette peine, cette solitude ; et en même temps, cette force.

• J’ai si souvent dansé Café Müller avec elle (…). Je savais qu’elle pouvait tous nous ressentir. Même fermés, ses yeux pouvaient tout voir.

• C’était si beau d’être une danseuse âgée avec Pina. Jeune, à vingt-quatre ans, c’était bien aussi. Tant d’espace, tant ! C’était un mélange d’âge et d’enfance.

• Un jour après une affreuse répétition d’Iphigénie, Pina n’a pas dit un mot. Elle m’a seulement dit ce qu’elle me disait toujours avant le spectacle : « Sois bon ! ». Et moi je lui ai dit, comme toujours : « Amuse-toi bien, chère Pina ». Puis elle m’a dit : « N’oublie pas, tu dois me faire peur ! » et ça a été comme un déclic. Bien plus que si elle avait parlé pendant des heures. 

• Pina était si belle quand elle nous regardait répéter. Je la regardais nous regarder pendant les répétitions. Comme un enfant, elle scrutait tous les sentiments que nous avions, tout ce que nous éprouvions. Je me suis souvent dit : Pina s’est  assise à cette table et m’a regardée danser pendant vingt-deux ans ! Bien plus que mes parents !

• Au début, je ne comprenais pas comment Pina travaillait. Elle ne me disait rien. J’étais complètement perdue. Puis l’image m’est venue : c’est comme si je me tirais les cheveux pour me relever. 

• Qu’est-ce que l’honnêteté ? Comment être responsables quand nous dansons ? – Pina nous a appris à assumer ce que nous faisons, chaque geste, chaque pas, chaque mouvement.

• Pina voulait tirer de ses danseurs ce qu’ils avaient de meilleur. Elle m’a dit un jour : « Tu es la plus fragile, c’est ta force ! »

• Elle disait parfois une phrase comme : « Tu dois continuer de chercher », mais sans rien dire de plus. On devait alors continuer de chercher, mais sans savoir quoi, ni si on était sur la bonne voie. 

• Quand j’étais encore nouveau à Wuppertal, j’étais encore très coincé. Et elle m’a seulement dit : « Dance for love ! ».

• Toutes les  pensées de Pina étaient sur l’amour, sur la solitude, sur la beauté. (…) J’essayais de la comprendre, de comprendre pourquoi elle n’arrêtait pas de travailler, travailler, travailler…

• La manière dont Pina travaillait nous permettait à tous d’être tristes, de pleurer, de rire, de crier. Nous pouvions TOUT donner.

• Pina était une chercheuse radicale. Elle regardait au fond de nous. Une question revenait souvent chez elle : « D’où nous vient ce désir ardent, cette nostalgie ? A quoi aspirons-nous ? » Elle nous interrogeait toujours.

« Pour Pina, de notre part à tous, qui avons fait ce film ensemble. »

 

 

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1 Commentaire

  1. A.

    Après avoir revu ce film avec moi, celle avec qui j'aurais la joie de me marier à l'automne m'a dit :
    "je prends ce film comme une véritable invitation, une promesse, que nous sommes appelés à danser ensemble toute notre vie"
    Dans un aute genre :
    "Apprenez à danser dès ici-bas, sinon les anges ne sauront pas quoi faire de vous au Paradis"
    Hildegarde de Bingen