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Deux articles dans le Figaro de ce début de semaine (31/01/2012) ne manquent pas de provoquer une certaine réaction à quelques mois des élections présidentielles françaises. Le premier concerne l’annonce par le premier ministre François Fillon d’une révision à la baisse des prévisions de croissance à 0,5%, révisions cependant encore considérées comme optimistes par une bonne partie de la caste des économistes. Le second est une analyse succincte du problème démographique japonais (en chute vertigineuse) et de ses conséquences sur l’économie du pays et notamment sur sa croissance.


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La diminution de la croissance et sa gestion politique

L’annonce par François Fillon de cette baisse des prévisions de croissance n’était évidemment pas sans risque. Le terrain était même déjà bien miné par la perte du fameux triple A et les conséquences de ces déconvenues économiques sur les futures possibilités d’emprunt de l’Etat français en général et des ménages en particulier. Sans doute est-ce la raison principale pour laquelle, le gouvernement a voulu présenter les nouvelles de la manière la plus rassurante possible.

Une diminution de croissance d’un demi point n’est pourtant pas un détail. Moins de croissance que prévu, cela signifie moins d’argent à rentrer dans les caisses de l’Etat et cela signifie forcément qu’il va falloir trouver cet argent d’une autre manière. Il s’agit tout de même d’un impact envisagé de 5 milliards d’euros sur l’exercice 2012.

Les raisons avancées à cette diminution sont connues et acceptées par tous : la crise dans laquelle nous nous trouvons et qui nous empêche de sortir la tête de l’eau. Les solutions proposées ressemblent cependant à des ajustements superficiels qui ne se donnent même pas l’air d’une véritable volonté politique de relance de la croissance. Il s’agirait seulement de renoncer à certains crédits et de tabler dans le même temps sur une augmentation des recettes : un surcroît de l’impôt sur la fortune, la lutte contre l’évasion fiscale et les taxes sur les transactions fiscales.

Le problème, évidemment, c’est que, de la dette ou des recettes espérées, il ne s’agit que de projections virtuelles, susceptibles d’être corrigées, … les unes et les autres, un peu plus à la baisse. Et l’on s’étonne devant l’absence d’une analyse de fond qui puisse déboucher sur autre chose que sur des calculs mathématiques complexes où il n’est question que de taux d’intérêt, de PIB et de milliards de dette. Pour le quidam, il semble qu’il n’y ait que deux manières possibles de gérer de telles informations : ou bien désespérer totalement et allumer un bon feu de cheminée avec l’édition du matin, ou bien lire d’autres articles dans l’espoir d’y trouver quelques idées dignes d’intérêt, comme – par exemple – cet article sur la situation économique et démographique du Japon.

La démographie japonaise et son analyse française

Le choc est peut-être un peu moins fort pour un spécialiste de la question japonaise, mais les explications de Bruno Ducoudré[1] dans cette même édition du Figaro mettent en lumière une situation aussi inattendue que tragique pour la puissance nippone. Il s’agit d’une diminution de population de plus de 40 millions d’habitants en l’espace d’une cinquantaine d’années, de 2010 à 2060. L’intérêt de l’article et son lien avec le problème chronique de la croissance française viennent cependant de l’analyse de ces chiffres ahurissants.

Avec la clarté du professeur de Sciences-Po qu’il est, Bruno Ducoudré montre en effet l’incidence d’une telle chute démographique sur la croissance au Japon en expliquant que la croissance est la conjugaison de trois facteurs simples : la croissance de la population active, le progrès technique et l’augmentation du stock de capital. Et d’ajouter : « Si la population baisse, cela signifie moins de main d'œuvre pour produire mais aussi moins de demande pour consommer. (…) Le vieillissement de la population entraîne une augmentation des dépenses de sécurité sociale, de retraite et de santé. Ainsi, le gouvernement [japonais] va se retrouver dans une situation très compliquée où il va devoir gérer une hausse des dépenses publiques, alors même que la croissance et donc les rentrées fiscales ralentissent et que les jeunes, qui devront financer la protection sociale, seront moins nombreux. La charge des cotisations sociales par jeune sera donc plus lourde, ce qui contribuera par ailleurs à plomber la demande ». On ne peut être plus clair sur la nécessité, vitale à l’échelle d’une société, d’une forte natalité, les deux autres facteurs de croissance étant directement liés à ce premier.

Pour les lecteurs de l’édition d’aujourd’hui, le rapport entre cette analyse de Bruno Ducoudré et la situation française ne manquera pas de lumière. Et l’on se demande comment la crise en France a pu éviter de passer au crible d’une analyse aussi simple que limpide.

Le monde du Dragon

S’il parait encore exagéré pour certains d’attribuer la crise actuelle à la seule perte de vitesse de la natalité en France et en Occident, il est franchement surprenant que ce facteur ne soit toujours pas pris en compte, au moins comme un facteur extrêmement aggravant de la situation, ni même envisagé comme un des moyens pour sortir de la crise. A l’heure où les candidats pour les présidentielles affûtent leurs programmes et se lancent dans le débat d’idées sur ce qu’il faudrait faire pour sauver la barque de l’économie, il est sans doute opportun de faire entendre une voix un peu discordante, ou au moins de l’écouter.

Dans un éditorial déjà vieux de trois ans, Ettore Gotti Tedeschi, président de l’IOR – la banque du Vatican – développe ainsi l’idée d’un remaniement profond des zones mondiales de pouvoir économique en raison, précisément, du taux de la natalité. Dans cet article, intitulé « Le monde du Dragon » (Osservatore Romano, 6 juin 2009), le monde en question est le monde actuel qui va sentir toujours plus l’influence de ces zones géographiques où la puissance économique est alliée à une jeunesse prometteuse : la Chine, évidemment, mais aussi l’Inde, et on pourrait ajouter aussi le Brésil. Ce pays, dont la croissance est, encore aujourd’hui, plus de 10 fois supérieure à celle de la France, vient de prendre la 6ème place à l’Angleterre dans la hiérarchie économique mondiale et connaît par ailleurs une des plus fortes natalités au monde. Sa prochaine proie est tout simplement… la France justement !

Certes, il ne s’agit pas ici de faire de la natalité l’étendard d’une nouvelle idéologie économique. Mais il ne s’agit pas moins d’en appeler à une réelle responsabilité civique ou simplement humaine. Que les gouvernements occidentaux finissent par entendre cette voix, que les familles aient conscience de la richesse qu’elles représentent pour tous, que tous aient conscience de leur valeur. Autrement dit que le regard sur les familles change ! Combien en effet ce regard – notre regard – semble prisonnier de tant d’apriori : qu’il s’agisse des alarmistes de la surpopulation pour qui c’est presque un crime de mettre au monde des enfants, des courants « à la mode » qui dénigrent radicalement la mère de famille pour ce qu’elle est, des matérialistes qui, bien souvent, manquent surtout de courage et placent l’idéal familial après la carrière, après la maison, après… les vacances. Ce changement de regard ne dépend pas des seuls gouvernements, mais de tous ceux qui de près ou de loin influent sur les mentalités. Des élus cependant, il est bien normal d’attendre un minimum de courage pour dénoncer les maux et proposer des mesures concrètes appelées à insuffler un nouvel élan économique, et non pas seulement à équilibrer des équations compliquées.

C’est en tout cas un vrai critère de discernement pour un programme politique : certes en raison de son incidence morale – la famille est la cellule de base de la société – mais désormais aussi en raison de son incidence économique.


[1] Expert à l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques, OFCE

 

 

 

 

 

 

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8 Commentaires

  1. Fix de Fontenille

    Faire ce lien entre croissance economique et croissance de la population est interessant mais je crois qu'il ne faut pas en tirer de conclusion hative.
    Le rapport Attali au debut du quinquenat de Nicolas Sarkozy recommandait la meme chose: ouvrir en grand les frontieres a l'immigration pour augmenter la croissance. Recommandation qui n'a, heureusement,  pas ete suivie. 
    Quel est l'interet d'une croissance de 2 p.cent d'un pays , si dans le meme laps de temps la croissance de sa popluation est aussi de 2 p.cent? Certe le pays s'est enrichi en valeur absolue, mais individuellement personne n'y a gagne. En meme temps, si le Japon perd 30 p.cent de sa population et que l'economie ne decroit que de 15 p.cent, tout le monde dans ce pays se sera enrichi . Dernier exemple,  la croissance de l'inde est de 6-8 p.cent cette annee donc tres forte, mais n'est pas assez forte pour enrichir sa population qui continue de croitre trop vite. Les chinois, eux, ne se sont jamais autant enrichis que depuis qu'ils controlent les naissances.
    En outre, dire que la croissance economique est une cause importante de la croissance demographique est a mon avis incomplet. Cela peut etre UNE des cause, mais certainement LA cause principale. En effet, pour reprendre un exemple a la mode, comparons l'Allemagne et la France: la population decroit en Allemagne, pourtant son economie croit plus vite que celle de la France (alors meme que la population de la France augmente plutot rapidement) 
    En fait la croissance economique du PIB d'un pays prise en tant que tel n'a pas beaucoup d'importance pour le pekin moyen . C'est l'indice de croissance du PIB/habitant qui est pertinent.
    Ainsi: indice de croissance PIB/habitant de l'Allemagne croit tres rapidement (comme celui du Japon)
    Par contre, l'indice de croissance du PIB/habitant de l'Inde decroit, comme celui de la France… Et ben moi, par les temps qui courrent, je prefererais etre Japonais ou Allemand qu'Indien ou meme Francais.
     
    Et oui….
    Bon tout ca c'est un peu Malthusien… pardon  :-)
     
    Allez je retire ce que je viens de dire….
     
     
    Pardon aussi pour les fautes, je n'ai ni accent ni correcteur d'orthographe sur cet ordi.

  2. VB

    Juste une précision pour Fix de F. : ce n'est pas la croissance économique qui entraîne la croissance démographique, c'est le contraire. Et, malheureusement, plus un pays devient riche, plus son taux de natalité diminue. Par ailleurs, s'il est vrai que c'est le PIB / par habitant qui importe à l'homme de la rue, c'est cependant une logique à très court terme… 

  3. Geoffroy

    Pour aller dans le sens de VB, l'étude de l'après-guerre en France est intéressante : économie ruinée par la guerre, forte mortalité pendant la guerre entrainant un déséquilibre démographique . Et pourtant … le baby boom est allé de paire avec le plus fort taux de croissance qu'a connu la France, les 30 Glorieuses. A méditer.
    Bonjour napolitain à VB

  4. paulo

    Pourquoi ne pas sortir de cette logique de croissance et d accroissement force des richesses materielles?
    A force, ca en devient presque ridicule:
    Il suffirait simplement d etre pret a accepter un mode de vie plus simple et plus equilibre que de nombreuses cultures ont mis des millenaires a cultiver avant que tout ca ne tombe en eclat sur l autel de la mondialisation!!
    ca ne veut pas non plus forcement dire renoncer a la technologie et au progres scientifique,
    mais gagner en qualite et en ideal!!
    Tout ca pour le bien de nos enfants, pour qu ils n aient plus a vivre dans un monde de competition debile!!!!

  5. tabitha

     Pour FX de Fontenille : c'est sidérant d'énoncer avec des chiffres une contre-vérité manifeste !
    Et c'est bien le problème des chiffres. 
    Dire par exemple que les chinois se sont enrichis depuis la politique de l'enfant unique, c'est prendre la question exactement de l'autre côté, en oubliant 
    1/ que la croissance financière de ce pays est liée à un esclavage monstrueux d'une majorité de la population par une partie nettement plus faible numériquement
    2/ que les problèmes liés à cette folie du massacre des foetus féminins va générer des conséquences plus que difficiles pour demain, peut-être même déjà entamées
    Même chose pour l'Allemagne où de plus en plus de voix pointent les bas salaires comme la cause principale de la croissance économique allemande : forme d'asservissement d'une partie de la population par l'autre.
    C'est oublier les leçons de l'Histoire qui ont toujours, et aux dires de tous les historiens, vu la croissance des Etats ou des Royaumes liée à l'accroissement de leur population.
    Mais pour comprendre cela, nul besoin de faire l'X!!! et il ya aura toujours, en France, des matérialistes parmi les cathos qui répèteront qu'il faut que la femme travaille,sans égard pour sa vocation particulière de mère, que les enfants sont une perte et non une source d'enrichissement , même et y compris dans la sphère économique….
    On n'a malheureusement pas fini d'entendre ce genre d'arguties au cours des prochains mois et çà n'augure pas des débats très élevés ni surtout très pragmatiques ! 
     

  6. tabitha

    Catéchèse du Mercredi 15 : "sans enfants, pas d'avenir !!!!!!" dixit BXVI devant les Associations de Familles nombreuses …….. je crois que la ligne de partage est bien là : ceux qui manipulent des chiffres sans voir la réalité et nous autres, les rares dans ces pays gavés, qui pensons toujours fondé cet axiome de bon sens valable sous toutes les latitudes …..
     

  7. Fix de Fontenille

    Je voudrais tout de même préciser (pour ceux nombreux ici qui me connaissent) :
    – que je ne suis pas favorable au contrôle des naissances ni à l'avortement ( halte aux amalgames rapides et la paranoïa de certains commentateurs)!
    –  que je n'encourage qu'une chose: mesurer la croissance du PIB/hab. plutôt que d'evaluer la croissance des pays globalement: pour moi cette derniere ne veut rien dire (à part se faire la "compet" entre pays et payer les dettes aux banques)
    – que je ne suis pas certain du lien de cause a effet entre (1) la croissance démo et (2) la croissance économique. Et qu'en plus, même si c'était le cas, je ne sais pas de (1) et de (2) qui est la poule et qui est l'œuf. Bien malin celui qui pourrait  le démontrer sans faire d'un cas particulier une généralité. C’est un peu la tendance ici. J’ai pourtant essayé  de la démonter par mon argumentaire précédent en utilisant des contre-exemples (certes cyniques avec la Chine, mais ce sont des faits, pas des idées).
     – enfin le principal but de mon intervention est que je ne souhaite pas qu'on se serve de l’argument " (1) engendre (2)" (que j'estime faux, mais admettons) pour ouvrir les frontières au tout venant car il me semble plus grave qu'une Nation prenne le risque de perdre son identité (oups un gros mot) plutôt que de perdre "du PIB". Une perte d'identité c'est définitif (cf. Kosovo). Le PIB: ca va, ca vient…