Home > Société > « Les roses noires » : la voix des banlieues

« Les roses noires » : la voix des banlieues

d'Elodie Tranchez   19 avril 2013
Temps de lecture 2 mn

Le mardi 11 avril 2013 était dif­fusé au Palais des Nations unies de Genève le très beau docu­men­taire d’Hélène Milano consa­cré à Moufida, Hanane, Coralie, Kahina… Tout un panel de jeunes filles de 13 à 18 ans vivant dans les quar­tiers nord de Marseille ou dans le 93, en ban­lieue pari­sienne.

Elles se livrent à cœur ouvert, devant une caméra sen­si­ble et dis­crète, sur leur vie, en com­men­çant par le pre­mier aspect de leur quo­ti­dien : la langue. Qu’elles soient issues des Comores, du Maghreb, du Portugal ou du Mali, leur témoi­gnage converge sur un point commun : la langue est un code, une forme d’iden­tité, un méca­nisme social qui permet de se reconnaî­tre. Elles oscil­lent alors entre fierté de parler une langue bien à elles, la langue des cités, un mel­ting-pot où como­rien, fran­çais, arabe coexis­tent avec bon­heur, et la néces­sité d’appren­dre à s’expri­mer comme « eux », les gens de Paris, pour envi­sa­ger un avenir pro­fes­sion­nel dont elles dou­tent pour­tant. Ici réside toute l’ambi­guïté de leurs sen­ti­ments : le fran­çais est leur langue et pour­tant elles man­quent de confiance à s’expri­mer, res­sen­tant honte, humi­lia­tion et même rejet de leurs « têtes cra­mées » selon leur propre ter­mi­no­lo­gie.

Touchantes, ces jeunes filles n’en sont pas pour autant naïves ; elles expri­ment avec leurs mots l’injus­tice glo­bale res­sen­tie à tra­vers les dif­fé­ren­ces de niveaux sco­lai­res selon les quar­tiers et les poli­ti­ques urbai­nes de ghet­toï­sa­tion.

Au delà du code et de l’iden­tité autour d’une langue com­mune, Moufida, Hanane, Coralie, Kahina… sou­li­gnent que plus que des armes, leurs mots sont des bou­cliers. Pour se protéger d’un milieu d’une vio­lence sourde, elles adop­tent alors les mots des « gar­çons », durs, cruels, agres­sifs, sexua­li­sés, seul moyen de se faire res­pec­ter. Toutes sans excep­tion témoi­gnent de ce qu’elles auraient voulu naître gar­çons et éprouvent les plus gran­des dif­fi­cultés à deve­nir femme dans le milieu des cités… Ces gar­çons qui ont le droit de tout faire, qui ne crai­gnent jamais de ren­trer tard le soir ou de se faire remar­quer, ces gar­çons dont on recher­che l’appro­ba­tion et pour­tant dont on ne s’appro­che pas, par crainte de s’atti­rer les fou­dres de la rumeur et de la « répu­ta­tion », fléau dont on ne se défait pas dans une cité.

C’est un por­trait sin­cère, tou­chant et pro­fond que nous offre la réa­li­sa­trice et comé­dienne Hélène Milano ; en appa­rence un por­trait de quel­ques jeunes filles mais plus lar­ge­ment une mise en relief de nom­breu­ses pro­blé­ma­ti­ques qui tou­chent la société fran­çaise, de l’inté­gra­tion des popu­la­tions issues de l’immi­gra­tion à celle de l’émancipation de la femme dans les ban­lieues. Ce docu­men­tai­re per­met­ d’appor­ter un regard concret sur des ques­tions quo­ti­dien­ne­ment débat­tues dans l'enceinte des Nations Unies.
 

Bande annonce du film

Vous aimerez aussi
« Les Souvenirs partagés »
L’identité comme vérité
La fabrique des imposteurs ou la disparition du « JE »
« Les enfants à naître n’ont jamais eu un défenseur aussi fort à la Maison Blanche »

1 Commentaire

  1. Denis

    Merci pour ce beau témoignage sur la réalité. Une belle intervention de l'une de ces jeunes filles:

    "Pour moi, je voudrais qu'on puisse se parler, de tout et de rien, qu'on se parle, sans que ça devienne gênant, pour moi, et pour tout le monde".