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Mademoiselle 100.000 Volts et Monsieur Grossi

Le fait est suffisamment rare pour être remarqué : une chanteuse française est double disque de platine en Allemagne dans l'espace de deux ans… c'est Zaz. Saluée comme la "nouvelle Piaf" par la presse d'Outre-Rhin, elle y a déjà attiré à ses concerts plus de 80.000 personnes. Vendredi dernier, la cour de la Citadelle de Spandau était pleine, et quelques lignes de Zaz nous avaient invités à venir l'écouter, pour les cinquante ans de notre ami Grossi. Un privilège que l'on ne saurait mieux raconter qu'avec cette magnifique chanson du concert, "La Lessive".

 

Un visage qui fait lâcher prise

On gravit des sommets dans nos vies, dans nos cœurs,
Cet amour infini mélangé de douleur,
Le partage et l’instant du bonheur,
Qu’on garde ancré en soi comme pour lui rendre honneur.

Je gravis la montagne, comme je gravis ma vie,
Tous ces regards croisés, si je les ai compris,
J’ai pourtant vu mille fois, et suis encore surprise
De la beauté des êtres qui m’ont fait lâcher prise.

 


© Jean-Marie Porté

Comme le chante Zaz avec les mots de Frédéric Volovitch, on a beau les avoir vus mille fois, les visages qui nous font lâcher prise nous surprennent à chaque rencontre. Le visage de Grossi est un de ceux-là.
Le vieux renard est un personnage. Il est connu comme le loup blanc dans la capitale, on écrit sur lui dans les colonnes du Berliner Zeitung. Grossi fut célèbre sur scène, vécut son heure de gloire en 2001 sur le plateau de la présélection de l’Eurovision. La roche tarpéienne n’allait pas tarder à se matérialiser dans une lente descente vers la ligne 8 du métro, qui devint son univers. Il y dit ses poèmes et y rencontre ses dealers, est à tu et à toi avec les contrôleurs et les agents de sécurité, et apparaît tous les six mois à l’hôpital dans un état déplorable. Il s’y refait une santé avant de replonger, laissant derrière lui une vague de nostalgie chez les sœurs, les infirmières et l’aumônier, gagnés par sa soif enfantine d’amitié.

C’est la beauté sans mot qui transforme un instant,
A genoux dans la glace laissant faire ce qui doit,
Je garde en moi le chaud, la saveur du présent
De ces moments de grâce qui fut vous qui fut moi.

Grossi avait disparu pendant six mois avant qu’une voix un peu exaltée au téléphone ne vienne en janvier dernier claironner la nouvelle à l’hôpital. « Grossi est vivant ! » Le vieux renard s’était fait une frayeur, avait émergé, après quelques jours de coma et un bon temps de récupération, dans un home psychiatrique au milieu de la forêt, à quelques encablures de Berlin au-delà du Wannsee.

Ils vivent leur ascension, grimpent et bravent leur peur,
Il n’y a nulle prison que celle qu’on se crée au cœur,
Je prends note et leçon dans ses vives lueurs,
La lune, leurs regards, ne pas mourir avant l’heure.

C’est là tout le problème de Grossi, ne pas mourir avant l’heure. Mourir à cinquante ans dans un corps qui en a déjà bien quatre-vingt. Mourir en psychiatrie, mourir à petit feu entre les programmes abêtissants de la TV et les préoccupations à toute petite échelle du quotidien – la saucisse du soir, le bingo du lundi. Mais Grossi n’a pas lâché prise, il ne vit plus que pour l’amitié. Il faut le voir littéralement bondir de joie lorsqu’une visite s’annonce.

Je garde précieusement l’expérience dans ma chair,
Revenir au quotidien lui non plus ordinaire,
Dans les pages d’un bouquin, ces phrases qui me décrivent,
Tout se termine et prend fin, après l’extase la lessive.

C’est la beauté sans mot qui transforme un instant,
A genoux dans la glace, laissant faire ce qui doit,
Je garde en moi le chaud, la saveur du présent,
De ces moments de grâce qui fut vous qui fut moi.


© Jean-Marie Porté

Le chaud, la saveur du présent, auprès de Grossi on a l’impression de savoir de quoi il en retourne. Ces temps-ci, nous sommes allés le voir au moins deux dimanches par mois, et c’est à chaque fois une plongée dans le présent, auprès d’un homme qui vit exclusivement à la hauteur de son cœur.

Un concert pour les 50 ans de Grossi


© Jean-Marie Porté

Grâce à la générosité de Zaz, nous avons emmené Grossi à son concert du 2 août à Berlin pour fêter avec lui ses cinquante ans. Nous n’avons pas été déçus. Leur présence à tous les deux nous a fait lâcher prise ! Grossi était tout aussi préoccupé de la musique que de ce qui l’entourait, la belle soixantenaire à sa droite, l’enfant riant sur les épaules de son père à sa gauche. Zaz sur scène répandait sa fraîcheur, sa joie de vivre enfantine, mêlée d’un sérieux plein de gravité. Pour ceux qui ont lu l’article précédent, c’était cela : une personnalité musicale, capable de transformer son cœur en musique : sa préoccupation bouleversante pour une personne âgée avec « Si je perds », son énergie explosive dans « On ira », son amour de la vie telle qu’elle vient qui jaillit de toutes les chansons et de son sourire sur scène.

Merci Grossi, merci Zaz ! Vous êtes ces visages qu’on ne peut oublier. Vous nous offrez ces moments de grâce.


© Jean-Marie Porté

Encordée dans ma tête jusqu’à mon sac-à-dos,
Des petites tempêtes me poussent vers le haut,
Le froid que je respire, je sens que je m’allège,
Je n’ai rien vu venir les deux pieds dans la neige.

Depuis c’est plus facile et un pas après l’autre,
Si je marche tranquille, si je suis quelqu’un d’autre,
J’aurai toute ma vie laissant faire ce qui doit,
De ce qu’on a gravi qui fut vous qui fut moi.

C’est la beauté sans mot qui transforme un instant,
A genoux dans la glace, laissant faire ce qui doit,
Je garde en moi le chaud, la saveur du présent
De ces moments de grâce qui fut vous qui fut moi.

 

Grossi et Zaz

 

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