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Elections au Brésil : « Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours… »

Le premier tour des cinq élections principales du Brésil (pour élire le président, les  gouverneurs, les sénateurs, les députés fédéraux et étatiques) vient se s’achever le 5 octobre. En ce qui concerne le scrutin majeur, celui de la présidentielle, c’est bien évidemment « uma immensa surpresa ».


CC BY José Cruz/ABr

Une drôle de campagne

La campagne a démarré tout de suite après l’élimination de la seleção lors de la coupe du monde. Avant même que les larmes soient définitivement séchées, avant même la finale, les murs commençaient à être repeints avec les noms et les numéros des candidats.

Comme lors des précédentes 20 dernières années le Brésil s’attendait à un duel entre le P.T. (parti des travailleurs de Dilma Roussef) et le P.S.D.B. (Parti Social Démocrate du Brésil et son candidat Aécio Neves). Deux candidats sérieux se sont néanmoins déclarés : Eduardo Campos, ex-gouverneur du Pernambouc et Marina Silva, ex-ministre de l’environnement des deux gouvernements Lula (2002-2010), en froid avec le P.T., son parti d’origine. Ils ont tous les deux fait alliance en choisissant Eduardo comme numéro 1 et Marina comme « vice ». Ils semblaient cependant ne pas devoir bousculer fortement le duel bipartite annoncé. Dilma était créditée de 35-40% des voix, Aécio Neves de 20-25%, Eduardo Campos de 10-15%

Un premier tournant

Tout change le 13 août. Ce jour-là Eduardo Campos et une partie de son staff meurent suite à un accident d’avion. Du jour au lendemain c’est donc Marina qui prend la campagne en main. Et c’est une grosse surprise car elle commence à doubler Aécio et même à s’approcher dangereusement de Dilma. Début septembre, elle passe la barre de 30% des intentions de vote et des sondages la donnent même gagnante au second tour.

Le phénomène Marina

Au P.T. c’est un peu la panique. Marina séduit les déçus des années Lula et Dilma. Au milieu d’immenses scandales de corruption impliquant les hautes sphères du P.T., elle fait figure de personne intègre et sincère. N’a-t-elle pas démissionné du gouvernement Lula pour protester contre son manque d’implication dans la cause écologique ? Le Brésil sent bien que cette femme n’est pas intéressée, ne fait pas de la politique « pour se servir », comme le  reprochent de plus en plus les Brésiliens à leurs hommes politiques.  

Comme Lula c’est une « femme du peuple », alphabétisée à 16 ans, ayant dû travailler dur pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Elle séduit car elle mène son combat comme David contre Goliath, avec sa petite équipe de 15 personnes alors que le P.T. en compte 150 rien que pour le marketing, dont la fameuse équipe « aux 6 présidents » : celle qui a travaillé aussi pour faire élire Humalla au Pérou ou Evo Morales en Bolivie.  

Marina à la tête du P.S.B. (Parti Socialiste du Brésil) séduit aussi car elle ratisse large et de façon atypique : après son passage au gouvernement elle s’est convertie à l’évangélisme (qui compte 50 millions d’adeptes au Brésil) au sein de l’Eglise la plus forte : Assembleia de Deus. Son programme est donc un mélange de socialisme (renfort des programmes sociaux) et de messianisme (elle s’oppose entre autres à la libéralisation de l’avortement et à la dépénalisation des drogues). Sans oublier la cause écologique.  


CC BY Valter Campanato/ABr

 

Artillerie lourde contre Marina

Marina sera donc la cible numéro 1 des marketeurs du P.T. Le ton des campagnes TV contre elle sera du jamais vu en terme de dénigrement. Un clip montre notamment des enfants en train de lire, et les lettres des livres qui disparaissent. Conclusion : « Votez Marina et c’est la fin des programmes d’aide aux écoles ». Un autre fera la même chose en jouant cette fois-ci sur le thème de la faim. Pas un jour ne se passe sans qu’une attaque ne soit lancée contre elle. Le ton ne commence à baisser que lorsque, vers la fin septembre, les sondages annoncent que Dilma gagnera de nouveau au second tour et que sa rivale perd 10 points au premier. Interrogé sur ce type de méthode qui consiste à salir en calomniant le candidat adverse un des responsables du P.T. se contentera de dire « qu’une élection n’est pas une réunion pour un thé à 5 heures ».

Interrogée plus en profondeur sur son programme, Marina s’emmêle aussi les pinceaux, dit qu’elle privatisera Petrobras (au cœur d’un énorme scandale de corruption au profit de cadres et élus P.T.) pour finalement se rétracter. Elle annonce une coupe dans les dépenses « inutiles » mais n’arrive pas à les citer ou lorsqu’elles citent deux grands chantiers elle s’attire alors les foudres du monde industriel local. Elle fond en larme à la fin d’un meeting ce qui la fera passer ensuite pour une femme « fragile ». Ce thème de ses « larmes » la poursuivra lors de la dernière ligne droite de septembre. 

Le parcours tranquille d’Aécio

Entre-temps, Aécio Neves ne s’est pas découragé. Donné à 15% mi-septembre, il entame une longue remontée qui ne sera pas jugée suffisamment dangereuse pour le P.T. Le duel Marina/Dilma semble être celui du second tour. Mais Aécio se concentre sur son programme, annonce sa politique économique, dit qui il nommera comme ministre des finances et rend public un catalogue de mesures que les milieux économiques saluent comme les seules capables de sauver l’économie. Le pays en effet s’embourbe dans une série de hausse des dépenses de l’Etat, un maquillage des comptes publics, la corruption et qui plus est, le gouvernement est incapable de maîtriser une inflation annuelle qui s’est installée à officiellement 6,5 % malgré les promesses maintes fois réitérées de la ramener à 4,5%. La politique de l’offre, d’aide aux entreprises semble de loin préférée à la politique de soutien de l’économie par la relance de la demande de la part d’un Etat dont les caisses sont désormais vides.   

Aécio ne s’arrête pas là. Il a parfaitement compris que le gouvernement de Dilma fait l’objet d’un profond rejet de la part de beaucoup de Brésiliens qui sont surtout las de la corruption. Cela sera son grand sujet lors des débats télévisés. Et il fera mouche. Il apparaît comme un candidat sérieux, respectueux des ses adversaires et en phase avec les désirs d’une majorité de Brésiliens.

Mais comme les sondages lui donnent dans les 20/25% fin septembre et que ces mêmes sondages annoncent que leur marge d’erreur n’est que de deux points maximum, au P.T. il n’est pas jugé utile de modifier la stratégie anti-Marina au profit d’une stratégie anti-Aécio. 

La surprise du premier tour

Les résultats tombent et c’est une grosse claque pour les instituts de sondage accusés de n’avoir rien vu venir. Dilma, même si elle obtient 41,5% des voix ne devance Aécio que de 6 points (35,5%). Marina, quant à elle, s’effondre à 22%. Vu le ton très dur du P.T. contre elle, il semble difficile qu’elle annonce une alliance avec son parti d’origine. Dans ses premières déclarations elle laisse entendre qu’elle soutiendra Aécio si celui-ci s’engage à reprendre quelques idées phares de son programme, comme la préservation écologique de la forêt amazonienne, le développement durable, la poursuite de certains programmes sociaux.

Conclusion : il reste un peu plus de deux semaines avant le second tour qui s’annonce très ouvert. La campagne bat son plein mais celui qui semble avoir le vent en poupe c’est bien Aécio Neves qui peut, par exemple, se promener dans n’importe quel quartier sans essuyer automatiquement des sifflets (Dilma quant à elle doit choisir très soigneusement les endroits où elle apparait en public [1]). L’écart de 6 points entre les deux candidats laisse augurer une bataille assez âpre pour un résultat qui sera sans doute très serré. Pour le moment peu de « bombes » ont été lâchées contre Aécio mais il ne fait pas de doute qu’il va devoir affronter maintenant une grosse période de turbulences. Réussira-t-il à faire tomber le Parti des travailleurs après 12 années de gouvernance ? Réponse dans les urnes le 26 octobre. 

Photo en page d'accueil : Aécio Neves © PSDB-MG


[1] Lors de la remise de la coupe du monde il a fallu toute une logistique compliquée pour que d’un côté cela soit  Dilma qui remette le trophée et que de l’autre son image n’apparaisse pas  plus d’une poignée de secondes.  Car elle était copieusement sifflée dès que son image apparaissait sur les écrans. 

 

 

 

 

 

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6 Commentaires

    1. Arnaud de Malartic

      Le courant évangéliste est très puissant au Brésil. 50 millions d'adeptes c'est un gros poids pour les éléctions.Et là, faire profession publique de sa foi au Christ n'est pas vu comme domageable électoralement. C'est même le contraire. Il n'est pas rare que certains candidats se présentent comme "um candidato de fé" ("un candidat de la foi") et reçoivent un vote sur la seule image qu'être évangéliste c'est une garantie d'honnêteté. Le candidat qui est arrivé en troisième position dans l'Etat de Bahia est un chanteur évangéliste, parfait inconnu politiquement avant le 5 octobre, et qui se présentait pour la première fois. Comme il y a une grande défiance vis à vis des politiciens traditionnels, accusés de puiser alégrement dans les caisses, alors le label "homme de Dieu" est payant. Les animistes et les camdoblecistes quant à eux ne lançent pas de candidats pour les représenter pour la simple raison qu'ils ne sont pas structurellement organisés. Leur vote va en général au PT qui se présente souvent comme le défenseur des minorités.        

  1. Marina

    Je ne suis pas étonnée, hélas, de trouver sur le blog de Points-Coeur, qui se présente pourtant comme un mouvement apolitique, spirituel, etc…, un article prônant grosso modo une vision libérale de la « santé économique ». Malgré une vraie tentative d’objectivité, si, si, on le sent en lisant l’article… ;-)

    1. Arnaud de Malartic

      Tout article tentant de rendre compte de la réalité ne peut être totalement neutre, se contentant de décrire une situation avec des yeux  "d'une pure objectivité". il y a une nécessaire subjectivité du témoin. Le but de cet article est de réaliser un mini parcours historique du premier tour de l'élection présidentielle au Brésil. En aucun cas de "prôner" une quelconque vision économique "libérale".

      Comme résidant au Brésil je ne peux que constater avec la plupart des économistes les effets pervers des dernières années du PT au pouvoir (qui n'est pas sans rappeler ce qui arrive en Argentine et dans une moindre mesure au Venezuela). Mais le but de l'article n'est pas de parler d'économie, juste d'essayer de rendre compte du premier tour ce qui entraine à un moment une tentative de comprendre pourquoi ce rejet aussi fort de Dilma chez de nombreux électeurs, phénomène assez nouveau lorsque l'on sait que Lula termina son mandat en 2012 avec presque 80% d'approbation.  

      Etre "apolitique" ne veut pas dire que nous allons décrire les situations qui nous entourent en nous condamnant à ne jamais oser un jugement personnel. Etre "spirituel" ne veut pas dire être en dehors du réel. Oser un jugement sur une réalité qui nous entoure laisse en même temps toute liberté à chacun d'adhérer ou non à ce qui est dit. 

       

  2. Pingback : Les habitants de Hong Kong ne seront plus jamais les mêmes – Terre de Compassion

  3. Bruno ANEL

    Finalement, c’est Dilma Roussef qui est réélue. Les Brésiliens n’ont pas oublié que le dernier président issu du parti d’Aecio Neves, Fernando Henrique Cardoso, avait refusé d’instaurer un salaire minimum, alors que le tandem Lula/Dilma a permis à des millions de personnes de sortir de la misère.