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Vendée Globe 2021 : le cœur et le courage

Au terme d’un final haletant et d’une remontée de l’Atlantique qui ne les a départagés que dans les toutes dernières heures, les premiers concurrents du Vendée Globe ont franchi la ligne d’arrivée dans la nuit du 27 au 28 janvier.

 

 

De bien des manières, cette édition du mythique Tour du monde à la voile en solitaire est marquée du sceau de l’exceptionnel et nous rappelle que lorsque l’homme se mesure à la nature, il est sûr d’être presque toujours dépassé. Dans les conditions inconfortables qu’ils ont dû affronter, les héros les plus attendus ont dû céder leur place, et d’autres aventuriers des mers du sud ont fini, au prix d’une remarquable persévérance, par se tailler la part du lion.

Les meilleurs pronostics déjoués

Ce devait être le Vendée Globe de toutes les innovations et de tous les records. Avant le départ, le monde de la voile était en pamoison devant les courbes agressives des derniers IMOCA, ces fameux monocoques de 18,68 mètres, que chaque skipper solitaire doit mener autour de la planète en totale autonomie. Devant la taille impressionnante de leurs ailes, ces fameux foils qui soulèvent les coques au-dessus de la surface de l’eau pour atteindre des vitesses inimaginables il y a quelques années, devant les formes révolutionnaires de leurs étraves et de leurs cockpits totalement fermés, tout le monde prédisait que la boucle serait bouclée au moins quinze jours avant que Phileas Fogg ne soit de retour pour le thé. L’équation de la nouveauté était somme toute assez simple à comprendre : avec ces nouvelles formes de coques et de foils, la baisse significative de traînée dans l’eau et la progression des lignes aérodynamiques ne pouvaient que se traduire par d’immenses progrès, et on se demandait comment il avait été possible de ne pas y penser plus tôt. Et comme ils étaient huit skippers à se présenter sur la ligne de départ avec des montures dernier cri, et au moins autant d’autres dont les montures à peine plus anciennes avaient été développées à l’extrême, le spectacle promettait d’être hors normes !Tout cela était très beau en théorie, mais rien ne s’est passé comme prévu… 80 jours et trois heures plus tard, soit près de cinq jours de plus que lors de l’édition précédente, c’est un presque inconnu, Yannick Bestaven, qui est finalement sacré vainqueur, sur un bateau qui n’avait pas réussi aller plus loin que l’Atlantique sud en 2016. Au pied du podium, et seulement dix heures plus tard, c’est aussi le doyen de la course, Jean Le Cam, 61 ans, avec un bateau sans ailes, qui s’offre les honneurs de la ligne. Et finalement, Charlie Dalin, seul rescapé des grands favoris, termine sa course à la seconde place, suivi de très près par un peloton de bateaux dont certains parmi les plus anciens et les moins innovants de la flotte…

Dans les annales de la course, cette édition 2021 va probablement marquer d’une pierre blanche l’évolution d’une certaine croyance dans le progrès technique à tout prix. Les conditions météo, et notamment l’état général de la mer qui n’a pas permis aux « foilers » d’exprimer tout leur potentiel, mais aussi – à tout seigneur, tout honneur – le fantastique courage de ces marins moins côtés ont fini par faire de cette édition une cuvée exceptionnelle. Rendons hommage à ces hommes et ces femmes d’exception, dont l’exemple nous a enthousiasmé, en citant deux d’entre eux.

Le flibustier de Saint Malo

En coupant la ligne de départ quelques secondes trop tôt, Louis Burton a beaucoup plus influencé le cours des événements qu’il ne l’a probablement imaginé sur le moment. Ce Vendée Globe 2021 allait être celui de la flibuste et le Royaume des Cieux appartient à ceux qui s’en emparent ! Qu’on se le dise ! Les bookmakers les plus avisés ne donnaient pas cher même de sa capacité à boucler le tour, et les plus téméraires ne le voyaient pas atteindre la dixième place du classement général. Plusieurs fois à deux doigts de l’abandon dans le grand sud, le malouin d’adoption s’est cependant surpassé pour surmonter ses nombreuses avaries (pilotes automatiques, problèmes d’électronique, grand-voile, etc.), avec, entre autres déboires, un détour d’une dizaine d’heures pour une réparation en tête de mât sous le vent de l’île perdue de Macquarie, et pour doubler finalement le Cap Horn avec une énergie de tous les diables. Sa remontada de toute la flotte le long des côtes brésiliennes a été spectaculaire, et il s’en est fallu de peu pour que celui qui a été refusé à l’entrée de la sacro-sainte école de course au large de la Forêt-Fouesnant coupe la ligne d’arrivée en tête ! Qui a dit qu’un héros avait besoin de diplôme ? Dieu merci, la flibuste malouine se nourrit d’une autre tradition que celle des académies. Que les lecteurs Malouins de cet article ne s’offensent pas : nous savons bien qu’ils sont d’une cité corsaire. N’en déplaise, le style de Louis Burton est bien celui d’un flibustier !

 

Le flibustier avec le sourire de la victoire – Photo : Source

 

Le Roi Jean

Contre toute attente, la grande figure de ce Vendée Globe 2021 est assurément le plus âgé de ses concurrents. Baptisé le Roi Jean en raison de son impressionnant palmarès, dont une triple couronne sur le circuit extrêmement sélect des Figaro, Jean Le Cam n’était pourtant pas attendu aux avant-postes. Parti sur un des plus vieux bateaux de la flotte, qu’il avait amélioré sans aucun budget mais avec beaucoup d’intelligence, on s’attendait tout au plus à le voir faire une course honorable. C’était sans compter sur quelques interventions divines, doublées d’un sens ahurissant de la trajectoire parfaite qui a laissé les meilleurs commentateurs sans voix. L’édition 2021 de la flibuste a trouvé ici son maître incontesté. Cerise sur le gâteau, l’homme s’est révélé être un héros au grand cœur, ce qui ne gâche rien. Le premier coup du Roi Jean a été tenté quelques jours après le départ, lors du passage de la tempête Thêta, au large des Açores. Lorsque la plupart des concurrents, le britannique Alex Thomson excepté, choisissait de contourner le monstre, Jean Le Cam s’est précipité à sa rencontre sans aucune hésitation. Bilan de l’opération, il est ressorti avec plus de 150 miles (presque 300 kilomètres) d’avance sur les premiers poursuivants. Cette expérience l’a-t-elle galvanisé ? Le doyen ne cessera plus, tout au long de la course, de cumuler ainsi les gains en serrant les phénomènes météo toujours au plus près, sans jamais céder un pouce à ses adversaires directs. Le deuxième gros coup du Roi Jean n’a rien à voir avec la course. Il aurait même pu lui coûter beaucoup plus cher. Alors qu’il est encore aux avant-postes de la flotte dans l’Atlantique sud, ce 1er décembre 2020, il est appelé au secours de Kevin Escoffier, dont le bateau a fait naufrage en quelques minutes, et qui se trouve non loin de lui, au milieu de nulle part, tout juste équipé de sa combinaison isotherme. À la nuit tombante, sans plus d’hésitation que pour aller braver la tempête, le Roi Jean se met en chasse, et repère finalement l’infortuné marin barbotant dans son radeau. Il ne parvient cependant pas à le faire monter à son bord en raison de l’état de la mer et va donc lui tourner autour toute la nuit, pour réussir à le retrouver au petit matin, et obliger le destin à modifier son cours quasi certain. Là encore, l’exploit force l’admiration de tous : dans cette aventure du sauvetage, et dans les jours qui ont suivi, le Roi Jean n’a pas ménagé ses sacrifices. Non content d’avoir permis à Kevin Escoffier d’échapper à une fin tragique, il a eu tout le temps ensuite de le réconforter généreusement en le gardant à bord pendant une longue semaine, avant de le remettre à la Marine Nationale qu’il a fallu aller retrouver au large des Kerguelen. Chapeau bas, maître Jean ! On en redemande !

 

Le Roi Jean dans ses oeuvres – Photo : Source

 

Un sauvetage en guise d’arbitre

En détournant trois marins pour participer au sauvetage de Kevin Escoffier, Jean Le Cam, Yannick Bestaven et Boris Herrmann, l’organisation de la course s’est vue obligée de leur attribuer des bonifications légitimes de temps. Si l’édition2021 de ce Vendée Globe avait ressemblé aux précédentes, cela n’aurait presque rien changé au résultat final. Mais, puisque les flibustiers avaient décidé qu’il fallait compter avec eux, cette circonstance a fini par jouer en leur faveur. Le Rochelais Yannick Bestaven, le premier, en a profité pour saisir les rênes de la course, et se hisser sur la plus haute marche du podium. Bravo à lui ! Le Roi Jean a su lui aussi tirer profit de cet avantage pour prendre la 4ème place. Enfin, il s’en est fallu de peu, une collision avec un bateau de pêche espagnol dans les derniers miles de la course, que l’Allemand Boris Herrmann ne devienne le premier étranger à emporter la couronne suprême. Humble et discret, Herrmann a fait une course d’une remarquable persévérance. À l’image de tous ces marins d’exception, il a continué d’espérer contre toute espérance pour jouer la gagne jusqu’au bout. Bis zum nächsten Mal, Herr Boris !

Merci à eux tous, et merci à ceux qui sont encore en mer !

 

Conférence de presse de Yannick BESTAVEN (Maître CoQ IV) vainqueur du Vendée Globe 2020-2021

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