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Le polyptyque sur la passion est composé par Frank Martin (1890-1974) quelques mois avant sa mort, alors qu’il est déjà très malade. Cette petite œuvre de vingt-cinq minutes est commandée par et dédiée à son ami Yehudi Menuhin. La pièce est composée pour un violon solo et deux orchestres de chambre qui se répondent. Menuhin sera très élogieux lors de la première exécution, comparant le polyptyque à la Chaconne de Bach.

 

 

Le violon solo exprime la Parole du Christ durant la Passion, un des orchestres symbolise les apôtres et l’autre la foule. Il y a de très beaux dialogues à trois voix qui suivent le style trinitaire et polyphonique du contrepoint de son maître JS Bach. Les trois interlocuteurs se répondent sur le même thème sans se superposer. La parole du Christ résonne et les chœurs des disciples et de la foule y répondent, avec toute la dramaticité des volontés qui se cherchent, s’opposent, se nient.

 

Duccio di Buoninsegna – Crucifix (Detail)

 

Pour composer ce morceau, Frank Martin s’est inspiré du célèbre polyptyque la Maesta de Duccio peint pour l’autel de l’Eglise de Sienne. A l’arrière du tableau principal représentant  Marie se trouvent toutes les images de la vie du Christ. Frank Martin prend son inspiration dans le mystère de la Passion et dans la mystique du Moyen-Age. Duccio di Buoninsegna (1255-1318) est un des derniers représentant de la peinture unifiée entre l’Orient et l’Occident. En effet, son polyptyque fait penser à l’iconostase byzantine, avec les personnages en grand format devant et les scènes de la vie du Christ à l’arrière.

Frank Martin a choisi d’illustrer musicalement quelques-unes de ces petites icônes de Duccio. La mélodie s’ouvre sur le dimanche des Rameaux et la foule qui acclame son roi. Le deuxième mouvement, très sensible, représente la dernière cène (Image de la chambre haute), puis nous entrons dans la Passion proprement dite avec Image de Judas, Image de Gethsémani et Image du jugement. La pièce se conclut par la glorification sur la Croix qui est un thème plus lyrique où la gloire transparaît déjà dans le crucifié.

 

Duccio Di Buoninsegna – Déposition

 

Au centre de la composition, le dialogue avec Juda est un chef d’œuvre musical et théologique. Le rythme saccadé en 7/8, répété de façon quasi obsessionnelle, souligne l’opposition des volontés, pourtant le Christ essaie de suivre Judas et de l’accompagner dans sa trahison. Au-delà du baiser du traître apparaît la prière du Christ qui le supplie de croire au pardon. La souffrance du Christ est plus de voir que son fils se perd, qu’il se détruit, que d’avoir été trahi et abandonné.

Polyptyque Image de Judas

 

 Duccio di Buoninsegna – Le baiser de Judas et l’arrestation de Jésus (Détail)

 

Cet œuvre plonge dans la bible, la mystique du Moyen-Age mais elle est aussi très actuelle. Frank Martin sait introduire dans la prière par une musique qui transcende le temps pour nous remettre devant l’offrande éternelle du Fils.

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