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Comment un pauvre orphelin à la voix d’ange, amené au Catholicos de Constantinople a permis la transmission de la culture musicale arménienne après le génocide.

 

Komitas

 

Komitas, alias Soghomon Soghomonyan, est né en 1869 dans l’Empire Ottoman. Il vient d’une famille humble, son père, Gevorg Soghomonyan, était cordonnier, et sa mère Tagui était tisseuse de tapis. L’enfance de Komitas est pavée de souffrances. Il perd sa mère alors qu’il avait moins d’un an, et comme son père est trop occupé, il est élevé par sa grand-mère. À l’âge de 7 ans, Komitas entre à l’école primaire locale. Dès qu’il termine l’école, son père l’envoit à Broosa poursuivre ses études. Mais il échoue et 4 mois plus tard, il rentre chez lui en étant devenu orphelin : son père est décédé et Soghomon n’a que 11 ans… « C’était un garçon frêle, faible et pâle, toujours prévenant et gentil. Il était pauvrement habillé », se souvient l’un de ses camarades de classe à propos de Komitas.

Soghomon commençe à errer dans les rues. Komitas a une passion pour le chant et une voix magnifique. Et sa voix n’est pas seulement appréciée à l’Église, mais aussi par ses amis dans la rue. Ils lui demandent de chanter et lui donnent à manger en échange. Il est surnommé « le petit chanteur vagabond ».

 

 

En 1881, l’évêque du lieu entend Soghomon chanter. Il décide d’emmener avec lui le jeune orphelin pour le présenter au Catholicos (Patriarche arménien de Constantinople). Comme il est interdit de parler arménien à cette époque, le garçon parle turc et lorsqu’il est salué par le Catholicos Gevorg IV, il lui répond : « Je ne parle pas arménien, si vous le souhaitez, je vais chanter ». Puis, de sa belle voix de soprano, il chante un sharakan arménien (un hymne religieux) sans en comprendre les paroles. Sa voix saisit l’assemblée et Soghomon est choisi pour étudier au séminaire d’Etchmiadzin. Entre 1881 et 1910, Soghomon étudie le chant arménien et commence à noter sur partition les chants des villageois arméniens vivant autour du séminaire. Ceux-ci le surnomment bientôt « Notaji Vardapet », c’est-à-dire le « prêtre preneur de notes ».

 

 

En 1893, il termine ses études au séminaire, est ordonné « Vardapet » (prêtre) et reçoit son nouveau nom « Komitas » – du nom d’un poète du VIIe siècle, auteur de Sharakans. Au séminaire, Komitas est chargé d’enseigner la musique. Il y organise une chorale et approfondit non seulement le chant religieux mais aussi le folkore. En 1895, Komitas part un an à Tfilis recevoir l’enseignement de Makar Yekmalyan en chant polyphoniques arménien. L’année suivante il part pour Berlin sans avoir été encore accepté dans une université. Il entre au conservatoire privé du professeur Richard Schmidt. Parallèlement à ces cours, il assiste également à des conférences en philosophie, esthétique, histoire générale et histoire de la musique.

 

 

En septembre 1899, Komitas retourne à Echmiadzin et y commence immédiatement son activité musicale. En peu de temps, il change radicalement le système d’enseignement de la musique au séminaire, organise un petit orchestre et perfectionne le niveau de la chorale. Il part également visiter diverses régions d’Arménie et y recueille sur papier des milliers de chansons arméniennes, kurdes, persanes et turques. Peu à peu, ragots et calomnies se multiplient autour de Komitas au point d’empoisonner la vie du compositeur. Le conflit devint si tendu que Komitas envoit une lettre au Catholicos le suppliant de le libérer et de le laisser créer et vivre tranquillement. En 1910, Komitas quitte Etchmiadzin et se rend à Constantinopole. Beaucoup de ses projets n’ont pas pu aboutir faute de soutien. Il parvient à monter un chœur mixte de 300 hommes, nommé « Gousan », et qui devint très populaire. Komitas commence à faire des tournées hors de l’Empire Ottoman, et à se fait connaître. En 1906, après l’un de ses concertos, Claude Debussy s’exclame avec enthousiasme : « Brillant Père Komitas ! Je m’incline devant votre génie musical !. « Malgré l’indifférence de ses pairs à Constantinople, Komitas continue à travailler dur. Son chef-d’œuvre est l’œuvre religieuse « Patarag » (« Liturgie »), écrite pour un chœur d’hommes.

 

 

En avril 1915, Komitas est arrêté avec un certain nombre d’écrivains, de publicistes, de médecins et d’avocats arméniens. Ils sont tous déportés peu de temps après. Le génocide commence… Balakian, placé dans le même train que Komitas, raconte : « Plus nous nous éloignions de la civilisation, plus nos âmes étaient agitées et plus nos esprits étaient torturés par la peur. Nous croyions voir des bandits derrière chaque rocher ; les hamacs ou les berceaux suspendus à chaque arbre ressemblaient à des cordes de potence. L’expert en chants arméniens, l’archimandrite sans égal, le père Komitas, qui était dans notre voiture, semblait mentalement instable. Il pensait que les arbres étaient des bandits à l’attaque et cachait continuellement sa tête sous l’ourlet de mon pardessus, comme une perdrix craintive. Il m’a supplié de dire une bénédiction pour lui [« Le Sauveur »] dans l’espoir que cela le calmerait... ».

Komitas est sauvé par l’intervention de quelques personnes influentes, notamment l’ambassadeur des Etats-Unis. Toutefois, le cauchemar qu’il a vécu laisse une impression profonde et ineffaçable dans son âme. Il rentre à Constantinople, brisé. Son atelier a été pillé, son travail perdu. En 1916, la santé de Komitas se détériore et il est placé dans un hôpital psychiatrique militaire turc, ce qui achève le pauvre homme. Ses derniers amis lui trouvent un dernier refuge à Paris où vit une de ses grandes amies : Margarit Babayan. Komitas est interné dans le sanatorium de Villejuif où il y passe les vingt dernières années de sa vie. Margarit resta une présence fidèle jusqu’à la fin.

 

 

Au printemps 1936, sa dépouille est transportée en Arménie et enterrée à Erevan. Son héritage musical a été en grande partie perdu, mais pas entièrement. Et c’est cela le miracle : devant une idéologie qui n’a pas seulement cherché à éliminer un peuple mais à l’ « effacer » de l’histoire, la vie de Komitas est un don incroyable. « Le peuple arménien a trouvé et reconnu son âme, sa nature spirituelle dans les chansons de Komitas. Komitas Vardapet est un commencement qui n’a pas de fin. Il vivra à travers le peuple arménien, et celui-ci doit vivre à travers lui, maintenant et pour toujours ». [1]Vazgen I, le Catholicos de tous les Arméniens .

« Tout ce qu’il a jadis eu ton peuple
Dans son passé lumineux et noble,
Ce qu’il a ces jours, désir et pensée
Il l’a réuni, il te l’a donné.
Donné, pour que toi, tout ceci, mêlé
À ces jours, saisi d’une profonde foi,
Tu tendes au délire rêvé du futur,
Que tu restes pour toujours, grand et aimé. » [2]Yéghiché Tcharents, Le Livre du Chemin, le 10 août 1933

 

A ceux qui souhaitent creuser, voici un répertoire des œuvres achevées ou inachevées de Komitas

References

References
1 Vazgen I, le Catholicos de tous les Arméniens
2 Yéghiché Tcharents, Le Livre du Chemin, le 10 août 1933
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