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Kaboul 2021: Quelle place pour les Talibans sur l’échiquier planétaire?

Impossible de faire abstraction de l’Afghanistan ces dernières semaines : la une des quotidiens remet Kaboul au centre de notre attention. La question qui peut désormais se poser est celle-ci : les talibans ont-ils encore les moyens d’être radicaux ? Certes, ce ne sera sans doute pas à Kaboul que les futures générations iront étudier les bienfaits de la démocratie ou le respect absolu des droits humains, mais quelle peut être la stratégie de l’actuel chef suprême des talibans, Akhundzada, ainsi que du mollah Baradar, leur co-fondateur, de retour du Qatar où il s’était réfugié ?

 

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Peuvent-ils encore se permettre les dérives extrémistes des années 1996-2001, époque où les talibans gouvernaient le pays ? Désirent-ils un pays au ban des nations ou chercheront-ils un compromis pour entrer dans le giron des échanges commerciaux internationaux et de la politique asiatique ? les talibans ont en effet un besoin primordial de légitimer leur pouvoir au niveau international pour pouvoir survivre à long terme.

L’origine des talibans remonte à l’invasion russe (1979-1989). A cette époque, les jeunes Pachtounes, Afghans du sud, fuyant les soviétiques, se réfugièrent au Pakistan. Hébergés dans des camps, ils se radicalisèrent sous l’influence de l’islamisme deobandi, apparu dans les Indes britanniques en 1867 en réaction à la colonisation, qui prône un retour à un islam juste respectant les principes islamiques. Taliban tire son étymologie du pachto (langue iranienne parlée en Afghanistan). Le mot Taleb désigne les étudiants en théologie dans une madrasa (université musulmane). Taleban en est le pluriel.

A leur retour en Afghanistan au début des années 1990, les talibans jouirent d’un réel soutien populaire, aussi bien chez les Pachtounes que parmi les autres peuples afghans comme les Tadjiks, les Ouzbeks ou les Hazaras. Fatigués par 10 ans d’invasion soviétique et surtout par les conflits entre chefs de guerre locaux qui ensanglantèrent ensuite le pays, les Afghans virent l’ordre et la sécurité qu’apportaient les religieux talibans. La contrainte morale ne changeait que peu ou prou les coutumes d’un pays où la burqa était déjà portée et où les femmes ne travaillaient pas et n’allaient pas à l’école. Les talibans se muèrent en force armée en 1994 pour protéger une population locale, comme c’est la tradition du mouvement, suite à deux agressions dont le viol et l’assassinat de deux jeunes filles par un chef de bande.

En 2001, les talibans refusèrent de livrer aux Américains Oussama Ben Laden alors présent en Afghanistan. C’est ce qui provoqua la chute de leur régime et la lutte sous forme de guérilla qui s’ensuivit pendant 20 ans.

Aujourd’hui, leur retour en force au pouvoir, annoncé depuis plus d’un an, suscite bien des inquiétudes. Les talibans cherchent à rassurer l’opinion publique mais peu nombreux sont ceux qui croient à un réel revirement. Vont-ils vraiment ne pas imposer la burqa aux femmes, les autoriser à poursuivre leur travail comme médecins ou ingénieurs, ou à étudier comme ils semblent le professer ?  Une chose a pourtant changé par rapport à 1996 : les talibans tiennent aujourd’hui à se faire accepter et à soigner leur image. Ils savent utiliser les médias et communiquer pour tenter sans doute d’éviter des sanctions internationales.

Militairement parlant, les grandes puissances n’ont cependant plus les moyens de s’aventurer une nouvelle fois en Afghanistan : les jeux semblent donc désormais faits. La crainte principale pour les talibans ne proviendrait donc plus de l’extérieur mais de l’Est du pays, où le fils du commandant Massoud, Ahmad, serait prêt à s’engager dans une lutte armée contre eux depuis son fief du Pandjchir. Ahmad Massoud, son père, acquit sa réputation de héros national durant la guerre antisoviétique, grâce à ses nombreuses victoires empêchant les Russes de s’emparer de son fief. Au pouvoir de 1992 à 1996 comme ministre de la Défense, il fut contraint de reprendre la voie de la résistance lors de la victoire des fondamentalistes talibans en 1996. Ennemi de l’extrémisme taliban, il fut assassiné en 2001. Son fils Ahmad, après avoir suivi l’Académie militaire des officiers de l’Armée Britannique, et avoir été diplômé en relations internationales au King’s College de Londres, est retourné en Afghanistan en 2016. C’est désormais sur lui que se fondent les dernières espérances anti-talibanes. Les Russes, peu satisfaits du retour d’un islamisme radical menaçant de se répandre dans les ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale, pourraient y apporter un appui en armement. Plus que l’inimitié entre les Massoud et les Russes, datant du père de Ahmad, c’est surtout le manque de probabilité d’une victoire de Massoud qui pourrait bloquer tout intérêt à le soutenir.

De même que les Russes et l’Occident, l’Iran voisine n’est pas satisfaite non plus de la situation actuelle. L’afflux de réfugiés et l’augmentation du transit de la drogue sont deux facteurs de préoccupation pour les Ayatollahs. L’Afghanistan détient en effet 85% de la production mondiale de l’opium à l’origine de la fabrication de l’héroïne. Bien que les champs de pavots aient été réduits pour des raisons religieuses par les talibans dans les débuts de leur règne, la manne financière qu’ils engendrent (on parle de 400 millions de dollars par an) a fini par rendre les talibans plus pragmatiques sur la question. Sur cette question afghane, l’Iran ne peut que difficilement manœuvrer. Il est plus préoccupé par un allègement des sanctions américaines que par une intervention déstabilisatrice qui pourrait entraîner une guerre civile. Les Américains ne verraient pas d’un bon œil ce fruit d’un retrait déjà peu glorieux. 

A ces forces contraires s’opposent celles favorables au retour des talibans. Le Pakistan est le pays qui en tire le plus de profit, les talibans étant une sorte de prolongement de leurs services secrets. La zone d’influence stratégique pakistanaise s’étend désormais plus au Nord au détriment des intérêts de leur ennemi indien, l’un des grands perdants de la situation actuelle.

Tiraillée par des intérêts divergents, la Chine, quant à elle, pourrait aussi sortir victorieuse de l’installation durable des talibans, son alliance avec le Pakistan pour réaliser ses nouvelles « voies de la Soie » passant par une stabilité majeure de la région. Les Chinois craignent uniquement la déstabilisation de leur zone musulmane du Xinjiang, d’importance stratégique majeure sur les nouvelles routes commerciales, que les talibans pourraient provoquer en étendant leurs techniques terroristes au profit de rebelles du Xinjiang. Mais les talibans ont surtout besoin du soutien des investissements chinois et des accords commerciaux déjà assurés sur l’immense richesse du sous-sol afghan regorgeant de métaux et de terres rares. Ceux-ci sont actuellement au centre d’une lutte planétaire pour leur possession, car ils sont utiles dans la fabrication de tous les produits digitaux, guerriers et écologiques du XXIème siècle. Leur vente permet déjà aux talibans des entrées comparables à celle de la drogue afghane, soit environ 400 millions de dollars. 

Du côté de la Turquie, Erdogan mène de main de maître sa politique extérieure ces dernières années. La Turquie aurait un intérêt à étendre son influence sur une région abritant une partie du peuple turcophone et s’étendant jusqu’au porte du Xinjiang turcophone chinois. Les talibans, quant à eux, auraient besoin de cet appui pour légitimer leur présence au pouvoir.

Un accord turco-russe garantissant la stabilité sur la région pourrait peut-être ainsi convenir à tout le monde. Poutine et Erdogan ont en effet appris à se connaître et à s’apprécier comme partenaires aux intérêts parfois très divergents, mais complémentaires, face à l’indécision et aux retraits occidentaux au Moyen Orient. 

 

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