Home > Société > Au sujet de la vérité

En regardant le panorama, on pourrait dire que nous sommes arrivés, ou que nous nous sommes docilement laissés conduire, à l’impossible reconnaissance de la vérité, d’où qu’elle vienne, qui que ce soit qui la dise, avec un minimum de bon sens. Ou, à défaut, et en adoucissant cette phrase pour les tempéraments plus sensibles, la difficulté de connaître quelque chose, au moins une nuance voilée de son existence, même si elle se cache dans quelque nébuleuse perdue dans une galaxie inaccessible.

 

Ice, Blue sky, Sunset © Alexandre Morard

 

Bien sûr, nous ne pensons jamais aux implications d’une telle déclaration, parce qu’elle ressemble aux délires nihilistes d’une post-modernité qui ne nous concerne jamais, si purs et bien éduqués que nous pensons déjà savoir et avoir tout en ordre, sans nous rendre compte qu’il est aussi post-moderne de nier l’existence de la vérité et de ses évidences, que de penser qu’elle peut être possédée et épuisée dans un discours savant, comme un papillon chassé et embroché pour son exposition.

Car, au fond, nous savons, ou aurions dû comprendre à l’âge adulte, après au moins trois ou quatre grandes déceptions avec nos dieux respectifs, que la vérité est quelque chose de bien plus grand que notre pensée étroite et que, comme la beauté, comme le temps et l’espace dans lesquels nous sommes placés, elle échappe toujours à notre faible vue ainsi qu’à notre contrôle. Et nous devons savoir que notre entendement est lent dans son dynamisme, et qu’il voit, il voit progressivement, remarquant peu à peu comme à l’aube de toute une vie pleine de découvertes et de malentendus, ces détails qui passaient inaperçus, à l’ombre de la distraction ou de l’auto complaisance. Mais, au lieu de faire un exercice d’humble ignorance, en reconnaissant la pauvreté de notre raisonnement face à la réalité passée ou présente, nous faisons un exercice de fuite, comme un vice d’auto-conviction dans l’imagination, où l’on gagne toujours avec des pièges, enveloppés par la tribu : mesurer, se complaire dans une orthodoxie que personne ne peut nier, et qui est déjà, en soi, une censure de la pensée à la question de l’âme mystérieuse des choses et des événements.

C’est ainsi que, plus ou moins naïfs, plus ou moins orgueilleux, nous nous débrouillons pour maintenir cette incohérence de la raison, en essayant de noyer la vérité, de la noyer dans des informations fabriquées pour se livrer à une bataille dialectique stérile et sans fin de discours apologétiques-inculpatoires dans lesquels la plainte, l’indignation, l’appel à la révolution et à la contre-culture, le passé, le présent et le futur, sont utilisés comme des tirs d’artillerie, comme des armes dialectiques qui excitent la gourmandise – et d’autres choses – de ceux qui sont scandalisés par le malheur des autres.

Et pourtant – et ce pourtant est comme une invitation à plonger au sommet de la paradoxale et poignante condition humaine – même si certains nient la vérité qui ne vient pas d’eux-mêmes, que d’autres pensent l’épuiser dans leur discours, et que la majorité ne pratique sa réaction offensée que devant le miroir, personne n’hésite à désirer pour lui-même plus de vérité et plus de lumière, comme on aspire à être aimé plus profondément, plus profondément que son propre nom et que la surface de ses traits, en atteignant le centre inconnu, le lieu assombri par tant de préjugés, le lieu où personne ne peut parvenir, s’il ne connaît pas son origine ou si on ne lui a pas appris à s’interroger sur celle-ci. Parce que, à l’heure de la vérité, qui est l’heure la plus intéressante ; à l’heure du sérieux, de la sincérité avec son propre cœur, – ce grand inconnu, assoiffé, justement, de vérité -, personne ne voudrait être aimé, consciemment, de façon mensongère.

La beauté oubliée

C’est pourquoi le plus grand miracle, l’événement presque jamais vu, l’histoire la plus merveilleusement poignante, le plus incroyable pour la raison et le plus douloureux pour la liberté, c’est de trouver, de voir de loin, du coin de l’œil, au milieu de la fumée et du bruit des voix, des images fragmentées, des intérêts particuliers du business de l’opinion, quelqu’un qui une fois, à un moment donné de sa vie, repense sa position, son idée, sa version qui est un peu son aveuglement, et s’interroge, balbutie au moins le désir de comprendre un peu plus. Et il sort prudemment de sa tranchée, en regardant le champ de bataille idéologique qui a détruit la vie en commun, pour s’ouvrir – et quel miracle de s’ouvrir… ! – à une nouvelle possibilité dont il n’avait pas conscience auparavant, reconnaissant la demi-vérité qui obscurcit le mystère et -qui sait- aussi son besoin de réapprendre tout ce qu’il croit savoir.

 

Ice, Blue sky, Sunset © Alexandre Morard

 

Peut-être ce miracle de la bataille se produira-t-il au moment le moins attendu. Peut-être dans le moment mystérieux de l’ouverture ou de la fermeture, ou dans l’instant de l’insupportable ennui d’une vie réduite à des clichés hérités, à des coutumes sans amour, dont on ignore le sens par satisfaction ou par paresse. Peut-être est-ce dans le poids quotidien des jours sans joie ; cette joie divine, inatteignable, heureusement, pour nos calculs scientifiquement prouvés. Ou peut-être, qui sait, est-ce dans l’ennui de toujours écouter les mêmes voix, à l’intérieur et à l’extérieur de nous, nous proposant un argument simple et si souvent raté, qui nous fait éprouver le manque de la beauté oubliée de la vérité : la beauté de cette lumière enfouie dans l’ombre boueuse de nos bavardages.

Article écrit par Ricardo Franco, dans le journal El debate de hoy, le 19 septembre 2021

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