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Caryll Houselander, Méditation sur l’Avent ( I )

Caryll Houselander (1901 – 1954) est de ces perles dont l’histoire n’a pas encore pris le temps d’apprécier toute la valeur. Elle se tient pourtant, par sa vie et son œuvre, dans la compagnie de Madeleine Delbrêl, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Adrienne von Speyr et Flannery O’Connor. Bien connue dans le monde anglophone, elle l’est beaucoup moins en France, où aucun de ses livres n’a encore été traduit. Ce temps de l’Avent est le moment idéal pour faire la connaissance de cette femme laïque que l’on a surnommée la « divine excentrique », de cette mystique si proche de nous et dont la vie et la théologie gravitent, précisément, autour du mystère de l’Avent, cette « vie cachée » du Christ dans le ventre de Marie.

 

Caryll Houselander

 

  1. Caryll Houselander, la « Divine Excentrique »

Commençons par un rapide croquis de notre sujet. Caryll Houselander est née en 1901 dans la ville de Bath, une petite ville de fondation romaine, près de Bristol, dans le Sud de l’Angleterre. Enfant à la santé fragile, elle dépareillait en quelque sorte avec ses parents athlétiques et hyperactifs. A l’âge de cinq ans, elle fut clouée plusieurs mois au lit par une maladie que les docteurs attribuèrent à des causes mentales et dont elle émergea soudainement le jour de sa Première Communion. Le divorce de ses parents, lorsqu’elle avait neuf ans, la laissa avec le sentiment profond et lancinant d’être spirituellement exilée. Avec sa sœur aînée, elle grandit sous le tutorat d’un avocat agnostique, monsieur Justice Bowers, surnommé « Smoky », qui eut une profonde influence sur elle et avec qui elle resta amie. Elle fréquenta par la suite plusieurs pensionnats religieux. Etudiante en art (outre les poésies qu’elle écrivait depuis son enfance, elle se spécialisera dans la gravure sur bois) elle rejeta sa foi Catholique — ou plutôt, elle essaya de la rejeter et de la remplacer par une autre affiliation religieuse. Cette tentative, qu’elle raconte dans son autobiographie avec le sens très british de l’auto-dérision, fut un échec.

Une nuit de juillet 1918, cette tentative de fuite fut définitivement défaite par la vision qu’elle reçut du Christ roi crucifié, vision qui avait l’aspect d’une icône byzantine et qui remplit sous ses yeux le ciel de Londres. Le lendemain, les journaux rapportèrent la nouvelle que le star Nicolas II et sa famille avaient été exécutés par les bolcheviks dans leur prison d’Ekaterinbourg. Réconciliée, apaisée, Caryll n’en perdit rien de son excentricité. Ceux qui le connurent se souviennent d’elle comme d’une fumeuse invétérée, qui aimait boire et qui ne supportait rien moins que les « catholiques bien-pensants ». Elle fut brièvement liée romantiquement à un espion qui travaillait alors pour les services secrets britanniques : Sidney Reilly. Qu’il suffise de savoir qu’il inspira à Ian Flemming le personnage de James Bond et on devinera que cette brève romance la laissa seule et le cœur brisé. La seconde guerre mondiale faisait rage lorsque Caryll publia Cette guerre est la Passion, qui fit connaître son nom dans le monde catholique anglophone. Elle écrivit de nombreux livres, notamment sur la Vierge Marie, jusqu’à sa mort du cancer à l’âge de 53 ans.

Revenons à présent sur un événement que nous avons évoqué en passant et qui mérite qu’on lui accorde davantage d’attention : sa Première Communion. Suite au départ d’une gouvernante qu’elle aimait beaucoup, alors qu’elle avait quatre ou cinq ans, Caryll éprouva un profond sentiment de solitude, lequel se convertit en désir pressant de faire sa Première Communion — portée par le sentiment confus que l’Eucharistie était la seule réponse adéquate à sa solitude. A l’âge de six ans, soudainement, Caryll tomba en proie à une maladie qu’elle décrit dans les termes suivants :

« Physiquement, le symptôme le plus inquiétant et le plus persistant était une grande difficulté à respirer, une température constante et un sentiment de faiblesse qui ne faisait qu’augmenter. Cependant, ce n’était rien à côté de l’angoisse mentale et spirituelle qui me submergeait complètement, que j’étais incapable d’expliquer à qui que ce soit et qui ne me laissait pas le moindre répit. »

Cette maladie, que les docteurs perplexes attribuèrent à une forme aiguë d’hystérie infantile, laissera une profonde marque en Caryll, qui gardera toute sa vie une profonde compassion envers les personnes souffrant de maladie mentale. Cependant, ce n’était pas la dimension mentale qui la torturait, mais la dimension spirituelle qui se caractérisait par « un sentiment profond de culpabilité. » Dans l’espoir d’apaiser ce sentiment, elle fait sa première confession, aussitôt suivie de nombreuses — le prêtre vient la visiter régulièrement et l’enfant se confesse jusqu’à deux fois par jours. Mais l’angoisse persiste et l’enfant attribue cet échec à sa confession imparfaite, partiale, de sorte qu’elle va jusqu’à exagérer ses fautes ou à confesser des péchés qu’elle n’a jamais commis, d’ôter de sa poitrine cette culpabilité qu’elle attribue à quelque faute obscure et cachée. C’est alors qu’elle vint à une réalisation qui prépara le terrain pour sa première rencontre avec l’Eucharistie :

« C’était le soir, je crois. La chambre était obscure et la lueur du feu qui dansait sur les murs me blessait les yeux lorsque je les ouvrais. Elles étaient pourtant belles, ces flammes, mais la beauté tombait sur mon esprit tourmenté comme de l’eau brûlante sur une plaie ouverte. Je n’essayais de traduire mon tourment en référence à des péchés particuliers. J’avais pris conscience, de façon obscure et intuitive, que ce n’était pas quelque chose que j’avais fait qui avait besoin d’être pardonné, mais bien plutôt mon être tout entier qui avait besoin d’être radicalement transformé. »

Plus tard, cette expérience reviendra souvent sous la plume de Caryll qui insistera sur l’importance de l’être par rapport au faire et sur le Salut comme transformation de notre être à la manière ou à l’image du pain qui, sous l’action de l’Esprit et les mains du prêtre, devient Corps du Christ. De même que Sainte Thérèse de Lisieux, qu’elle regardera toujours comme une grande sœur, fut sauvée de son extrême scrupulosité et sentimentalité par le sourire de Marie, c’est également par un « miracle ordinaire » que Caryll est sauvée de l’angoisse : l’Eucharistie.

« Le prêtre, seul avec moi, brisa la petite Hostie en fragments et me la donna comme on me donnait mes médicaments, avec de l’eau pour avaler. Je trouvais la paix instantanément, comme si je venais de me réveiller d’un long cauchemar pour retrouver la sécurité et la sérénité d’un matin ensoleillé. Je restais là un long moment allongée, les yeux fermés, calée sur les coussins. Il semblait qu’une lueur douce et dorée brillait au travers de mes paupières et infusait tout mon être, comme la chaleur et la lumière du soleil pénètre et infuse la terre, éveillant la fleur dans la graine. »

Cette image de la graine qui est cachée dans la terre et qui grandit en silence avant de voir le jour deviendra très chère à Caryll Houselander, qui méditera en ces termes, avec une patience amoureuse, sur le mystère de l’Annonciation et la croissance du Christ dans le corps et dans l’âme sa Mère. C’est une expérience d’ouverture et d’abandon, dont elle comprendra plus tard la nature mariale, qui sauve la jeune Caryll de son angoisse en la délivrant de l’infernal repli sur soi de l’ego :

« Par abandon à Dieu, j’entends le don de soi à Dieu pour être transformés en Lui. C’est le remède à l’ego qui est au centre du problème : nous devons être guéris de notre ego en étant transformés dans le Christ, comme le pain et le vin sur l’autel. C’est dans cet abandon que se trouve, je crois, le remède au tourment du “moi”, en quoi consiste précisément la souffrance psychologique. C’est le remède à notre faiblesse qui est incapable de prendre sur soi le fardeau qui est celui de tous : le péché du monde ; c’est le remède à cette peur qui saisit la volonté et la rend chétive face au défi de la vie ; c’est le remède à notre insignifiance qui rend si douloureux l’impact avec la beauté de la nature : c’est le remède à cette lâcheté qui contracte et réduit le cœur devant le défit de l’amour. »

Pour Caryll, le fruit de cette expérience sacramentelle, qui est le cœur de toute expérience chrétienne, c’est un amour nouveau pour la réalité :

« Cela signifie que nous devenons capable de jouir de la vie — et notre esprit gagne des forces, petit à petit, jusqu’au moment où nous devenons capable de jouir de tout. C’est une chose aussi secrète et aussi réelle que la transformation du pain et du vin, sur l’autel, dans le Corps et le Sang du Christ. Personne ne peut voir le changement, personne ne voit quoi que ce soit, mais le changement se produit. C’est une œuvre de Dieu, une œuvre divine qui est incomparable et qui se produit encore et encore, partout dans le monde, tous les jours. C’est ainsi qu’il en va pour nous. Si nous nous offrons, si nous laissons Dieu nous transformer en lui, alors nous commençons à voir le monde avec les yeux du Christ, à en jouir de la joie de vivre qui était celle du Christ, et à l’aimer avec le cœur même du Christ. »

Vous l’aurez compris : l’Eucharistie est au cœur de la vie et de l’œuvre de Caryll Houselander. Par Eucharistie, elle désigne toujours un double mystère : mystère du pain et du vin qui, sur l’autel, deviennent Corps et Sang de Jésus ; mystère de notre être qui, abandonné à Dieu, est transformé à la ressemblance du Christ. Ces deux dimensions de l’Eucharistie, à la fois objective et subjective, sacramentelle et charnelle, ecclésiale et personnelle, elle en comprendra l’unité dans le sein de Marie et le mystère de l’Avent. La trajectoire spirituelle de Caryll à en effet ceci de particulier qu’elle part de l’Eucharistie et conduit à l’Eglise et à la Vierge Marie (pour beaucoup, la découverte de l’Eglise est première et conduit à celle de l’Eucharistie).

Tout d’abord, Caryll remarque qu’il est dans l’essence de l’Eucharistie d’être « donnée » par une autre personne humaine (contrairement, par exemple, à la Bible, que chacun peut acheter et lire par lui-même, de sorte que la théologie protestante s’affranchit ainsi de l’Eglise).

« La nuit avant Sa mort, lorsqu’Il institua le Saint Sacrement, [Jésus] s’est remis pour toujours entre les mains de Pierre — et entre les mains de Judas. Une raison supplémentaire pour laquelle cette méthode de Communion au Christ par le Saint Sacrement est d’un tel secours pour ceux qui souffrent de maladie mentale, c’est qu’elle implique nécessairement une autre personne humaine. Quelqu’un doit apporter le Christ à la personne souffrante, quelqu’un doit lui donner le Christ. Il est aussi d’autres manières par lesquelles le Christ s’offre aux hommes : le Corps Mystique y pourvoit. Mais cette manière là, la communion sacramentelle et la Sainte Hostie, est au cœur du mystère de l’amour divin, et c’est de cette source que s’écoule toute autre communion et communication du Christ entre les hommes. »

Pour Caryll, la dignité de l’Eglise Catholique, ne consiste pas d’abord dans la cohérence morale de ses membres, mais dans le fait que c’est à elle qu’est confiée le mystère de l’Eucharistie. C’est elle qui nous le donne. L’expérience salutaire qu’elle a faite le jour de sa Première Communion l’a en effet marquée définitivement et c’est à partir d’elle qu’elle regarde le mystère de l’Eglise.

« Il est devenu impossible pour moi de ne jamais douter de la Présence Réelle dans le Saint Sacrement — ce qui ne veut pas dire que je ne sois pas consciente et ne puisse considérer d’autres explications de mon “miracle.” Il est également devenu impossible pour moi de remettre en cause, comme j’ai essayé de le faire quelques années plus tard, le fait que le Christ dans le Saint Sacrement a été confié à la garde de l’Eglise Catholique Romaine, et cela indépendamment du fait que sa hiérarchie, ses ministres, ses membres puissent être bon ou mauvais, sages ou stupides. »

Mais Caryll ne s’arrête pas à l’Eglise dans sa contemplation du mystère de l’Eucharistie. Saisie par un désir pressant de reconnaissance, comme le lépreux guéri par Jésus, Caryll veut remonter jusqu’à la source, et exprimer toute sa gratitude pour le don de l’Eucharistie — c’est devant la Vierge Marie que s’arrête son pèlerinage, devant elle qu’elle s’incline. En effet, c’est dans la chair de la Vierge que, pendant les neuf mois de sa grossesse, prend forme le mystère qui nous sauve.

(A suivre…)

Les citations de cet article sont tirées de l’autobiographie de Caryll Houselander, « Rocking Horse Catholic ».

 

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