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Une tempête s’est levée dans l’Eglise en Allemagne depuis quelques semaines. Au cœur de celle-ci, le pape émérite Benoit XVI qui se voit une fois encore mis au pilori. Quelques grandes personnalités ont décidé de prendre sa défense.

 

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Au départ une expertise externe commandée par l’archevêché de Munich et Freising en février 2020 au cabinet d’avocats Westpfahl Spilker Wastl sur la question des abus sexuels dans l’Eglise. Les résultats de cette expertise ont été présentés à la presse le 20 janvier et mettent en cause un certain nombre de prélat dans la gestion des cas d’abus sexuel. A la tête de l’archidiocèse de Munich durant 7 ans, le pape émérite avait quant à lui envoyé un rapport de plus de 80 pages à la demande des experts, répondant à un certain nombre de question et expliquant son action en la matière. Lors de la conférence de presse de présentation, les experts ont prétendu que Joseph Ratzinger aurait fait preuve de négligence, voir même de mensonge, dans quatre cas, durant la période où était-il archevêque.

Peter Seewald, biographe et ami de Joseph Ratzinger, qui connaît bien le sujet pour avoir travaillé ces dernières années sur de très nombreux documents d’archive, a publié la semaine dernière un article [1]article paru dans la revue Focus le 29 janvier 2022 pour prendre la défense du pape émérite. En voici quelques extraits :

 « Le fait que le rapport d’audit des avocats allait déclencher une avalanche médiatique n’était pas une surprise. En tant que protagoniste du catholicisme traditionnel, Ratzinger est, avec Jean-Paul II, le dirigeant de l’Eglise le plus attaqué depuis l’époque du Concile, qu’il a largement marqué de son empreinte. Il a souvent suffi de bagatelles pour qu’on l’accuse de scandales. La plus grande attaque jusqu’à présent a eu lieu dans le cadre de la schismatique Fraternité Saint-Pie-X en 2009, lorsque le pape allemand s’est vu reprocher de vouloir délibérément faire passer un négationniste de l’Holocauste des Frères de Saint-Pie en tant qu’évêque. Rien ne correspondait pas aux faits, mais l’affaire a suffi à faire retomber l’enthousiasme mondial pour « Benedetto » et de porter un coup fatal au pontificat. (…)

Peut-on encore défendre le pape émérite ? Ou doit-on même le faire, car dans la surenchère médiatique, il s’agit surtout de tirer à boulets rouges, avec un mélange de vérités, de mensonges et une forte dose de méchanceté ? Parce qu’en insistant sur des standards qui étaient encore lointains à l’époque des faits, l’historiographie dégénère en un simple moralisme qui met en danger les valeurs d’une société basée sur l’Etat de droit. (…)

Ratzinger est accusé de « faute professionnelle » dans quatre cas, dont celui du prêtre le prêtre d’Essen Peter H. mentionné plus haut. Il a « très probablement », selon les experts mandatés par l’archevêché de Munich, couvert des auteurs d’abus sexuels en connaissance de cause, dans le cadre de la pastorale. Dans sa déclaration, Benoît a expliqué au cabinet d’avocats qu’il n’avait « pas connaissance » de ces cas. Il n’était pas non plus informé des antécédents de Peter H. En fait le procès-verbal de la réunion de l’ordinariat du 15 janvier 1980, confirme la demande du responsable des ressources humaines du diocèse de Essen, d’envoyer le prêtre, alors âgé de 33 ans « pour quelque temps », de lui offrir « un logement chez un curé dans une paroisse paroisse de Munich » au motif que l’aumônier allait « suivre un traitement psycho-thérapeutique ». « La demande est acceptée », conclut le procès-verbal. L’autorité compétente pour Peter H. restait son diocèse d’origine Essen. Il n’était pas déterminant de savoir si Ratzinger a participé à la réunion incriminée ou pas ». 

Manfred Lütz (Bonn, 18 mars 1954)  est psychanalyste et théologien allemand, auteur de plusieurs best-sellers et a travaillé à plusieurs reprises avec le cardinal Ratzinger et le pape Benoit. Il a publié une tribune dans le Neue Zürcher Zeitung du 1er février

« Dans les quatre cas reprochés à Ratzinger, il n’y avait pas une seule preuve tangible qu’il avait « connaissance de l’histoire des abus ».(…)

« Bien sûr que l’on peut critiquer Joseph Ratzinger, j’ai moi-même eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises. Mais ici, on a l’impression qu’un vieillard, qui a justement réalisé des travaux révolutionnaires sur le thème des abus, qui lui était à l’origine totalement étranger, a été traîné sur scène pour faire du sensationnalisme, au lieu de se pencher enfin sur les questions décisives ».

Lütz évoque les circonstances du congrès sur les abus, convoqué par Mgr Ratzinger à Rome du 2 au 5 avril 2003, soulignant à quel point la contribution de Raztinger sur le sujet est importante.

« Le cardinal Ratzinger a souligné qu’il souhaitait que la perspective des victimes soit également mentionnée et m’a remis une lettre du pédopsychiatre Jörg Fegert, qui s’était adressé à lui et que j’avais également invité. (…) Nous nous sommes réunis au Palais pontifical, toutes les autorités de la Curie concernées par le problème étaient présentes, certaines hésitaient à venir et ont encore été « motivées » personnellement par Ratzinger. Ce fut un congrès très dense, avec des questions très franches de la part des représentants du Vatican et des réponses tout aussi peu artificielles de la part des experts internationaux – tous non catholiques. (…) Ceux-ci ont plaidé pour que l’on contrôle les délinquants, mais pas pour qu’ils soient simplement mis à la porte, sinon ils représentent plutôt un danger pour la société – sans perspective sociale. Lors d’un dîner, quelques experts ont essayé de faire passer cette idée à Ratzinger, mais il s’y est opposé en disant que les abus étaient quelque chose de si terrible qu’on ne pouvait pas simplement laisser de tels auteurs continuer à travailler comme prêtres ». 

Le Nouveau cercle des élèves représenté par Christoph Ohly, Leo Conrad FSSP, Rainer Hangler, a quant à lui tenu à exprimer son soutien au Pape émérite dans une déclaration du 31 janvier 2022

« Dans les jours qui ont suivi la publication de l’expertise WSW sur les cas d’abus dans l’archidiocèse de Munich-Freising, de nombreuses personnes ont violemment critiqué le pape émérite Benoît XVI, l’accusant même de mentir. Cela discrédite non seulement sa personne et son ministère, mais aussi son travail de pasteur et son grand travail théologique. Le Nouveau Cercle des disciples de Joseph Ratzinger / Benoît XVI, dont les membres s’inspirent de son œuvre théologique dans leurs propres travaux et souhaitent transmettre cet héritage, tient beaucoup à exprimer son attachement à son homonyme, même dans cette situation difficile. En tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il a entrepris de combattre et de traiter les abus dans l’Église et a imposé de nouvelles mesures décisives qu’il a développées en tant que pape. Lors de ses voyages à l’étranger, il a toujours recherché avec beaucoup de sensibilité la rencontre avec les personnes concernées par les abus et n’a laissé planer aucun doute sur la honte que lui inspiraient les crimes commis au sein de l’Église catholique. Pour connaître le point de vue du pape Benoît XVI sur la crise des abus, nous vous renvoyons à sa lettre sensible aux catholiques d’Irlande du 19 mars 2010. (…) Lors de nos rencontres personnelles avec Joseph Ratzinger / le pape Benoît XVI, nous avons pu constater à maintes reprises à quel point il est resté fidèle dans toutes ses actions à la devise qu’il avait choisie : « Collaborateur de la vérité ». Nous lui en sommes reconnaissants ». 

Markus Graulich, docteur en droit canon, reprend dans un interview avec le Tagespost du 2 février:

« Il a pris en charge les thèmes qui se présentaient et les a fait siens. Il a toujours mené un processus de consultation, et ses collaborateurs ou les membres de la Congrégation pour la doctrine de la foi ont été impliqués dans les processus de décision. Comme on peut le voir à travers différentes déclarations et actions – par exemple les rencontres avec des victimes d’abus lors de ses voyages en tant que pape – la question des abus et de leur traitement par l’Église lui a été très proche et il a fait ce qui était en son pouvoir.(…)

Les nouvelles normes, créées sous l’impulsion du cardinal Ratzinger, améliorées sans cesse grâce à son intervention et publiées plus tard par lui dans une nouvelle version, ont permis de faciliter les poursuites pénales contre les auteurs d’abus et donc d’agir plus efficacement. Il existe des listes de prêtres qui ont été renvoyés de l’état clérical par le pape Benoît XVI en raison de leurs délits. (…)

Ses initiatives ont également eu une influence sur le renouvellement du droit pénal général de l’Église. Quiconque se penche sans préjugés ni jugements préalables sur l’action du cardinal Ratzinger/Benoît XVI en la matière parvient sans aucun doute à la conclusion qu’il n’y a pas eu seulement un grand engagement personnel de sa part, mais aussi un processus d’apprentissage qui, empreint de compassion pour les victimes, a créé une toute nouvelle sensibilité dans le traitement des abus. Même s’il reste encore beaucoup à faire, beaucoup a déjà été fait ». 

Monseigneur Rudolf Voderholzer, évêque de Ratisbonne, a lui aussi pris position dans le Tagespost du 3 février.

Tout comme l’évêque de Passau Stefan Oster, le pasteur en chef de Ratisbonne a fait remarquer que l’on pouvait lire à la page 938 de la biographie de Peter Seewald, autorisée par Benoît, que l’archevêque de l’époque, Mgr Ratzinger, avait à la fois participé à la réunion, mais aussi qu’il n’était pas du tout question de savoir si le prêtre en question serait engagé dans la pastorale.

L’évêque a rappelé qu’il ne s’agissait pas pour lui « d’apologétique ou de compassion, ni même d’une nouvelle négation de la faute et de l’échec », mais de s’en tenir à la justice. Il a ainsi évoqué la déclaration du pape émérite dans le cadre de l’expertise de Munich sur les abus. Dans sa déclaration de 82 pages, celui-ci avait nié avoir participé à une conférence ordinale controversée en janvier 1980. Benoît est ensuite revenu sur cette déclaration en s’excusant. L’erreur aurait été commise par « inadvertance ».

La montagne accouche donc d’une souris. Présent ou non à cette réunion, tout le monde est d’accord sur le fait que ladite réunion n’a débouché sur aucune décision engageant la responsabilité de l’archevêque de l’époque. Si le prêtre délictueux avait été engagé dans le diocèse de Munich pour une quelconque tâche pastorale, on pourrait alors poser la question de ce que l’évêque Ratzinger savait, des motivations de sa décision et de sa responsabilité, de sa présence et de son attitude à la réunion. Par contre, dans le cas présent, on voit mal au nom de quoi un évêque pourrait restreindre la liberté d’une personne malade dont il n’a pas la responsabilité, de suivre un traitement psychologique. C’est pourtant ce que semble réclamer les auteurs de la polémique. Si Benoît XVI avait interdit à ce prêtre de venir se faire soigner, il aurait commis un abus de pouvoir, enfreint les lois civiles de son pays et les normes pour la prévention des abus sexuels qui demandent justement un suivi psychologique pour toutes les personnes travaillant pour l’Eglise. La presse a le rôle d’informer, ce genre de bashing ne lui fait pas honneur.

References

References
1 article paru dans la revue Focus le 29 janvier 2022
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