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Élections aux Philippines : Leni Robredo, une espérance

Une multitude de drapeaux et de ballons de couleur rose s’agitent dans le ciel menaçant de cette fin de journée. Une immense foule de jeunes habillés de rose sont venus acclamer leur candidate pour les élections présidentielles qui se tiendront le 9 mai prochain. Le rose est la couleur adoptée par Leni Gerona Robredo, actuelle vice-présidente des Philippines, pour sa campagne. Mais cette femme courageuse réussira-t-elle à l’emporter ? Malgré L’enthousiasme qu’elle suscite, en particulier parmi les jeunes, rien n’est moins sûr.

 

Leni Gerona Robredo. Source: Internet

 

Le retour des Marcos

En effet, tous les sondages promettent une large victoire à Bongbong Marcos Jr, le fils du défunt dictateur Ferdinand Marcos qui a dirigé les Philippines de 1965 à 1986. Pour beaucoup, la percée du fils Marcos est un choc. Et ils se demandent bien ce que cet ancien sénateur fera une fois arrivé au pouvoir. Car celui-ci a fait le choix d’une communication minimum. Il fuit les débats – probablement pour éviter les questions embarrassantes sur le passé de sa famille, les milliards dont ils ont profité et sur ses propres turpitudes avec le Fisc. Fort de sa seule image et de son nom, il semble pourtant marcher vers la victoire. Il faut dire qu’aux Philippines les partis politiques et les idéologies ont peu de poids. Même pendant la campagne, les programmes politiques des candidats n’ont pas tant d’importance. Il est beaucoup plus question de familles et de clans. Or les Marcos, originaires du Nord des Philippines ont gardé une grande aura dans cette région. Par ailleurs, les problèmes et l’instabilité du pays, la corruption largement répandue et l’exemple du président sortant Rodrigo Duterte ont fait penser à beaucoup « qu’il [leur] faut un homme fort ». C’est aussi pour cultiver cette image qu’il s’est allié avec Sarah Duterte la fille du président, qui brigue le poste de Vice-Présidente.

 

Marcos Jr

 

Eglise et politique

Pour l’Église Catholique, voir revenir le fantôme de Marcos en la personne de son fils est comme un mauvais rêve, surtout que ce dernier a toujours refusé d’exprimer des regrets ou des excuses pour les crimes et les abus commis par son père, en particulier durant les années de la Loi martiale [1]https://www.cnnphilippines.com/news/2021/10/7/Marcos-not-sorry-father-dictator-martial-law-crimes-.html. Plus grave, il a entrepris depuis plusieurs années un travail de révisionnisme historique pour changer l’image de l’ère Marcos, cherchant à la présenter comme un âge d’or de l’histoire des Philippines. Sans compter que Bongbong Marcos Jr ne donne pas vraiment une image d’intégrité morale.

Mais que faire ? En temps normal l’Église catholique, en tous cas sa hiérarchie, se tient à distance des turpitudes de la vie politique. Mais la situation actuelle est différente et exceptionnelle : avec la candidature du fils de Marcos à la présidence, c’est le retour de l’histoire. Ferdinand Marcos a été au pouvoir pendant plus de trente ans, pillant les richesses du pays et le laissant exsangue. En 1986, une révolution non violente le chasse du pouvoir et rétablit la démocratie. Un des inspirateurs de la Révolution d’EDSA  a été le Cardinal Sin.

 

la Révolution d’EDSA

 

Celui qui était le secrétaire du Cardinal Sin à l’époque, Mgr Socrates Villegas est aujourd’hui une des figures proéminentes de l’Église Catholique aux Philippines. Comme il l’explique, « The Church cannot be neutral about good or evil. » En temps ordinaire « nous laissons les gens choisir leur candidat, cherchant plutôt à éclairer les consciences sur les implications morales de leur choix. Mais aujourd’hui, il y a urgence. Ce qui me choque le plus, c’est cette tentative de réécrire l’Histoire, la falsification de la vérité.» Par ailleurs, les intentions du candidat Marcos, si elles sont floues, ne manquent pas d’inquiéter : on le sait favorable à l’avortement [2]https://www.rappler.com/nation/elections/ferdinand-bongbong-marcos-jr-okay-abortion-severe-cases-rape-incest/, prêt à continuer la sanglante lutte anti-drogue de l’actuel président [3]https://www.rappler.com/nation/bongbong-marcos-will-continue-drug-war-shield-from-international-criminal-court/ et prêt à abandonner une partie de la souveraineté des Philippines face à la puissance Chinoise [4]https://www.rappler.com/nation/elections/ferdinand-bongbong-marcos-jr-will-set-aside-hague-ruling-united-states-treaty-dealing-china/ … Pour répondre à ce défi, la hiérarchie catholique est allée jusqu’à publier un texte pour rétablir la véracité des faits de la révolution d’EDSA de 1986, tant la propagande du camps Marcos a fait mouche parmi la jeunesse qui n’a pas vécu ces événements.

En effet, le camps Marcos a  fait des médias sociaux son arme de guerre. Les fake news et la désinformation se répandent rapidement parmi une population très active dans les réseaux sociaux. Les attaques personnelles ne manquent pas non plus contre ses adversaires [5]https://ph.news.yahoo.com/fake-news-benefiting-marcos-camp-slams-robredo-camp-for-deceiving-filipinos-042958176.html

Et pour beaucoup de pasteurs de l’Église catholique, il fallait aller jusqu’à soutenir un candidat de valeur qu’ils n’ont pas eu de mal à trouver en la personne de l’actuelle Vice-Présidente des Philippines, Leni Robredo. Bien sûr, leur position a surpris, tant elle est inhabituelle. Et même si Mme Robredo n’est pas la candidate officiellement soutenue par l’Église, beaucoup de ses pasteurs se sont engagés de manière claire. Cela a conduit à certaines réactions négatives parmi les catholiques (surtout les soutiens de Marcos Jr !) mais cela a aussi permis un nouveau regard sur la politique d’un point de vue chrétien, valorisant indéniablement l’engagement politique des catholiques et les encourageant à aller jusqu’à un vrai jugement. Au fond, le message des évêques à leur peuple a été de dire « nous avons prié et réfléchi et nous avons fait un choix. Faites-en de même ! »

 

Le Cardinal Sin et Mgr Socrates Villegas

 

Une candidate Catholique

Qui est Leni Robredo ? Cette femme énergique de 56 ans, catholique convaincue, est juriste de formation. Mais dès le début, elle montre une sensibilité sociale et oriente sa carrière vers le monde politique et associatif. Elle-même explique que ce sont les événements de 1986 qui l’ont poussée à s’engager dans le monde social et politique alors qu’elle n’avait que 21 ans. « J’ai demandé l’autorisation à mon père. Il m’a accordé de le faire pendant une année. » Elle est embauchée dans un programme public de développement dans sa région. C’est d’ailleurs pendant cette année qu’elle rencontre Jesse Robredo, celui qui deviendra son mari quelques mois plus tard. Jesse Robredo a lui-même suivi une carrière politique, notamment comme maire d’une grande ville du Sud et enfin comme ministre de l’intérieur, poste qu’il occupait à sa mort. En effet, il meurt de manière dramatique dans un accident d’avion le 18 août 2012.

 

 

En 2013, Leni Robredo est élue au Congrès. Durant son mandat, elle montre son désir de lutter contre la corruption en proposant plusieurs textes favorisant la transparence de l’Administration. Elle se bat aussi en faveur des droits humains et des droits des femmes.

Après la mort de son mari en 2012, elle explique qu’elle vit ses engagements différemment. Elle dit : « avant j’étais croyante et allais très souvent à l’Église, mais je crois que ma vie spirituelle n’était pas si profonde. Après la mort de mon mari, ma prière est devenue ‘Que te volonté soit faite’ ». C’est ainsi qu’elle explique qu’en 2015, elle comprend qu’elle est appelée à donner davantage et décide de se présenter à l’élection au poste de Vice-Président malgré tous les risques encourus et les réticences de sa famille. Ironie de l’histoire, elle remporte l’élection face à Marcos Jr – avec une marge très faible mais qui sera confirmée par la Cour suprême.

Durant son mandat qui finira en mai prochain, sa position est délicate car elle n’a clairement pas la confiance du président Duterte qui aurait préféré l’élection de Marcos, et elle n’hésite pas à s’opposer à lui quand elle l’estime nécessaire, en particulier quand il s’agit de son combat très controversé contre la drogue, à travers les exécutions extrajudiciaires par la police des « délinquants » présumés coupables. Ne recevant aucun mandat de la part du président, elle s’engage durant ces années dans différentes actions sociales, souvent en partenariat avec la société civile.

Durant cette campagne électorale qui suscite beaucoup de passions, sa candidature a fait naître une vraie espérance parmi une partie de la jeunesse et elle dispose du soutien de la hiérarchie catholique et de beaucoup de catholiques engagés. Mais la vague Rose emmènera-t-elle Leni Robredo jusqu’au palais de Malacanang [6]Palais Présidentiel à Manille ?

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