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Giorgia Meloni: un épiphénomène italien ?

Le cardinal Camillo Ruini – 91 ans, pendant seize ans président de l’épiscopat italien, vicaire de Rome avec Wojtyla et Ratzinger – a traversé de nombreuses périodes de la vie publique italienne, a été interviewé sur Giorgia Meloni mercredi dernier.

 

 

Le Cardinal Camillo Ruini

 

Cardinal Ruini, s’agit-il vraiment d’une réussite historique ?

« Si par historique on entend qu’elle trouvera une place dans les livres d’histoire, italienne et aussi européenne, je répondrais oui. J’attendrais avant de parler d’ « historique » au sens fort. Il est trop tôt pour dire à quel point le résultat du 25 septembre nous affectera ».

Au final, lors d’un vote, les modérés et les conservateurs sont presque toujours majoritaires.

« La culture politique dominante est de gauche ; mais le pays est dans une large mesure de droite, bien que moins clairement ».

Pourquoi cela, à votre avis ?

« C’est une contradiction qui existe dans toutes les démocraties : les intellectuels sont souvent progressistes ; les gens s’occupent d’intérêts concrets et tendent à être plus conservateurs. Aujourd’hui, le fossé entre les élites et le peuple est devenu plus évident même si, comme cela se produit également ces jours-ci, les élites ont tendance à s’aligner… ».

La première femme Premier ministre vient de droite, pas de gauche. Vous vous attendiez à ça ?

« Oui. Je m’y attendais parce que j’ai vu l’ascension de Giorgia Meloni. Alors que du côté de la gauche, je ne pense pas qu’il y ait de femme de grande importance politique aujourd’hui ».

Avez-vous déjà rencontré Meloni ?

« Trois fois. La première il y a plusieurs années, alors qu’elle était encore très jeune et qu’elle était ministre dans le dernier gouvernement Berlusconi. Les deux autres fois, je l’ai rencontrée ces toutes dernières années ».

Comment est-elle ? Comment expliquez-vous sa victoire ?

« Pour moi, c’est une personne sympathique et tosta [1]décidée , comme on dit à Rome. Une des clés de son succès est la clarté et la cohérence de ses positions. Elle m’a semblé très perspicace, rapide dans la gestion des problèmes ».

Mais est-elle prête à gouverner ? A-t-elle une équipe ? S’y connaît-elle en économie ?

« Elle a une expérience politique, mais peu d’expérience gouvernementale. Dans ce domaine, elle devra apprendre beaucoup. En prévision de son succès, elle a renforcé son équipe avec des personnalités et des compétences extérieures à son parti, et je pense qu’elle continuera dans cette voie. Je ne saurais dire à quel point elle est compétente en économie. L’important est qu’elle choisisse les bons ministres, dans ce contexte économique extrêmement difficile pour l’Italie et l’Europe ».

Le vote Meloni est-il davantage un vote de protestation ou le vote modérés ayant vu en elle le leader capable de ramener la droite au Palazzo Chigi ?

« Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un vote de protestation. La protestation s’est exprimée par l’abstention. Il est vrai en revanche que beaucoup ont vu en elle un leader ».

 

Giorgia Meloni

 

Certains journaux étrangers parlent d’un retour au fascisme, ce qui n’est évidemment pas à l’ordre du jour. Mais que la fiamma tricolore [2]Le Mouvement social Flamme Tricolore , symbole historique du post-fascisme italien, ait plus d’un quart des voix, n’est pas quelque chose qui peut surprendre à l’étranger ?

« Sans aucun doute, cela peut surprendre, comme nous l’avons déjà constaté à travers certaines réactions. Lorsque les faits seront avérés, je pense et j’espère que Giorgia Meloni sera en mesure de dissiper ces inquiétudes. Au-delà du symbole, le pari est qu’elle sache représenter les demandes des modérées, pas exclusivement celles de l’extrême droite ».

Des modérés, cependant, qui ont autrefois voté pour le bouclier des croisés, pas pour la Fiamma Tricolore.

« Ils l’ont fait jusqu’à ce que les Démocrates Chrétiens sachent comment les représenter. Puis les instances de gauche ont prévalu dans les Démocrates Chrétiens. Mais la gauche avait déjà ses propres « partis ». »

Vous avez dit au Corriere della Sera que dès votre plus jeune âge, vous entreteniez des sentiments antifascistes, même en opposition avec votre père. Selon vous, cent ans après la Marche sur Rome, quel souvenir les Italiens ont-ils aujourd’hui du fascisme ?

« La mémoire des Italiens est trop bienveillante. Elle met entre parenthèses les pires aspects, absolument inacceptable, du régime. Quant à mon père, il était certainement un nationaliste et non un antifasciste ; mais il a caché quelques Juifs à l’hôpital, ainsi qu’un officier britannique qui avait été parachuté au-delà des lignes nazies ».

Comment expliquez-vous l’effondrement de la gauche, même dans certains bastions, de Modène à Livourne ?

« Je n’ai pas d’explication totalement convaincante. Je peux seulement dire que depuis quelque temps, dans les régions soit-disant rouges, les élections politiques sont moins faciles pour la gauche que les élections administratives, où les intérêts locaux consolidés comptent davantage. Un réseau de relations qui a moins d’influence sur le vote politique ».

Mais Salvini, que vous aviez pourtant invité à dialoguer, a également échoué. Alors que Berlusconi tient bon. Comment cela se fait-il ?

« Peut-être que la campagne de Salvini a contredit les convictions d’une grande partie de son électorat, notamment en matière de politique étrangère. Berlusconi a toujours un grand flair politique ».

Le premier parti est le seul parti d’opposition, l’autre gagnant est Conte qui a fait tomber Draghi… Le bilan de Draghi est-il également déficitaire ?

« Mario Draghi a rendu un grand service à l’Italie. J’espère qu’entre le nouveau gouvernement et celui de Draghi, il y aura une continuité substantielle à de nombreux égards ».

Mais qu’attend le monde catholique, ou du moins la partie qui n’a jamais été en contact avec la gauche, du nouveau gouvernement ?

« Je préférerais vous dire ce que j’attends. Je me limite à un seul point, mais un point décisif avec beaucoup d’implications. Le nouveau gouvernement devrait se concentrer sur l’effondrement démographique, qui dure depuis de nombreuses années et qui n’a été pris en considération que récemment par les responsables politiques, mais de manière radicalement insuffisante » .

Est-ce que quelque chose va changer sur l’avortement ?

« J’espère aussi que la loi 194 sera enfin mise en œuvre, où il est dit que l’État reconnaît la valeur sociale de la maternité et protège la vie humaine dès son commencement ».

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

« Aider les femmes, souvent étrangères, qui voudraient mener à terme une grossesse mais qui sont très pauvres et craignent de ne pas pouvoir élever leur enfant. Les centres d’aide à la vie, avec moins de trois mille euros par femme enceinte et l’engagement personnel des bénévoles, sauvent de nombreux enfants ».

Et sur les unions civiles ?

« Un discours similaire s’applique. Les unions civiles doivent être réellement différenciées, et pas seulement en paroles, du mariage homosexuel. Il doit s’agir d’unions, pas de mariages ».

Vous avez dit au Corriere della Sera que le catholicisme démocratique s’était essoufflé. Ce vote le confirme-t-il ?

« Je dirais que oui. Mais je voudrais clarifier un malentendu qui s’est produit à cette occasion : par catholiques démocrates, j’entends un groupe spécifique qui aime se vanter de ce titre certainement pas tous les catholiques, y compris moi-même, qui sont en faveur de la démocratie ».

Certains disent que le dernier leader de la gauche planétaire est le pape François…

« C’est la vieille question de savoir si le pape François est de gauche. Certes, plus et avant le leader de la gauche planétaire, il est le pape de l’Église catholique ».

En Europe, en revanche, on regarde le nouveau gouvernement avec inquiétude. Ont-ils tort ?

« Je l’espère. Toutefois, le nouveau gouvernement devra tenir compte de cette préoccupation et la démentir par ses choix. La défense des intérêts de l’Italie est légitime et juste, mais elle ne peut se faire que dans le cadre de l’unité européenne. Nous avons besoin de l’Europe ».

Ces dix dernières années, les Italiens sont tombés amoureux de Grillo, Renzi et Salvini, et se sont rapidement désillusionnés. Que doit faire Meloni pour ne pas finir comme eux ?

« Il est évident qu’elle doit essayer de gouverner du mieux qu’elle peut, et malheureusement, ceci n’est pas forcément suffisant. Notre République a le problème de la faiblesse structurelle du pouvoir exécutif. J’ose espérer qu’au cours de cette législature, nous serons en mesure de trouver un moyen de la renforcer et de la consolider, avec le plus large consensus possible ».

Même avec le présidentialisme ?

« Présidentialisme américain, semi-présidentialisme français, premier ministre anglais, chancellerie allemande : les formules sont nombreuses. Il n’y a qu’en Italie que nous avons un pouvoir exécutif pratiquement sans défense ».

 

 

Article paru sur le Blog Il Sismofrafo le mercredi 28 septembre 2022, et traduit de l’italien par Carine Martini.

References

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1 décidée
2 Le Mouvement social Flamme Tricolore
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2 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    Le cardinal Ruini, , fin connaisseur de la politique italienne, aurait pu ajouter que la plupart des chefs de gouvernement italiens depuis 70 ans , de droite ou de gauche, sont issus de la démocratie chrétienne. Et que les coalitions italiennes ne durent jamais plus de 18 mois

  2. Pierre LE GOFF

    Bruno ANEL en bon français, se garde bien de parler des années Berlusconi et de ses deux présidences déterminantes (11 juin 2001- 17 mai 2006; 8 mai 2008 – 16 novembre 2011) qui n’ont rien à envier en longévité aux mandats des premiers ministres de l’Hexagone.

    Toute l’Italie (adversaires politiques inclus) reconnaissent en BERLUSCONI un grand sens politique (ce dont parle le cardinal Ruini) ayant permis l’union des droites à plusieurs reprises et avec elle la relance de l’économie italienne, sa ré-industrialisation (aujourd’hui la troisième industrie d’Europe), la relance de son commerce extérieur (balance commerciale excédentaire), une ambitieuse poli que énergétique et un retour sur la scène mondiale et européenne.

    Certes, il reste beaucoup à faire, surtout après ces dix dernières années d’instabilités gouvernementales. La valse des présidents du conseil (premiers ministres) d’une gauche pourtant minoritaire (PD (centre gauche) ou Cinque Stelle (l’équivalent du LFI)) avec leurs tentatives d’alliance souvent motivées par la défense de leurs propres intérêts (la « poltrona » (les postes et les sièges à l’Assemblée) laisse une dette colossale à l’Italie et un pays divisé.

    Le centre droit résume bien la situation: « ce n’est plus la culture de gauche que nous craignons, mais la culture du pouvoir pour le pouvoir menée par la gauche depuis plus de dix ans ».
    Il est temps qu’une chance soit redonnée à la coalition de droite menée par Georgia MELONI et enrichie par l’expérience de gouvernement de SALVINI et BERLUSCONI. Qui vivra verra !