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Les évènements récents de Cisjordanie ont hélas permis de décerner à l’année 2022 le titre d’année la plus meurtrière depuis la fin de la seconde Intifada en 2005. Nous publions cette interview de notre amie, Randa Hasfoura. pour tourner nos regards vers la Palestine, en cette veille de la Naissance du Sauveur.

 

Procession de Noël – Palestine

 

Randa, pourrais-tu te présenter, ta nationalité, tes parents, ton travail ?

Je suis salvadorienne de naissance et 100 % d’origine palestinienne. Mes parents sont natifs de Bethléem, ils m’ont inculqué un amour profond pour la terre de mes grands-parents et celle de ma foi. Je suis avocate, diplômée d’une Université privée du Salvador. J’ai travaillé dans le secteur d’arbitrage de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Salvador (avec une spécialisation de 6 mois à Paris) et ensuite dans un Cabinet d’Avocats de renommée régionale. Grâce à ma passion pour la cause palestinienne j’ai travaillé au Ministère des Relations Extérieures de Palestine à Ramallah et c’est de là que j’ai été nommée comme diplomate à l’ambassade de Palestine pour l’Espagne. Mes parents se sont mariés à Bethléem en 1960 et sont venus ensuite s’installer définitivement au Salvador. Mon père lui, d’origine palestinienne est pourtant né au Salvador et puisqu’il était déjà installé ici, ses parents, lui-même, et travaillant déjà, il était plus facile pour lui de rester vivre ici et de faire venir ma mère, après leur mariage.

Quand je suis allée travailler en Palestine je suis entrée au Ministère des Relations Extérieures, mais auparavant j’ai fait un Master de Droit International en Espagne. Chaque été depuis que nous étions petits, mes parents nous emmenaient là-bas et ne manquaient pas de nous inculquer cet amour envers la famille et les lieux saints.

Depuis quand dure le conflit palestinien ? Quelle en est l’histoire ? Quelle est la situation actuelle du conflit ? Parles-nous un peu de la Palestine, sa culture, son importance.

Ce conflit est très compliqué, de fait, il est assez difficile à expliquer entièrement ici en peu d’espace… Ses racines viennent du 19ème siècle, lorsque les Juifs fuyaient l’antisémitisme en Russie et en Europe Centrale, ils commencèrent à émigrer vers la Palestine. En 1917, durant la Première Guerre Mondiale, les Britanniques reprennent la Palestine des mains des Ottomans et lors de la Déclaration de Balfour le 2 novembre, ils promettent aux Juifs « un foyer national » à cet endroit même. En 1922, la Ligue des Nations Unies établi les obligations d’un mandat britannique en Palestine, incluant l’obtention de « l’établissement du foyer national Juif », le futur Israël. La Grande-Bretagne détruit la grande révolte Arabe en Palestine de 1936-1939.

La Palestine est divisée en un État Juif et un État Arabe en vertu de l’Article 181 des Nations Unies, approuvé en novembre 1947. Jérusalem est sous contrôle International. L’État d’Israël a finalement vu le jour le 14 mai 1948, provoquant une guerre de huit mois contre les États Arabes. Les forces israéliennes détruisirent plus de 400 villages palestiniens et environ 760 000 réfugiés fuirent en Cisjordanie, Gaza et les pays Arabes voisins. L’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) fut créée en 1964.

Il convient de dire que dans ces dernières décades du dix-neuvième siècle, l’assimilation des populations juives dans beaucoup de sociétés européennes vacille, car une fois que celles-ci sont légalement émancipées, elles prospèrent et atteignent un niveau élevé dans beaucoup de domaines, ce qui génère une crainte antisémite qui provoque des tensions comme fut le cas de l’affaire Dreyfus en France, ou les pogroms anti-juifs russes en 1881 après l’assasinat du Tzar Alexandre II.

Comme mécanisme de réponse — coïncidant avec l’apparition des nationalismes modernes qui secouent l’Europe de l’Est — surgit le sionisme, mouvement politique fondé par Théodore Herlz, auteur de Der Judenstaat (L’État des Juifs), en 1896, qui préconise la création d’un État Juif qui serve de centre spirituel pour la diaspora. Le premier Congrès Sioniste, célébré à Basilea en 1897, approuve une résolution qui prévoit la création de cet État et après avoir précédemment encouragé des options comme l’Ouganda ou la Patagonie, il est décidé qu’il se tiendra en Palestine. Durant ces années charnières du nouveau siècle, s’effectuent les premières « aliyah » (migrations) qui comportent une forte composante Russe et Polonaise, aux couleurs d’un fallacieux slogan forgé par Israël Zangwill : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».

 

 

La Palestine est une réalité très différente et vivante en cette période. Une population d’un demi-million d’arabes, avec plusieurs chrétiens, musulmans et juifs vivants dans une entente pacifique et ethniquement indifférenciables, habitent 672 localités avec un important secteur agricole et une industrie de manufacture en développement. Mais le projet sioniste s’était déjà mis en marche et parallèlement à l’arrivée des colons, on achète des terres à des propriétaires arabes absents qui ne vivaient pas en Palestine. Jusqu’en 1910, la population juive augmente de 75 000 personnes et contrôle 75 000 hectares de terre. Il faudra attendre l’écroulement de l’empire Ottoman à la fin de la Première Guerre Mondiale pour que le conflit potentiel devienne réalité.

La Palestine est un territoire avec une histoire conflictuelle, spécialement entre Israéliens et Palestiniens. Mais cela n’a pas empêché que survivent plusieurs héritages prouvant sa vivacité sociale. L’héritage culturel le plus important est que la Palestine est la Terre Sainte. Indubitablement, ce territoire a été un des plus influent dans le monde, aussi parce qu’il est le berceau des trois religions monothéistes : Le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam.

Combien y a-t-il de chrétiens actuellement en Palestine ?

Peu à peu les chrétiens ont émigré. C’est la tactique de l’occupation : dépouiller la Terre Sainte des chrétiens, qui est la terre du Christ, la terre qui a vu naître, prêcher et mourir Jésus-Christ. La terre, non seulement celle du Christ, mais aussi celle des premiers chrétiens, de ses disciples, ses évangélisateurs, les premiers Pères de la foi. Et aujourd’hui nous la voyons dépouillée de chrétiens. À cause de l’occupation, les familles chrétiennes ont émigré, elles ne représentent plus que 2 % sur toute la Terre Sainte. C’est triste. Triste parce qu’il n’y a plus de communautés chrétiennes qui maintiennent la flamme des paroisses, des églises. Les communautés chrétiennes, comme le dit le Pape François, donnent vie à l’Église. Nous craignons que la Terre Sainte ne devienne un musée froid où seuls quelques milliers de pèlerins viendraient chaque année, mais sans qu’il n’y ait aucune communauté qui donne vie à la paroisse chaque dimanche, pour chaque fête, pour chaque évènement religieux de l’année liturgique.

La Terre Sainte est le foyer d’approximativement 200 000 chrétiens qui sont tous palestiniens ; quelques-uns vivent dans le territoire israélien et sont traités comme des citoyens de seconde zone parce qu’ils sont palestiniens. La principale communauté chrétienne de Terre Sainte est composée de grecs orthodoxes, suivis par les melkites (les grecs catholiques). Les catholiques romains de tradition liturgique latine sont environ 20 000 personnes entre Nazareth, Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-est.

Quel signe d’espérance perçois-tu dans ton pays ?

Dans mes conférences, je souligne toujours que je n’ai aucune idée de savoir comment les palestiniens gardent la foi devant une situation comme celle qu’ils traversent quotidiennement. Le signe d’espérance est léger, c’est peu, il va s’éteignant … mais il est centré sur la foi des croyants, ils espèrent et ont confiance en Dieu, que Dieu fera justice, parce-que pour ce qui est des personnes, ils savent qu’il ne faut pas en attendre trop. Il y a beaucoup de congrégations religieuses en Terre Sainte, une prière quotidienne, de la part des orthodoxes, des russes, des catholiques, des arméniens, des anglicans, des luthériens, ainsi que les musulmans et les juifs, tous prient quotidiennement, mais malgré tout, le conflit est latent. La foi sans aucun doute porte une espérance, sinon cette foi simple serait inutile.

Comment le mystère de la Nativité est-il un signe d’espérance pour ceux qui vivent là-bas ?

Á Bethléem, la Nativité se vit comme une fête nationale, pas seulement comme une fête chrétienne. Il y a une agitation de fond durant tout le mois … malgré l’occupation, il y a des sourires sur les visages des enfants, des mères, et de tous ceux qui se promènent dans la rue.
J’ai écrit un poème en référence à l’Église de la Nativité qui abrite la petite grotte où Jésus est né :

 « Chaque mètre carré de l’Église de la Nativité est partagée entre les orthodoxes, les catholiques : melkites, arméniens, coptes et latins.
Pourtant, ce qui compte n’est pas la version du christianisme,
car il y a quelque chose de beaucoup plus significatif à l’intérieur de l’église,
lorsque nous longeons les colonnes de marbre érigées il y a plus de 18 siècles …

Sous l’Autel, après avoir descendu un vieil escalier de pierre calcaire,
il y a une petite grotte avec des odeurs d’encens et de cire fondue.

Ici, dans la blancheur de ce lieu sacré, entourée des colonies juives et des camps de réfugiés, enfermée derrière un mur, captive, sous le sol d’une antique église, sur un espace recouvert de marbre,
se trouve une étoile d’argent … ici … ici est né Jésus.

L’air de cette grotte est frais et à la fois réchauffé par son odeur historique.
Les conflits ici sont comme un microcosme des évènements mondiaux.
Pourtant, ce qui se passe ici reflète ce qui menace la paix du monde. »

 

L’Eglise de la Nativité – Bethléem

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