Home > Littérature > Christian Bobin, le serviteur des lys des champs

Christian Bobin, le serviteur des lys des champs

Terre de Compassion vous propose cet hommage de Cristian Warnken au poète et écrivain Français Christian Bobin, mort le 23 novembre dernier au Creusot suite à un cancer fulgurant.

 

Christian Bobin (Source)

 

Je viens d’apprendre que Christian Bobin est mort, cet écrivain français dont les petits livres sont comme des fleurs sauvages, des lys des champs au milieu des jardins versaillais de la littérature française. La première fois qu’un de ces livres-lys est arrivé dans mes mains, c’est un professeur de français de passage au Chili qui me l’a remis. Avant de retourner dans son pays, elle m’offrit ce petit livre de Bobin, aux éditions Poche, ayant pour titre « Le très-bas ». Des dizaines d’années plus tard, en lisant la dédicace de Delphine (tel est le nom de la collègue dont je n’ai plus reçu aucune nouvelle) il était écrit : « pour Cristián, écoutant l’humble silence du très-bas ».

Je dois avouer que cette poignée de quelques pages qu’au début je dédaignais (« le très bas ») est restée bien longtemps cachée derrière bien d’autres livres, dans cette longue liste de textes essentiels et humbles qui nous attendent sans impatience. Des années plus tard, en en ouvrant la première page, un élan de lumière, une bouffée d’air frais me fit respirer à nouveau au milieu de l’enfermement addictif de ma bibliothèque. À la lecture de cet écrivain du Creusot, on reçoit en plein visage « la lumière du monde » (expression si belle de la langue française), et on se sent fasciné par la pure présence. Ce n’est pas vraiment une fascination, non. Mais la joie secrète que nous ressentons lorsque la lumière de l’hiver nous réchauffe, ou comme lorsqu’un enfant entre dans la pièce alors que nous sommes absorbés par un travail très sérieux, et que son sourire ou son rire nous désarme, nous laissant désemparé devant le miracle et la beauté en minuscule (qui sont, en réalité, le Grand Miracle et la Grande Beauté). Face à cela, nous n’avons pas d’autre choix que de déposer les armes.

C’est « comme revenir à nos dix-sept ans après avoir vécu un siècle », comme dirait notre Violeta Parra. Mais avec Bobin, nous remontons bien plus loin : à l’âge de nos sept ou huit ans, quand les oiseaux, les jardins, les arbres étaient nos professeurs et notre alphabet, avant que nos esprits ne soient peuplés de mots abstraits et sans vie. « J’écris dans l’espérance de découvrir quelques phrases, juste quelques phrases, seulement quelques phrases qui soient assez claires et honnêtes pour briller autant qu’une petite feuille d’arbre vernie par la lumière et brossée par le vent », écrit Bobin. L’honnêteté et la gentillesse semblent être les prémisses de sa démarche poétique. La transparence. Cela semble ingénu, naïf, mais en réalité c’est authentique. Son travail est ardu, tel celui d’un bijoutier ou d’un anachorète, dans la solitude de sa maison du Creusot, pour s’approcher des petits miracles du quotidien avec délicatesse et attention. Et c’était peut-être une forme de résistance à cette sur-intellectualisation du monde. Il affirme : « Pour ma part, je n’aime pas tellement qu’on m’explique : je préfère écouter avec mes yeux. Je crois que je déteste les intellectuels de bon goût, chics et raffinés. Ce que j’attends d’une conversation, c’est toujours de l’air ».

Lire Bobin, c’est comme respirer de nouveau l’air frais caché sous les mots. Pris dans l’activisme, dans l’hypercommunication, il me rappelle que la seule chose qui mérite notre attention et notre offrande c’est cette petite, fragile et mystérieuse vie, qui nous a été donnée. Pour écrire de cette façon, il faut être en état de grâce, et de veille. Ne pas vouloir posséder le monde avec frénésie, mais l’accueillir comme un enfant accueille la pluie à bras ouverts. Être le serviteur des choses et des êtres, et non le propriétaire de quoi que ce soit. Avec lui, nous réalisons que le plus urgent est de trouver les mots, les noms propres des choses et des êtres que nous aimons. Cela semble facile, mais Bobin déclare : « C’est attristant d’ignorer le nom de ce qu’on aime. Quand on le connaît, le nom vient se percher délicatement dans notre esprit comme un oiseau dans notre main ». J’entends en ce moment le chant d’une grive se cachant dans les branches. Bobin a dû partir en volant, vers plus d’air et davantage de lumière. Sa voix continuera d’être consolante dans ce monde plus encombré de lourdeurs que de grâces.

Article publié sur le journal el Mercurio, le jeudi 12 Janvier 2023. Traduit de l’espagnol par T.B

Vous aimerez aussi
A mon frère Argentin
La vie quotidienne, notre compagne la plus fidèle pour 2023 !
Le Chili rejette une constitution idéologique
L’imprévisibilité qui nous entoure