Amadou Dieng vient d’avoir 60 ans. Lorsqu’il commence à peindre, en 1979, il est salarié dans une imprimerie de Dakar, où il rectifie les couleurs à une époque où le offset n’existe pas. Sa situation est enviable dans un pays où le travail est rare. Lorsqu’il rentre chez lui, il rapporte des couleurs de l’imprimerie pour peindre. Ce sont ses premiers pas d’artiste autodidacte.
Amadou n’a jamais fréquenté l’école des beaux arts. Il s’est mis à peindre parce qu’il avait envie. Cette impulsion originelle demeure intacte 32 ans après. D’ailleurs, après 8 mois de travail, il décide de tout abandonner pour se consacrer à la peinture, presque comme une inspiration divine. La manière dont il raconte cet instant clé de sa vie est cocasse : alors qu’il vient de recevoir sa feuille de paye, en sortant du bureau du régisseur, une voix en lui murmure « démissionne » ! Ce n’est pas raisonnable, il vient de se marier et de cette union est née une petite fille qui n’a que 3 mois. Mais il est appelé et ne peut pas se dérober. Sur le champ il griffonne son acte de démission !
En Afrique, et tout particulièrement au Sénégal, on trouve une multitude d’artistes. Peintres, chanteurs, sculpteurs, poètes… hommes et femmes semblent mettre en forme la vie formidable qui éclate dans ce pays. Il est impossible de conceptualiser ce mouvement, il est comme un jaillissement spontané, primordiale du sang et de la chair. Peindre, nous dit Amadou, « c’est comme faire l’amour, la peinture nait de l’envie, et tu ne peux pas savoir ce qui en sortira. » Nous, occidentaux, à la recherche continuelle des causes, voudrions comprendre, théoriser ces traits de couleurs poser sur la toile. Mais, en face d’Amadou, cet exercice est vain. Son art « rend visible, il ne rend pas le visible », et ce qu’il rend visible, c’est la beauté, la vie, la musique même qui rythme les hanches des femmes et la force féline des lutteurs.
Amadou est un musulman, comme la plupart de ses compatriotes. L’Islam interdit toute représentation de l’art des arts qu’est la Création, dont Dieu seul est le maître. L’art, selon cette tradition, a créé des dieux, des idoles. Les hommes ont mis leur technique au service de cultes qui les ont détourné de l’adoration de celui qui est Invisible et Innommable. Depuis lors, l’art n’a qu’une mission, rappeler à l’homme Celui qui est à l’origine de tout. Le chemin pour réorienter le cœur vers l’au-delà ne peut être que le chemin de la beauté, signe de la Beauté suprême qu’est Dieu. Il y a quelque chose de cette mystique dans la peinture d’Amadou. Il ne cherche ni à parler de lui, de ses angoisses ou de ses joies, ni à parler de Dieu, de ce qu’on peut en comprendre, ni à parler d’un message à caractère moralisant, ni à parler de ce qu’il voit… (Il n’a jamais donné de titre à ses œuvres) mais sa peinture parle pourtant, elle parle au cœur tout simplement parce qu’elle est belle et géniale. Comme des notes de musique, Amadou dit faire « du jazz pictural », ses coups de pinceaux gorgés de peinture ont atterri ainsi sur la toile… on croirait au désordre, mais l’ensemble est plus grand, plus improbable, plus surprenant… comme la vie !
Amadou Dieng a été invité à exposer 13 de ses toiles à Paris, au Pavillon Cambon Capucines, dans le I° arrondissement, tout près de la Place de la Concorde. Le vernissage a eu lieu hier, 14 Novembre, dans ce lieu prestigieux. Mr Dieng sera l’ambassadeur du Sénégal, et plus généralement de l’Afrique. Cette soirée organisée au profit de « l’AMREF flying doctors », premier mouvement humanitaire africain, était sous le haut patronage de Mr Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal, et actuel secrétaire général de la Francophonie. A la suite du vernissage, les toiles d’Amadou restent exposées une semaine. Cet événement vient comme consacrer l’œuvre de ce grand artiste qui dépasse les frontières et magnifie le génie africain qui « révèle un peu de la fraiche beauté du monde » (Matisse)