Home > Mode, Photo > Une amitié « sur mesure » : le brodeur, la danseuse et le prêtre

Une amitié « sur mesure » : le brodeur, la danseuse et le prêtre

de Renee Kurz    10 juillet 2012

Fin janvier, je recevais un message de Suisse de mon ami Alexandre Morard, qui préparait son ordination sacerdotale au sein de la Fraternité Molokai de Points-Cœur. Dans un email rapide, il me partageait son rêve : une collaboration entre moi-même, créatrice de mode en free-lance, et Jean-François Lesage, créateur de broderies extrêmement réputé, pour la conception de ses vêtements liturgiques. En outre, Père Alexandre souhaitait que cette collaboration fasse jaillir une nouvelle forme de beauté au sein de la messe…

Une chasuble qui ne serait pas seulement décorative ou ordonnée à des règles, mais une chasuble qui console et qui conduise chacun à contempler le divin à travers sa beauté. Je me suis sentie si petite face à la grandeur d'une telle proposition que ma première réaction fut d’en rire : « Pas moyen, c’est impossible ; je n’ai aucune idée sur la façon de m’y prendre. » Vous pouvez voir d’après les photos que j’ai surmonté mes doutes de départ et que je m’en suis remise à la vérité que « rien n’est impossible à Dieu…»


Renee Kurz contemplant pour la première fois son dessin brodé sur la chasuble

À travers cette expérience, j’ai été frappée de voir à quel point nous sommes prompts à nous mettre des bâtons dans les roues, ou plutôt, à en mettre à Dieu, et à dire « non » à quelque chose de bon. Ce refus découle souvent de sentiments de peur, ou d’indignité, ou d’incapacité. C’était exactement mon cas et c'est seulement après coup que j’ai avoué à Père Alexandre à quel point j’avais peur de son rêve ; que j’avais failli lui dire : « Non, il va falloir que tu trouves une autre solution. » Jamais auparavant je n’avais créé de patron de chasuble ; jamais auparavant je n’avais dessiné de modèles destinés à être brodés ; jamais auparavant je n’avais ainsi collaboré avec quelqu’un… J’étais dans une position de totale pauvreté face à ce projet. Mais aux yeux de Dieu, c’était la place parfaite à avoir pour permettre à Son Esprit créateur de se mettre en mouvement. Alors j’ai simplement fait un pas en avant dans la confiance pour réaliser cette beauté.

J’ai repris contact avec l’équipe de Jean-François Lesage qui avait participé à la création d’un costume de danse pour moi un an plus tôt, lorsque j’étais en mission pour Points-Cœur à Chennai, en Inde – j’avais alors donné un spectacle de danse dans le cadre de cette mission. En visitant fréquemment leur atelier, j’en vins à connaître par expérience les travaux de la Maison de Broderie JFL. J’étais fascinée par la variété des projets que j’observais sur les cadres de bois bas qui tendaient le tissu, comme la toile d’un peintre, entre les mains et les yeux d’artisans indiens hautement qualifiés. Je tombai amoureuse de cette beauté et de la dignité d’un art aussi raffiné, et rêvai de rester engagée d’une façon ou d’une autre. Dire « oui » à la création de cette chasuble, ce fut une opportunité de ranimer l’amitié et d’aller plus loin dans le désir de Points-Cœur d’engager un dialogue avec les artistes pour faire jaillir de nouveaux chemins de beauté dans la liturgie.

Ce projet commença par de nombreuses questions… Avant tout, « Comment ? ». Comment incarner le charisme de Points-Cœur dans le design de la chasuble ? Comment apporter quelque chose de nouveau à la liturgie sans trop m’écarter de la tradition ? Comment révéler la compassion à travers les couleurs et les formes de la conception ? Comment engager plus l’Œuvre dans la liturgie à travers les symboles et la beauté de la chasuble ? Et ensuite… De quelle forme et de quelle taille faire le patron ? Quels détails sont importants dans la confection ? Quels tissus utiliser ? Je fis beaucoup de recherches et prêtai attentivement l’oreille à l’inspiration de Père Alexandre, à ses désirs. Quelle tâche ! C’était, en vérité, une sainte aventure.


Au premier plan, Père Alexandre Morard portant la chasuble lors de sa première messe

Avec toutes ces pensées à l’esprit et en prenant le temps de contempler la tâche, je posai mes mains sur le papier et, avec un crayon de calligraphie encore rempli d'une encre indigo d'Inde, je commençai à esquisser des idées : un mouvement de spirales et des lignes courbes naquirent, révélant quelque chose d'une étreinte autour du Christ… une danse de l'amitié et de l'amour de la Trinité mariée à la Croix ; des épines perçantes et des ailes d'ombre ; un jaillissement de feu de Notre-Dame, épouse de l'Esprit Saint, debout au pied de la croix. Je cherchai à orner le dos avec l'Agneau Pascal au centre d'une spirale de vie et de mort… L'Agneau qui unit notre mortalité à Sa divinité. J'y inclus le lys pur et étincelant et le bâton du bon berger ; un tourbillon mystique de création qui nous fait tous tournoyer… le Mystère de la messe, lorsque le Christ descend à notre rencontre… un Mystère planté dans le cœur du prêtre qui sert de canal à la grâce et à l'amour de Dieu. Une doublure de riche soie bleue crée la présence discrète de la Vierge Marie qui va partout là où va le Christ et participe à chaque étape ; un océan bleu de sa compassion et de son étreinte médiatrice entre le prêtre et le Christ.

Ma simple esquisse fut affinée et agrandie par les designers de JFL ; abandonnée entre leurs mains elle devint somptueuse, ce que je ne doutais pas qu'ils feraient. Le contexte de notre collaboration exigeait cette confiance puisque je communiquais seulement par mail avec leur bureau à Chennai. Une si grande partie de ce projet était hors de mon contrôle… Je ne pouvais pas visiter personnellement l'atelier et émettre des exigences sur le choix des perles, des couleurs et des points. Ni Père Alexandre ni moi ne pouvions imaginer comment l'équipe Lesage apporterait tant de splendeur et d'éclat à mes simples esquisses. Mais j'eus une vision et eus confiance que par le Saint Esprit, il y aurait une communion magnifique. Et il en fut ainsi ! Lorsque je déroulai l'œuvre achevée, je m'agenouillai, en admiration… en admiration devant Lui. Le seul qui répondit à toutes mes questions et récompensa ma confiance par une telle beauté !

Dans le design de la chasuble lui-même j'étais fascinée par l'élégance et la simplicité… par l'intégrité de la ligne et le mouvement de la forme. Je me suis sentie amenée à créer un design qui parle de la liberté et de la dignité de l'homme… une dignité vécue et respectée dans toutes les mains qui percèrent la soie avec des aiguilles pour fabriquer ce vêtement splendide et tour à tour révélèrent la dignité de celui qui se tient debout devant le prêtre à la messe. Je fis la grande expérience de remettre encore davantage ma personne dans le mystère de création… dans la communion de l'amitié. Ce fut un effort d'embrasser tous les moments de « je ne sais pas comment » et de me risquer à découvrir mon propre chemin. Quel cadeau d'être une servante du Seigneur de façon très concrète, mêlant mes points de prières à celles des prêtres… participant au sacrifice et à l’offrande de notre Seigneur, tout en jetant sur Lui un habit de splendeur.


Détail de la chasuble

Je passai le samedi précédant la Solennité du Saint-Sacrement à achever le travail et, les couches de soie et de perles drapées en travers de mes genoux, je cousis à la main le périmètre de la chasuble. Tandis que le poids de la chasuble reposait sur mes genoux, je fus entraînée dans la nature irrépressible de tout ce à quoi j’étais en train de participer… de tout ce qui est au-delà de moi-même, ayant son existence dans le royaume surnaturel auquel, à travers un tel ouvrage, je suis autorisée à collaborer. Je sentis un mouvement en moi qui m’unit à toutes les mains et à tous les yeux qui touchèrent à cette œuvre : les yeux aiguisés de M. Lesage, qui savent voir la beauté avec le plus grand respect, les assistants qui tracèrent soigneusement mes traits sur la soie, la sensibilité à la couleur et à la matière de ceux qui choisirent chaque perle et chaque fil, les mains assurées des artisans qui s’absorbèrent dans l’acte contemplatif d’assujettir chaque perle à sa juste place, l’attention de ceux qui  emballèrent et m’envoyèrent à travers le monde ce précieux ouvrage… Chaque détail assuré et pris en compte avec grand soin et amour.

Je suis profondément émue par le fait que cette œuvre ne ressemble à aucune autre dont j’ai participé à la création, parce qu’elle a maintenant été bénie et qu’elle a reçu une mission qui va bien au-delà de la fonctionnalité ou d’une esthétique plaisante. Cette chasuble porte une histoire singulière commune à aucune autre. Je me sens honorée d’avoir pris part à cette histoire et d’initier un effort pour remettre la création de vêtements liturgiques entre les mains d’artisans qualifiés. Mon espoir est que cela soit seulement le début de ce qui deviendra un grand mouvement d’évangélisation de la vérité à travers la beauté et encouragera beaucoup d’autres à dire « oui » au désir de Dieu de faire de nous les designers de Sa compassion !
 

Site de Jean-François Lesage : jeanfrancoislesage.com
Renee habite à Philadelphie et prend des commandes privées de toutes sortes. Pour découvrir son travail, vous pouvez vous rendre sur son site : www.reneekurz.com

 

 

Vous aimerez aussi
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle »
« Les huit montagnes », histoire d’une amitié
Le sourire de Notre Dame de Compassion
Repose en paix, Jacek Luzar Gulla

1 Commentaire