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L’extension de l’euthanasie aux mineurs, symptôme d’une société malade

de Maarten Bosch  

Derrière la proposition de loi d'élargir l'euthanasie à des mineurs et à des personnes démentes en Belgique, il semble y avoir une vision qui considère le handicap comme un scandale et un fardeau pour la société qu'il vaudrait mieux supprimer. Une telle vision n'est-elle pas une discrimination grossière à l'égard de chaque personne présentant un handicap, discrimination encore plus scandaleuse que le handicap lui-même ? On réduit en effet la personne à son handicap (c'est-à-dire à ce qu'elle ne peut pas ou plus faire), et on préfère la mort à la souffrance, croyant pouvoir rassurer ainsi tant la personne que son entourage. Sommes-nous encore attentifs à la vision personnelle des individus atteints d'un handicap sur le sens de leur vie, sur ce qui est le bonheur véritable pour elles ?


© Points-Cœur

Voici, à ce propos, mon propre témoignage.
Quand j'ai atteint l'âge d'un an, on a diagnostiqué que mes oreilles ne fonctionnaient pas de façon normale, et cela depuis ma naissance : j'avais un syndrome assez rare, j'étais sourd de naissance, avec une perte auditive bilatérale de plus de 90 dB. Je n'entendais rien et donc je ne pouvais pas non plus apprendre à parler de façon spontanée. Le diagnostic médical était sans doute dur pour mes parents.
Je me suis alors efforcé de donner le meilleur de moi-même. Donner le meilleur de moi-même pour apprendre à lire sur les lèvres, donner le meilleur de moi-même pour apprendre à parler, donner le meilleur de moi-même pour aller à l'école normale, pour pouvoir faire des études supérieures. J'ai appris à lutter pour être intégré dans la société. Ce don du meilleur de moi-même m'a conduit là où je me trouve actuellement : heureux, épanoui, indépendant, avec un bon travail. La mentalité de la société m'avait influencé : on est obligé de montrer de quoi on est capable, on est obligé de se rendre utile à la société. Beaucoup de gens s'étonnaient au sens positif de ce j'avais été capable de faire, de ce que j'avais atteint, de ce j'étais devenu couramment bilingue. On était plein d'éloges à mon égard (sauf certains qui avaient du mal avec le fait que j'étais différent d'eux ou que j'avais du succès, qui ne pouvaient pas me supporter ou qui me donnaient leur avis : "Ta place est dans une école des sourds, pas ici").
Bref, le succès et les éloges semblaient être des signes précurseurs du bonheur véritable. J'avais réussi à réduire le plus possible les effets négatifs de mon handicap, à cacher le plus possible mes défauts à l'égard des autres. Je n'étais plus si "dérangeant" pour les autres.
Toutefois, les dernières années j'avais appris plutôt autre chose par rapport à ce qui est le bonheur véritable pour moi, et je trouve important d'en témoigner en tant que personne avec un handicap. Ce qui me rend vraiment heureux, ce n'est pas tant ce dont je suis capable ou ce que j'ai atteint (c'est plutôt positif pour la société, pas forcément pour moi-même), mais plutôt le fait d'être en relation avec les autres.
Je suis convaincu que l'homme est au fond un être relationnel et social : c'est plutôt à travers ses relations avec les autres qu'il épanouit pleinement son humanité, pas tant à travers ses capacités seulement. Pour quelqu'un qui n'entend pas, cela est d'ailleurs une épreuve plus lourde parce que l'ouïe est l'organe par excellence pour la vie relationnelle. Ne pas pouvoir entendre peut conduire à l'isolement. Je reste moi-même très dépendant de la lecture labiale pour mieux comprendre ; non, je ne pourrai jamais cacher que je suis sourd. Mais cela est-il nécessaire ?
Dans une relation, on apprend à donner et à recevoir. Se donner soi-même procure beaucoup de satisfaction, et apprendre à recevoir suscite de la joie et de la reconnaissance. Reconnaissance pour la vie que j'ai pu recevoir, reconnaissance pour la sollicitude que j'ai pu éprouver de la part de mon entourage, reconnaissance pour les opportunités que j'ai reçues. Je ressens en moi également un désir fort de me donner moi-même aux autres et j'y vois l'épanouissement de ma personne, de mon humanité.
Cependant, il y a de très nombreuses personnes dans notre société – avec un handicap, à un âge avancé, dans une situation de pauvreté quelconque – qui souffrent de solitude et d'isolement. Cet isolement est souvent une souffrance beaucoup plus lourde que la souffrance physique ou matérielle à laquelle elles sont confrontées. Mais combien de fois la société les regarde en termes de ce dont elles ne sont pas (ou plus) capables, malgré le fait qu'elles sont tout d'abord assoiffées de relation, d'une présence : de la compréhension, de la compassion, du partage, et aussi des opportunités pour se donner elles-mêmes…
Pire encore est le fait de penser qu'une personne qui souffre ne peut pas être heureuse. La souffrance est un scandale, certes, mais cela veut-il dire que la souffrance empêche de façon nécessaire d'être heureux dans la vie ? Un jour, je suis entré en contact avec quelqu'un sur un forum Internet qui proposait l'avortement et l'euthanasie à des personnes avec un handicap, « parce qu'elles ne peuvent pas être heureuses à cause de leur handicap ». Cette personne ne savait pas que j'étais sourd ; je lui ai alors précisé mon handicap de naissance, tout en précisant combien j'étais heureux. Le fait d'avoir un handicap et le fait d'être malheureux ne sont pas des synonymes. Est-ce que nous allons vers une société où la personne avec un handicap est considérée, par nature, comme un malheureux et qui devrait plutôt être avortée ou euthanasiée ? On oublie qu'il est intrinsèque à chaque personne humaine d'expérimenter des limites ; on ne peut pas nier que la souffrance est inévitable pour chaque personne humaine. La question la plus profonde par rapport à la souffrance n'est-elle pas de rechercher la meilleure façon d'affronter la souffrance, plutôt que de chercher (en vain) à l'éliminer ? La souffrance n'a aucun sens en elle-même, mais à travers la souffrance, des opportunités sont créées. Ne nous faut-il pas considérer plutôt ces opportunités-là ?
Une société qui exerce une pression énorme sur la personne en exigeant l'efficacité et l'accomplissement individuel (même au détriment de l'autre), est une société malade et angoissée qui ne voit plus de place pour les personnes plus fragiles. La faiblesse et la fragilité sont considérées comme un échec et non comme une opportunité. Une opportunité de relation, une opportunité de rencontre, une opportunité de don de soi-même à l'autre. Autrement dit : une opportunité de croître en humanité. Est-ce qu'on s'accomplit soi-même au détriment de l'autre, ou justement à travers la relation avec l'autre ? Est-ce qu'on est prêt à vivre ensemble, à être solidaire avec l'autre ? Est-ce qu'on veut avoir le courage de réagir contre une mentalité individualiste, de ne plus dépendre d'une telle pensée ? Tenter de ne pas se laisser conduire par l'argent ou par l'intérêt personnel, mais par ce qui me rend pleinement "humain" ? Est-ce qu'on a le courage pour décider une telle révolution, personnellement et ensemble, et cela dans tous les domaines de la vie (économie, politique, sciences,…) ?
J'ai un rêve… Je rêve d'une société qui a compris qu'une culture de la fragilité n'est pas un obstacle pour son développement, mais justement une opportunité. Je rêve d'une société où la personne plus fragile a sa place sans discrimination ; où l'enfant à naître, la personne avec un handicap, le vieillard, l'homme plus faible et souffrant sont considérés dans leur condition humaine, dans leur dimension relationnelle. Je rêve d'une société qui – enfin – comprend que la présence du plus faible montre justement de quelle manière on peut l'aimer, que sa présence crée justement des opportunités de croître en humanité. Je rêve d'une société qui accueille toute personne humaine avec ses fragilités et qui les fait vivre ensemble.

 

Article paru sur le site Euthanasie Stop

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