Le 5 septembre 1914, Péguy mourait près de Meaux. S'il est mort sur le champ de bataille, c'est toute sa vie qu'il a combattu contre tout ce qui défigure l'homme et son âme, par amour de la liberté et de la vérité.
« Halluciné d’amour,
Cœur fou, cœur sage,
Guériras-tu un jour
de cette rage » [1]
5 septembre 1914. Un mois après la déclaration de la guerre, près de Meaux, une brigade marocaine tente vainement de s’emparer d’une colline allemande. Le 271e régiment d’infanterie est envoyé en soutien. Mission sacrifice. Un lieutenant se lève pour exhorter ses troupes. Il court d’un homme à l’autre. « Tirez, tirez nom de Dieu ! » Il tombe. Charles Péguy est mort.
Loin de la Marne… Loin de la guerre… Je flâne à Paris, au hasard des rues qui tombent du Panthéon. « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », assure son fronton. Ce n’est pourtant pas là que je le trouverai. Sans me soucier du siècle écoulé, je crois l’apercevoir, déboulant de sa librairie, au n°8 de la rue de la Sorbonne. Petit homme. Barbu dans un costume sombre. Les sourcils froncés, comme pliants sous le poids des humeurs. A tous les coups, il rumine quelques déceptions à l’encontre de ce traître de Jaurès. Il le croyait socialiste, il n’était que politique. La peste soit de ces valets du compromis ! Vive la mystique ! Ou bien est-ce contre ses prétendus amis qu’il rage, ceux qui ne veulent plus verser un centime pour la survie des Cahiers de la quinzaine ? A moins qu’il ne vienne d’apprendre, par quelque mystère, que cette guerre que l’on dit imminente, sera celle qui le fera mourir. Une mort au front et en plein front, comme il se doit. Au champ d’honneur et debout, comme il a vécu. Il le sait et l’écrit : « Celui qui est désigné doit marcher. Celui qui est appelé doit répondre. C’est la loi, c’est la règle, c’est le niveau des vies héroïques »[2].
Oui, Péguy sait bien ce que font à la chair de l’homme, les balles crachées du canon. Mais il sait encore mieux ce que fait le déshonneur à l’âme. Il est soldat et mène son combat depuis le lycée d’Orléans et l’Ecole normale supérieure. Depuis l’affaire Dreyfus, où il voulu, avec son ami Bernard-Lazare, sauver non pas l’honneur bafoué du capitaine, mais celui, moribond, de la France. Il conduit sa charge depuis les bancs socialistes et contre les bancs socialistes, depuis les bancs chrétiens et contre les bancs chrétiens. « Aucun parti, de droite ou de gauche, ne saurait l’annexer, car s’il n’arrête pas de prendre parti, il ne se situe pas au niveau des partis, écrit Bastaire, son meilleur biographe. La pétrification partisane, commode pour les pensées médiocres et les actions aveugles, relève de cette politique qu’il dénonce. Pour lui, le monde est chaque matin à inventer. Face à l’inattendu, l’homme vivant est celui qui, porté par l’espérance, ne cesse d’engendrer du nouveau. C’est c