A propos de l’exposition du crucifix dans les écoles italiennes
Le 18 mars dernier, la Haute Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH, sise à Strasbourg) cassa de façon surprenante un verdict émis par sa Seconde Chambre un peu plus d’un an auparavant. Cette dernière avait en effet fait droit en novembre 2009 à la requête d’une plaignante, Soile Lautsi, condamnant l’Italie à des dommages et intérêts, et mettant en cause du même coup, pour les quarante sept pays de l’Union, l’exposition de tout symbole religieux dans leurs salles de classe.
Madame Lautsi, au terme de diverses procédures entamées en 2002, toutes rejetées par les instances italiennes successivement saisies, avait en effet déposé un recours auprès de la Cour au titre d’une double violation de ses droits fondamentaux et de ceux de ses enfants : son droit à les éduquer selon ses convictions philosophiques, et leur droit à exercer librement leur religion et à ne pas être discriminés à cause d’elle (ou plutôt leur non-religion en l’occurrence)[1]. Les termes de la requête (à lire ici, p. 7 et pp. 12s.) mettent en avant notamment le tort subi par les deux enfants, objets du fait de l’exposition du crucifix d’une pression éducative rendue plus odieuse encore par leur vulnérabilité, et soumis ainsi à une perturbation émotionnelle. Un argument de compassion, donc.
Au-delà de la bataille juridique passionnante à laquelle donna lieu le premier verdict[2], qui vit une dizaine de pays européens se ranger aux côtés de l’Italie et un avocat juif en kippa se présenter à la Cour pour huit d’entre eux « au nom des symboles religieux en tant que tels »[3], ce même texte pose une question pertinente quant aux véritables protagonistes de tout cela : les élèves.
En l’occurrence, « la Cour ne voit pas comment l'exposition, dans des salles de classe des écoles publiques, d'un symbole qu'il est raisonnable d'associer au catholicisme (la religion majoritaire en Italie) pourrait servir le pluralisme éducatif qui est essentiel à la préservation d'une “société démocratique” telle que la conçoit la Convention[4] ». Dans notre société où même les rames de métro sont équipées de téléviseurs, il est intéressant de se demander si le service qu’un Etat doit assumer dans la formation des consciences de ses enfants en vue de la démocratie peut vraiment se baser sur un vide. Un vide visuel. Un mur blanc.
N’est-ce pas plutôt œuvre de véritable compassion que de nourrir le sens religieux de jeunes consciences ? Les questions qu’un symbole pose par sa simple présence sont de celles dont on ne saurait faire l’économie bien longtemps sans risque de les voir revenir, au moment de la souffrance ou au soir de la vie, avec une violence et une urgence incontrôlables. Il suffit pour s’en convaincre de visiter nos hôpitaux, nos maisons de retraite, nos asiles de plus en plus pleins. Alors, pourquoi pas un peu de compassion visuelle ?
Photo Khoyobegenn
[2] Bataille fort bien synthétisée dans l’arrêté de la Haute Cour, qui inclut entre autres un remarquable compendium de la définition de laïcité pour l’état italien – un effet bénéfique de l’affaire est d’avoir rendu disponible en français, en anglais et en allemand l’original italien.
[3] Interview de Nicolo Lettieri, co-agent du Gouvernement Italien en l’affaire, dans le quotidien italien „L’Avvenire“, 20 mars 2011.