de Jean-Marie Porté 1 juin 2011
Rencontre avec Sven von Storch, créateur du blog « Die Freie Welt »
Sven von Storch, même le Vatican a convoqué récemment – avec un succès inattendu – une rencontre internationale des bloggeurs, dont le Cardinal Ravasi disait dimanche qu’il était « impossible d’ignorer une réalité qui assume toujours plus les caractéristiques de ‘mouvement culturel’, capable d’intercepter et d’interagir avec un public aux chiffres incontrôlables » [1]. Vous-même, fondateur d’un blog politique en Allemagne (FreieWelt.net, plutôt dans la frange conservatrice), avez été invité récemment par l’ambassadeur des Etats-Unis à un déjeuner réunissant les dix bloggeurs les plus influents du pays. Pouvez-vous nous décrire cette rencontre ?
Femme blogger avec sa servante d'après Veermer CC BY Mike Licht, NotionsCapital.com
C’était plutôt surprenant d’être assis dans la fameuse salle ovale de l’Ambassade des Etats-Unis, face à la Porte de Brandebourg, en compagnie d’un activiste d’extrême-gauche en costume certes, mais néanmoins équipé d’une crête de punk rouge vif ; d’une femme turque dont le voile finement brodé n’attirait pas moins l’attention ; d’un spécialiste des théâtres d’opération de l’armée allemande à l’étranger ; d’un reporter reconnu ; ou encore d’une stakhanoviste de la mode connectée à l’extrême. Nous étions quatre sur les dix à écrire dans le domaine politique, disons grosso modo un bien à gauche, un conservateur, un libéral et moi-même. L’ambassadeur voulait se faire une idée du paysage, et chacun a été invité à décrire son activité et donner ses impressions.
Votre jugement global ?
Je dois dire d’abord que j’ai été agréablement surpris par le franc-parler et la liberté des conversations, qui contrastait plutôt avec ce que j’ai l’habitude de vivre dans les milieux politiques allemands. Peut-être cela tient-il à la culture américaine ; mais aussi sûrement à l’essence du blog, qui ne s’embarrasse pas de conventions.
D’autre part, pour parler des impressions, un certain pessimisme régnait. Vous savez que la particularité des bloggeurs tient à ce qu’ils sont en contact avec les gens, respirent l’air du temps. Eh bien, autant par exemple Sasha Lobo, l’homme à la crête rouge, que la jeune turque témoignaient d’un fossé croissant et selon eux irrattrapable entre leur communauté et le discours des médias ou des politiciens.
Qu’entendez-vous par communauté ? N’est-on pas ici dans un contexte complètement virtuel ?
Détrompez-vous ! Tout l’intérêt du blog, et selon moi la raison de sa soudaine respectabilité, tient à ceci : le bloggeur est la voix d’un peuple, représente une communauté. Cette dernière se reconnaît d’autant mieux en lui qu’il est plus sincère et fidèle à lui-même. S’il accepte le compromis, rentre dans les conventions, ses gens se désintéressent de lui, et il n’est plus personne.
Si vous voulez, on pourrait décrire le phénomène du blog en trois mots. D’une part, paradoxalement, relation personnelle. Le blog se forme en effet dans un dialogue permanent avec ses adhérents ou adversaires, qui permet d’affiner la pensée. Ensuite, opinion subjective. C’est exactement pour cela que les gens lisent un blog et y adhèrent, parce qu’ils reconnaissent quelqu'un qui a le courage de juger, auquel on peut s’identifier ou qu’on peut réfuter. Enfin, liberté. Le bloggeur est selon moi un brise-glace, un innovateur, est à l’avant-garde de la formation de l’opinion, justement parce qu'il dit ce qu’il pense. Et en cela, il promeut la liberté de ses lecteurs, amenés eux aussi à prendre position.
Ce qui est amusant, c’est que justement le manque de sérieux ou la tentation de la manipulation qui pourraient être un point faible de la culture du blog ne tiennent pas, parce qu'ils ne créent pas de communauté réelle.
Vous savez que nos lecteurs se rencontrent tout à fait indépendamment de nous, se donnent des tuyaux, mangent ensemble, s’invitent à des symposiums ? On assiste à la formation d’une communauté de chair et d’os.
Bref, vous êtes optimiste ?
Oui, je crois qu’il y a là un nouveau domaine de liberté qui s’ouvre. Je crois que c’est un pas extrêmement positif, un plus d’humanité.
Sven von Storch, merci !