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Warren Buffett, l’investisseur qui passe à travers les crises

de Louis Thierry d’Argenlieu           2 juin 2011

Warren Buffett, l'un des investisseurs les plus accomplis dans le monde, étonne par son charisme tous les financiers. Il passe à travers la crise financière de 2008 en investissant dans Goldman & Sachs sept jours après la fameuse chute de Lehman Brothers. Quelle est donc sa méthode ?

Photo d'un site internet

16 septembre 2008 : je suis en train d’essayer de travailler à mon bureau dans Manhattan. Impossible car l’atmosphère est électrique. Mon bureau est en face de Lehman Brothers qui vient de faire faillite. Les caméras de télévision, tous les journalistes sont là. Il règne une ambiance de fin du monde. Comment une institution aussi solide a-t-elle pu en arriver-là ? Tout à coup, ce qui était solide et sûr ne l’est plus. On ne peut plus s’appuyer sur rien. Où confier son argent ? Quel critère utiliser ? Trois ans plus tard, après avoir quitté Manhattan, il me semble avoir trouvé le début d’une réponse à Points-Cœur.

Une faillite injuste ?

Ce qui est très marquant dans cette crise, tout comme dans les précédentes, c’est que très mystérieusement ce sont les banques qui sont engagées dans les activités les moins risquées qui tombent. La minuscule activité d’AIG qui l’a fait tomber avait une chance sur un million de faire défaut selon certains calculs. Le fonds LTCM, qui a fait faillite en 1998, menaçant le monde d’une crise financière mondiale, était un fonds d’arbitrage avec très très peu de risques (hors emprunts). Parmi ses gérants, deux prix Nobel et des mathématiciens de très hauts niveaux. La faute à pas de chance ? Nous serions soumis à une justice aveugle ? Les modèles de AIG sont basés sur « des principes simples en vue de les rendre particulièrement robustes », et sont réalisés par Gary Gorton, un grand professeur de la prestigieuse Yale School of Management. Éloigné de la réalité ? Certainement pas ! Il a disposé de toutes les bases de données les plus complètes, les plus étendues et actuelles possibles. C’est sans doute un des modèles les plus absolument, parfaitement et rigoureusement exacts et précis. Y a-t-il une méthode meilleure que la sienne ? Comment cela se fait-il que ce soit justement celle qui échoue ? Pourquoi lui, Gorton, lui qui a tant travaillé à son modèle, lui qui a passé tant d’heures à méticuleusement le perfectionner, est-il soudain confronté à une telle catastrophe ? Ne vaut-il pas mieux que tous ces médiocres gérants de fonds ? La vie est-elle donc injuste et arbitraire ? L’économiste Burton Malkiel disait qu’un singe, choisissant les yeux bandés des actions, donnerait exactement les mêmes résultats qu’en suivant les conseils minutieux des conseillers financiers. « Il ne semble pas y avoir de raison fondamentale » se lamentait M. Gorton avec ses étudiants de Yale en octobre de 2008 face à l’échec de son modèle.

Warren Buffett dans la tourmente

Sept jours plus tard, le 23 septembre 2008, Warren Buffett, un investisseur américain, décide d’investir au beau milieu de la crise dans la banque Goldman Sachs, elle-même atteinte par la crise de confiance, la sauvant du désastre. Warren Buffett, il est tombé dans l’investissement quand il était tout petit. Parti de rien, il est maintenant l’un des hommes les plus riches au monde. Surnommé le sage, l’oracle ou le prophète d’Omaha, sa réussite est déroutante. Il habite au milieu de nulle part, dans le Nebraska, loin de Manhattan, et la petite quinzaine de ses associés ne sont pas d’abord de grands professeurs d’université ou des mathématiciens de génie mais plutôt des gens qui partagent la même passion. Son grand ami et associé principal Charlie Munger travaillait dans l’épicerie de son grand-père. Pas de méthode chez Warren Buffett, il n’a pas trouvé la pierre philosophale. Comme un artiste à qui l’on demanderait sa « méthode », sa « philosophie », ses « principes », il montre avant tout  son œuvre : Berkshire Hathaway, son fonds d’investissement, sa « chapelle Sixtine » selon son expression.

Un contemplatif

A la base de ses décisions d’investissements, pas de méthode mais une contemplation. Chaque jour, ce travailleur acharné lit les journaux économiques, s’informe à droite à gauche, se passionne pour tels ou tels sujets. Et parfois, il y a cet éclair, ce coup de téléphone, cette rencontre et en quinze minutes cette affaire qui peut être faite. C’est une des très grandes différences chez lui avec AIG. Il ne prépare pas lentement et besogneusement une méthode globale et compréhensive pour savoir la décision parfaite à prendre, en l’appliquant de manière unilatérale à la réalité. Il contemple, il travaille, il cherche, en attendant d’être mis en mouvement par une rencontre, par une étincelle. Sa mise en œuvre peut être plus longue mais le point de départ, lui, est extérieur, parfois instantané. Lui aussi parle de certitude, il attend d’être certain avant d’investir. Mais ici, il ne s’agit pas d’une certitude purement mathématique, purement rationnelle mais une certitude raisonnable, une certitude du cœur qui lui vient d’une écoute patiente de la réalité. Il affirme : « si tu ne connais pas la joaillerie, connais le joaillier ». Et cela le renvoie à un engagement qui n’est pas sans refléter une certaine transcendance : « On investit comme on se marie à l’Eglise Catholique : pour la vie ». De fait, pas d’aller-retour, de vente-rachat rapides sur ses actions, c’est à long terme qu’il achète. Jamais ou presque jamais d’emprunt, il dispose d’une importante trésorerie d’avance, inutile, qui ne produit rien, ce qui lui permet cette contemplation nécessaire à ses investissements.

Un maître

Il a quelque chose du père abbé pour les entreprises dans lesquelles il investit, dans la mesure où il assume une certaine paternité. Il valorise, non pas mécaniquement mais avec une sorte de tendresse, ses managers dans sa lettre aux actionnaires annuelle. Par exemple, Susan Jacques, la PDG de Borsheim’s avec qui il travaille depuis vingt-cinq ans et qu’il a fait monter jusqu’à la présidence. Dans sa lettre de 2007, il rappelle brièvement son arrivée come vendeuse à quatre dollars de l’heure puis comment il lui a donné sa chance. Et de la féliciter pour les +15% d’augmentation des ventes de bijoux dans un contexte annuel difficile. « L’intelligence, l’amour du métier et de ses associés sont plus parfaite que n’importe quel MBA ». Il est assez intéressant comme le relève sa biographe, qu’il aie choisi pour titre dans sa version originale  : « The Snowball : Warren Buffet & the Business of Life » et non pas « Warren Buffett, the
Manager ». Snowball, c’est à dire, l’effet boule de neige. Une illustration de la parabole biblique de la graine de moutarde devenant l’arbre sous lequel les oiseaux peuvent nicher ?

Une attitude plus qu’une technique

Pourquoi Warren Buffett remplit-il le stade d’Omaha lors de sa fête annuelle des actionnaires ? Que viennent chercher tous ces gens ? Pour quoi courent-ils ? Pour une technique ? Pour un enseignement ? Pour une vision économique ? Peut-être. C’est sans doute parce qu’à travers son humanité, il témoigne d’une attitude différente. Par exemple, ses lettres aux actionnaires sont remplies des petits conseils pratiques pour venir à Omaha (Passez par Kansas City plutôt que par Omaha), à quelle steakhouse aller (Gorat), allant jusqu’à vendre lui-même personnellement les diamants de Borsheim’s à la réunion annuelle. Sa sérénité, son humour, ses amitiés en sont autant de signes.
Sa réussite économique n’est en rien un absolu, et sera peut-être emportée par une des nombreuses erreurs de décision dont il n’hésite pas à s’accuser ou par une crise quelconque.
C’est quelqu’un qui a tout mis en œuvre pour répondre à ce don (c’est-à-dire à ce désir) qu’il avait d’investir, à ce pack de chewing gums Juicy Fruit qu’à six ans il refuse de vendre séparément pour ne pas prendre de risques irraisonnables, à cet achat de ces 6 actions Cities Services Companies à 11 ans avec son père, toutes ces rencontres. Sa rencontre notamment avec son maître, l’investisseur Benjamin Graham qu’il a suivi partout, en étudiant à Columbia pour lui et allant jusqu’à lui proposer de travailler gratuitement pour lui.

Il ne faut s’y tromper, le plus important, n’est peut-être pas que son train de vie demeure modeste, que 99% de sa fortune soit investie chez Berkshire sans qu’il puisse en profiter ni aucun de ses héritiers, ni même qu’il manifeste le désir de la léguer intégralement. Ce ne sont que les signes d’une attitude plus fondamentale : son agir n’est pas tant éclairé par un système prétendant épuiser la réalité que dans une certaine contemplation qui lui permet de répéter dans sa lettre aux actionnaires « qu’il est chanceux par-delà ses rêves ».
 

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