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Mission STS-135: le dernier vol de la NASA ?

de Paul Anel        8 juillet 2011

Ce 8 juillet, un équipage de quatre astronautes américains embarqueront à bord de la navette Atlantis (vous savez, ce vaisseau noir et blanc, aux allures d'orc) en direction de l'International Space Station (ISS). Cette mission sera la cent trente-cinquième depuis le lancement du Shuttle Program aux Etats-Unis à la fin des années 60. Ce sera aussi la dernière.

STS-135 Official CrewNASA

Cette fin du Shuttle Program, dont les missions ont consisté notamment à construire l'ISSS pièce par pièce et à ravitailler son équipage, était programmée depuis longtemps. Elle devait être remplacée progressivement par un nouveau programme, le "Constellation Program", dont la fonction aurait été de développer de nouveaux vaisseaux (Ares I et Ares V) afin non seulement de prendre le relais du Shuttle, mais aussi de permettre à l'homme de revenir sur la lune en 2019 – pour en poursuivre l'exploration et y établir une base de recherche – puis d'atteindre la planète Mars dans le courant des années 2020. "Aurait été", car l'administration Obama a pris en octobre 2010 la décision d'annuler ce programme, jetant la consternation dans la communauté scientifique américaine et rendant plus qu'incertain l'avenir de la NASA.

Obama a invoqué pour cela deux raisons : l'une économique, et l'autre concernant l'utilité de la mission qui devait être celle du Constellation Program. La raison économique qui est invoquée pour cette coupe budgétaire est dure à avaler. En effet, si le Shuttle Program revient cher au gouvernement fédéral (174 milliards de dollars depuis son lancement en 1969 jusqu'en 2011), c'est un chiffre qu'il faut relativiser. Pour comparaison le budget de la défense américaine est de 689 milliards de dollars pour l'année 2010 uniquement, et chaque mois de présence de l'armée américaine en Afghanistan représente à lui seul une dépense estimée à 3,6 milliards de dollars, soit dix fois ce que coûte le Shuttle Program dans le même temps. Par ailleurs, Obama a mis en question dans son discours la nécessité pour l'homme de revenir sur la lune "puisque nous y sommes déjà allés", et proposé à la NASA un nouvel objectif : marcher sur Mars à l'horizon 2030. Neil Armstrong lui-même a pris la parole pour dénoncer l'absurdité de cette politique. D'une part, parce qu'au-delà de l'exploit, l'objectif n'était pas seulement de "marcher sur la lune" mais de la connaître, de l'étudier et que, de ce point de vue, il reste encore beaucoup à faire. D'autre part, parce que la lune s'offre à nous comme un intermédiaire précieux, voire incontournable, pour développer les technologies (par exemple les technologies de la communication) qui nous permettront demain de nous aventurer jusqu'à Mars.

Johnson Space Center – Houston TX © Paul Anel

Quelles sont les conséquences de la décision prise par l'administration Obama d'annuler le "Constellation Program" ? A court terme : la perte des treize milliards de dollars déjà investis dans ce programme et celle, directe ou indirecte, de quatorze mille emplois au centre Kennedy, en Floride, et de dix mille au Centre Johnson, au Texas, mais aussi le risque (encore difficile à évaluer) de perdre dans cette période de transition la plus grande partie des ingénieurs et du savoir-faire qui ont hissé les Etats-Unis en tête de l'exploration spatiale. En tout état de cause, on peut anticiper la fin du leadership de la NASA dans le domaine de la conquête de l'espace. Alors que ce changement de direction laisse la NASA dans un flou total quant à son avenir, elle prive les Etats-Unis de ce qui a fait depuis les années 60, et qui fait encore aujourd'hui leur plus grande fierté et leur plus belle conquête.

Il convient néanmoins de préciser que si Obama a annoncé la suppression du Constellation Program il n'est pas pour autant dans son intention de supprimer tout voyage de l'Amérique vers l'espace, mais il entend dorénavant confier les voyages en basse orbite (entre 160 et 2 000 km de la surface terrestre) à des compagnies commerciales, dont la principale est SpaceX. Il s'agit d'une compagnie de transport spatial fondée en 2002 par le génial Elon Musk, également co-fondateur de PayPal et Tesla Motors. Sur son site, SpaceX annonce déjà le prix du ticket pour un voyage dans l'espace : cinquante-quatre millions de dollars.

Certes, dans le contexte des années 60 et de la Guerre Froide, le travail de la NASA n'était pas complètement gratuit non plus : elle était motivée par la compétition avec la Russie et la volonté de démontrer la supériorité des Etats-Unis. Cependant, la Station Spatiale Internationale est depuis lors le lieu d'une collaboration sans précédent entre les astronautes et scientifiques américains, russes, et de bien d'autres nations (seize au total). L'ISS s'est d'ailleurs construit essentiellement sur la conjonction de deux projets à l'origine distincts : la station américaine "Freedom" et la station russe MIR ("Paix").

Peut-être la privatisation et commercialisation des voyages spatiaux étaient-elle inéluctables, et peut-être aussi peut-on anticiper qu'elle introduira une concurrence qui dynamisera ce secteur en accélérant la recherche. Cependant, souhaitons qu'elle ne nous fasse pas perdre de vue la raison profonde de ces voyages et la véritable source de leur dynamisme : la passion de la recherche, l'amour de la connaissance. Tel était l'intuition fondatrice de la NASA. Après la tragédie du shuttle Columbia en 2003, dont la désintégration au moment de rentrer dans l'atmosphère terrestre coûta la vie aux sept membres de l'équipage, George Bush prononça au Johnson Space Center de Houston un discours mémorable qui remonte à l'intuition fondatrice et profondément humaine qui sous-tend la NASA : "Le Programme spatial américain doit continuer. Ce travail d'exploration et de découverte n'est pas une option que nous prenons. C'est un désir inscrit dans le coeur de l'homme, cette part de la Création qui cherche à comprendre toute la Création."[1]


[1] Pour lire la totalité du discours (en anglais): http://www.astronautmemorial.net/columbiamemorial.htm

 

 

 

 

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4 Commentaires

  1. Alexis

    Merci Paul pour avoir montré la dignité de l'homme qui s'exprime à travers cette recherche de savoir sur toute la réalité, y compris ce qui se passe en dehors de notre monde terrestre. J'y vois un appel pour nous aujourd'hui à ne rien laisser de côté, à nous intéresser à tout, science, culture, vie sociale, économie, comme le propose ce blog. Et l'objectif n'est pas d'acquérir une connaissance, mais de mieux connaître le le monde qui nous entoure pour mieux l'aimer.
    Merci donc à tous ceux qui travaillent sur ce blog pour valoriser toutes les facettes de la réalité.

  2. Bruno ANEL

    J'ai assisté, en 1969, au débarquement d'Armstrong sur la lune : "Un petit pas pour l'homme…". Je me souviens du déferlement de propos emphatiques qui l'ont accompagné: un monde commence,etc. Au troisième voyage sur la lune, on était déja blasés. L'aventure fut belle, mais les résultats décevants: la lune n'est que de la poussière de Terre coagulée.  L'Amérique avait une revanche à prendre sur l'URSS, qui fut la première à envoyer un spoutnik et un homme dans l'espace. La promesse  de John Kennedy était honorée post mortem. Le projet de "guerre des étoiles" de Ronald Reagan stimula encore la recherche spatiale, jusqu'à la fin de l'URSS.
    L'homme ira sans doute sur mars un jour : les premières photos ne laissent pas augurer non plus des découvertes enthousiasmantes. La conquète de la lune s'inscrivait dans le cadre des 30 glorieuses, ou l'on pensait que tout était possible. Les crises pétrolières et financières ont fait tomber les illusions : avec la navette spatiale et Ariane, on en est venu à une exploitation commerciale de l'espace qui se voulait plus rentable (En fait, la navette a couté 28 fois plus cher que prévu !). Reste la station orbitale : pour l'exploiter, le vieux matériel low-cost des Russes suffit. Que les Américains passent le relais au privé n'est pas surprenant.  Pour relancer l'aventure, il faudrait d'abord se remettre à rêver.
     

  3. Bruno ANEL

    Post-scriptum. Vu à la télé: dans une petite ville d'Alabama, le fonds de pension communal ne paie plus les retraites des fonctionnaires depuis… 2009. Une dame de 77 ans, tonique au demeurant, reprend un poste de prof de maths suppléant, un monsieur de 70 ans redevient agent de sécurité . Motif du désastre : le déficit, encore et toujours . Les cotisations sociales destinées au fonds de pension servaient à payer les fonctionnaires en activté. Un système Madoff, en quelque sorte. Est-ce qui attend les retraités américains ? On comprend qu'Obama, menacé par les agences de notation, fasse des économies sur le spatial.

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