Homélie à la messe de Requiem d’Albert Marshall 17 août 2011
A l'intention de tous ceux qui ont prié ces derniers jours pour le Père Albert Marshall, nous publions pour nourrir leur méditation, l'homélie prononcée à sa messe de Requiem le 16 août à Saint-Crépin-aux-Bois.
Messe de Requiem d’Albert Marshall © Points-Coeur
Chers frères et sœurs,
Après la douleur et l’incompréhension, après les cris lancés au Seigneur seuls ou dans la Liturgie, peu à peu, nous faisons également l’expérience assez désarçonnante de voir les souvenirs s’étioler, devenir moins précis. Puis, grandit cette distance, cette froide distance, qui marque toutes les séparations, violentes ou non, toutes les morts.
Les journées passant, la prière et les soutiens aidant, c’est pourtant quelque chose de plus profond qui fait surface. Quelque chose qui vient de plus loin que la réactivité. Quelque chose qui remonte, qui se libère, quelque chose de plus vrai, de plus intact qui décante : le visage du père Albert. Sa vraie stature se dévoile, sa figure apparaît. Celle d’un homme « pris parmi les hommes », comme le dit l’Epître aux Hébreux. Un homme pieux, profondément « chercheur de Dieu », aimant les longs moments de prière. Un homme sociable, désireux de la relation, appréciant simplement la compagnie, l’amitié. Un homme choisi par Dieu, choisi avec sa noblesse et sa petitesse, avec sa clarté à certaines heures, et ses parts d’ombres à d’autres, avec ses joies et difficultés plus personnelles, comme celles inhérentes à toute vocation. Un homme-prêtre, désireux de vivre son sacerdoce comme une humble imitation du Seigneur, lui qui « se leva de table pour laver les pieds de ses amis ». Un prêtre désireux avant tout de vivre de la compassion de Dieu et de la transmettre aux autres.
Puis avec cette figure qui nous est réofferte à un niveau de profondeur nouveau, nous est donnée également cette certitude que les prêtres répètent tant lors des enterrements qu’ils sont si souvent amenés à célébrer : la mort ne nous sépare pas d’Albert, elle inaugure une relation d’un nouvel ordre. Père Albert est vivant, il va falloir apprendre à découvrir sa compagnie avec de nouveaux yeux, entendre sa voix avec d’autres oreilles, recueillir ses confidences et réflexions avec un cœur nouveau.
Cette certitude, c’est la foi qui nous la donne. Les premiers chrétiens l’énonçaient en des termes sans équivoque : « Désormais, notre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». La mort n’a sur nous plus aucun pouvoir. Le Christ est notre Tout, il a brisé les scellés de la mort. Il a vaincu la mort, Il est ressuscité, Il nous entraîne à sa suite.
Avec cette certitude nous sommes aussi amenés à faire une expérience concrète : l’être, la vie de nos défunts s’ajoute à la nôtre. Leur expérience, leur fécondité ne nous sont pas retirées mais redonnées, différemment. Si les mérites et les fruits du travail apostolique de Père Albert nous sont ainsi communiqués, dans le trésor de la communion des saints, ce sont aussi ses douleurs, ses souffrances, son désespoir qui nous appartiennent désormais. Tout nous est redonné en partage. Si nous avons eu le privilège de partager ces quelques années de vie, il nous est maintenant possible de partager plus profondément ce qu’est le trésor de sa vie, de partager l’expérience de ses années terrestres, toute son expérience sans en exclure quoi que soit.
Dans l’Evangile d’aujourd’hui, le Seigneur rappelle à ses disciples : me suivre, c’est emprunter un chemin exigeant. Jésus parle même d’une porte étroite, difficile à franchir. Et cette affirmation laisse les premiers disciples « déconcertés ». La suite du Christ, plus qu’une simple surprise, déconcerte bien souvent. Très tôt vient dans la bouche des apôtres une question qu’ils reposeront souvent à leur Maître : « Mais qui pourra être sauvé ? ». Quelle a dû être leur expérience intérieure pour l’interroger ainsi sans détours : « Mais qui pourra être sauvé ? »…
Aujourd’hui, l’évènement si douloureux de la mort d’Albert semble nous replacer deux mille ans en arrière. « Déconcertés » comme les apôtres, nous pourrions nous aussi nous exclamer : « Mais qui pourra être sauvé » ? Comme Pierre nous pourrions redire : « Mais nous avons tout quitté pour te suivre, alors qu’est-ce qu’il y aura pour nous ? ».
Par la Liturgie, retentissent une fois de plus les paroles du Maître, des paroles qui semblent sortir de l’éternité, de la source de l’amour gratuit, inconditionnel de Dieu : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu rien n’est impossible ». Puis le Christ synthétise tout l’Ancien Testament par cette formule : « Un héritage promis. Une vie promise. Une vie éternelle ». « Tout homme qui aura quitté à cause de mon nom des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, une terre recevra beaucoup plus, et il aura en héritage la vie éternelle. »
Retentit surtout la Parole, la vraie, la seule qui nous nourrisse et nous aide à ne pas enfermer ce que nous vivons ces jours-ci dans nos critères humains, dans notre entendement, dans nos schémas : « Beaucoup de premiers seront les derniers, beaucoup de derniers seront les premiers ». Cette parole semble s’appliquer à la descente mystérieuse d’Albert, à celle de notre famille POINTS-CŒUR, qui descend avec lui à la dernière place, qui franchit pour la première fois de son histoire le seuil de la mort inattendue. Comme pour Gédéon dont nous avons entendu le récit de la vie dans la première lecture, et comme pour nombre d’autres serviteurs de Dieu, retentit au cœur de notre peur, de notre paralysie, de notre disproportion, du néant, l’appel du Seigneur. Comme Gédéon nous pourrions dire : « Pardon mon Seigneur ! Comment sauverais-je Israël ? Mon clan est le plus faible dans la tribu de Manassé, et moi je suis le plus petit dans la tribu de mon père ! Le Seigneur lui répondit : je serai avec toi. Et tu battras les Madianites comme s’ils n’étaient qu’un seul homme ».
« Je serai avec toi » : parole de l’Alliance qui contient toutes les autres : « Je serai avec toi ». Parole qui est devenue chair, homme, Emmanuel. « Je serai avec toi », Présence du Seigneur, Amour dont il nous entoure, qui redonne à chacun d’entre nous les choses, les évènements sous un jour nouveau. L’Emmanuel nous redonne nos amis, Il nous redonne le créé, il nous redonne notre propre vie, il nous redonne, sous une autre forme, et tout particulièrement au cours de cette liturgie la vie d’Albert, selon Son dessein, selon Sa grâce.
Comme il est rassurant d’être remis devant la Transcendance de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins ». Qu’elle est apaisante cette liberté de Dieu, celle qu’Il revendique pour Lui-même, pour Son dessein, pour son plan d’amour bienveillant qui ne fait l’économie d’aucune expérience humaine, qui y intègre tout sans évacuer ni la souffrance, ni le sacrifice, ni la mort, qui convoque tout au service de Sa Gloire.
Comme il est essentiel de réentendre aussi au fond de nous-mêmes cette exigence de silence, ce besoin vital de recevoir un Sens aux évènements que nous vivons sans nous l’inventer par des formules toutes faites. Notre cœur a plus que jamais besoin de recevoir la Parole qui réellement pourra redonner forme à notre chaos comme Elle donna forme au chaos originel par l’acte créateur, le Verbe éternel de Dieu.
Enfin, comme à chaque étape-clé de note vie, instinctivement nous nous tournons vers la Vierge Marie pour nous réfugier en Elle. Par Elle, nous savons que le oui prononcé à l’Annonciation est un OUI à re-prononcer à la Croix, un Oui à re-prononcer au tombeau, après l’Ascension, à re-prononcer au Cénacle dans l’attente de la venue de l’Esprit Saint. Pour nous-mêmes, pour la famille d’Albert, pour tous nos proches, pour toutes les personnes qui souffrent de cet évènement, qui souffrent, comme me l’écrivait hier un ami « de ne pas voir le sens, de ne rien comprendre à cette histoire », nous demandons à la Mère de Dieu de bénéficier de son Oui à la Croix. Comme le disait si lucidement Jean-Paul II :
« Par la foi même (…) elle avait accueilli la révélation de l'ange au moment de l'Annonciation. Elle s'était alors entendu dire aussi : “Il sera grand… Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin” (Lc 1, 32-33). Et maintenant, debout au pied de la Croix, Marie est témoin, humainement parlant, d'un total démenti de ces paroles. Son Fils agonise sur ce bois comme un condamné. “Objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur…, méprisé, nous n'en faisions aucun cas », il était comme détruit (cf. Is 53, 3-5). Comme elle est grande, comme elle est alors héroïque l'obéissance de la foi dont Marie fait preuve face aux “décrets insondables” de Dieu ! Comme elle “se livre à Dieu” sans réserve, dans “un complet hommage d'intelligence et de volonté” à celui dont “les voies sont incompréhensibles” (cf. Rm 11, 33) ! Et aussi comme est puissante l'action de la grâce dans son âme, comme est pénétrante l'influence de l'Esprit Saint, de sa lumière et de sa puissance ! ».
AMEN !
AMEN !
Amen!
belle homélie que Dieu nous donne. Le père Albert sera toujours dans nos coeurs et nos prières.
merci pour cette homélie qui replace les évènements à la lumière de l'Ecriture