Interview de J.S, consultant technique au Bundestag (Parlement Allemand) 9 mars 2012
Propos recueillis par Jean-Marie Porté – Temps de lecture : 3 mn
Le risque couru par notre voisin d’Outre-Rhin a de quoi étonner : il s’est doté récemment d’une loi sur le recours aux énergies renouvelables, qui façonne au poids lourd industriel un avenir certes vert, mais singulièrement audacieux en termes économiques. Dans cette courte interview avec un acteur politique de cette révolution, nous cherchons à en comprendre les tenants et aboutissants.
CC BY-NC-ND Vattenfall
L’Allemagne a décidé récemment de procéder à un tournant énergétique. De quoi s’agit-il, comment la décision a-t-elle été prise ?
Le but à long terme est d’arriver pour le pays à gérer son énergie de façon à n’avoir aucun impact sur le climat. Ainsi, toute l’énergie consommée aussi bien par les particuliers que par l’industrie doit tendre à provenir à 100% de sources ne produisant aucun CO2 ou le moins possible (éolien, solaire, biomasse, hydraulique et géothermie).
Pour cela, le gouvernement s’est doté d’une feuille de route prévoyant les étapes suivantes :
– à l’horizon 2020, une augmentation de 20% du rendement des systèmes à combustibles fossiles, accompagnée d’une montée en puissance jusqu’à 35% des énergies renouvelables dans le mix énergétique.
– A l’horizon 2050, il s’agit d’avoir atteint une quasi-indépendance énergétique, grâce à une part de 80% d’énergies renouvelables, les 20% restant provenant probablement d’achats de gaz.
Le consensus pour une sortie définitive de l’énergie atomique a trouvé une majorité parlementaire dès l’an 2000, mais c’est suite à l’accident de Fukushima qu’un iter concret a été décidé et mis en œuvre. Un large éventail d’acteurs de la société civile a participé au débat, notamment à travers une étude commune des églises catholique et protestantes, qui se sont prononcées en faveur d’une sortie raisonnée. C’est un bon exemple au niveau mondial d’une décision politique prenant en compte concrètement le souci éthique d’un peuple.
Quels sont les problèmes majeurs rencontrés ?
Le premier problème est celui de la flexibilité demandée. En effet, si l’énergie fossile permet de faire tourner des centrales en permanence, atteignant des taux de 4500 à 5000 h/an pour une centrale thermique, les énergies renouvelables sont plus capricieuses. Une éolienne tourne en moyenne 1800h/an (en off-shore jusqu’à 3000), un capteur solaire en Allemagne n’est guère productif que 800 à 1000h par an.
Le tournant demande donc un effort aussi bien logistique que culturel. En effet, qui dit forte variabilité de l’offre dit adaptation nécessaire de la demande… c'est à dire que le consommateur adopte une attitude intelligente, qui ne peut plus partir du principe que n’importe quelle énergie est disponible n’importe quand. Et cela demande aussi que l’on invente de nouveaux systèmes de stockage de l’énergie, ceux existant actuellement étant chers, ou présentant des rendements faibles. On pense notamment à de petits systèmes domestiques.
D’autre part, les énergies renouvelables sont en Allemagne assez mal réparties. Une grande part de l’offre provient des champs éoliens on- et off-shore de la côte Nord, ce qui demande de prévoir des réseaux de transport colossaux pour alimenter les bassins industriels du Baden-Würtemberg et de Bavière, 700 km plus au Sud. On mesure l’effort en considérant qu’à l’heure actuelle, la distance moyenne entre le consommateur et la source d’énergie est de 40 km.
Quels sont les obstacles à ce tournant ?
Il y a certainement un risque majeur, du point de vue économique. Le tournant a un prix, qui aura des répercussions sur la compétitivité d’un pays qui vit essentiellement de l’exportation de sa production industrielle. D’autre part, l’industrie a besoin d’une énergie fiable, et réussir un basculement vers le tout renouvelable sans courir le risque de coupures très dommageables pour l’industrie est une entreprise titanesque.
Le pari, un peu fou peut-être, est de s’engager en leader – et pour l’instant en solitaire – sur un chemin que l’humanité toute entière devrait raisonnablement considérer.
Si cela fonctionne, l’Allemagne en sortirait singulièrement grandie et avantagée.
Un petit bémol à apporter sur l'engoument général autour de l'éolien. Il souffre malheureusement de limites qui le rendent indirectement très polluant.
Le problème étant que cette énergie est instable, elle dépend du vent (les éoliennes ne fonctionnent pas en dessous de 10 km/h et au dessus de 90 km/h de vent). Or le stockage de l'électricité éolienne est impossible (la seule énergie stockable est celle provenant de l'hydraulique en maintenant l'eau dans les barrages). La conséquence est que lorsque les éoliennes ne fonctionnent pas, on est obligé de racheter de l'énergie sale (le plus souvent d'origine thermique, soit le charbon donc la plus polluante).
Le bilan énergétique de l'éolien est beaucoup moins vert qu'on ne veut bien le dire.
D'un point de vue personnel, je pense que l'on cherche à se donner bonne conscience sans remettre en cause la racine du problème (société de sur-consommation). Tant que notre mode de vie ne changera pas, la planète sera en danger…
Ils sont téméraires ! je ne peux qu'apprécier et m'incliner devant leur courage devant l'inconnu et leur potentiel d'innovation.
tout à fait d'accord avec Vincent!!
Je rajouterai qq rq par rapport à l'article:
Premère remarque suite à un oubli (volontaire?) sur les sources énergétiques qui ne dégagent pas de CO2: le nucléaire et…le gaz de schiste. D'ailleurs, celui-ci nécessite une meilleure maitrise de la fracturation de la roche pour l'extraire du sol (bp de recherches dans ce sens en ce moment) mais c'est une source énergétique incroyable pour le futur: propre, abondante, peu cher…
Deuxième rq: on peut se poser de sérieuses questions sur la biomasse quand on connait les problèmatiques bien plus sérieuses sur la faim dans le monde.
L'autre point qui m'afflige toujours autant, c'est l'absence de LA question de fond dans le débat énergetique. Dans un premier temps, il ne s'agit pas de savoir combien de CO2 on dégage mais de savoir dans quelle mesure le CO2 influe sur le climat mais aussi dans une plus large réflexion sur l'environnement.
L'Allemagne est en train de mener une révolution énergétique à partir d'une hypothèse scientifique (d'ailleur très contestée). Triste Allememagne qui veut donner une leçon de morale au monde entier.
L'autre quesion toute aussi intéressante est de savoir quelles sont les avantages économiques à mener une politique écologique. L'histoire de l'écologie nous apporte de fascinantes réponses qui ne vont pas tout à fait dans le même sens que celles du consultant technique…
Je doute que ce soit la morale qui motive l'Allemagne mais plutôt sa croissance économique.
Je ne vois pas très bien pourquoi ce serait des intérêts économiques qui motiveraient l'Allemagne, étant donné les risques considérables qu'elle prend dans ce domaine en amorçant ce tournant, comme dit dans l'article.
D'autre part il apparaît comme souvent que ce sont les plus moralisants qui taxent les autres de moralisme. Il existe dans l'attitude de l'Allemagne une réelle volonté d'aller vers le bien commun, sans que cela empêche bien sûr de discuter les méthodes adoptées. Il faut considérer aussi que la culture allemande est tout naturellement portée à être pionnière dans ce domaine et que la force d'une culture, lorsqu'elle est sainement orientée, n'a que faire des fâcheux – fûssent-ils ces Français qui savent toujours tout sur tout !
Je pense que l'Allemagne va certes rester un bout de temps en solitaire dans cette entreprise, mais je la salue de son audace.
Certes c'est audacieux, vous avez raison. Encore que le lobby vert est très puissant en Allemagne donc c'est aussi une posture politique, ne nous voilons pas la face.
Mais pour moi c'est un faux semblant. Au lieu d'avoir une réelle réflexion sur la cause de cette pollution, on cherche à trouver le moyen d'éviter d'avoir à changer. Si nous polluons aujourd'hui sans cesse et toujours plus, cela vient de notre mode de vie centré sur la consommation. Nous devons aujourd'hui revoir ce qui fait tourner notre société, remettre en question notre soif d'acheter toujours plus et toujours mieux pour passer (ou revenir?) à un mode de vie plus sain.
Car au rythme où nous allons, l'éolien n'est qu'une rustine de plus comme on en voit se créer tous les jours…
Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point. Mais pour avoir vécu en Allemagne (dans plusieurs régions et plusieurs années), j'ai pu observer que l'écologie allemande est culturelle et non politique, même si d'aucuns bien sûr s'en emparent à des fins de pouvoir (on peut toujours faire du meilleur le pire, ce n'est pas pour cela que le meilleur d'origine n'existe plus).
Le peuple allemand est beaucoup plus conscient que nous des enjeux du sur-consumérisme et attentif à cela dans sa vie de tous les jours.